Qu’est-ce qui vous amené à créer votre entreprise en 2008 ?
À l’époque je faisais de la recherche en machine Learning au CNRS et au centre Inria de Lille au sein de l’équipe Sequel*. J’ai très vite eu l’envie de me rapprocher de l’industrie. Nous avons eu des contacts rapidement avec des entreprises de grande distribution, qui sont nombreuses dans la région. Plusieurs entreprises se sont montrées curieuses des recherches de l’équipe, et nous avons commencé à travailler avec elles, sur des outils de prévision. Ensuite, j’ai eu l’envie de créer une startup, pour développer davantage ce service. C’est ainsi que Vekia est née. Au départ, nous faisions du conseil auprès des directions informatiques des grands groupes. Nous les accompagnions sur des questions de détection de fraude, de gestion du personnel et de prévision des stocks. Cela a duré 2-3 ans, puis Vekia a fini par se concentrer uniquement sur la création de logiciels de gestion des stocks.
En quoi consiste la solution Vekia aujourd’hui ?
Le pilotage des stocks est le caillou dans la chaussure des « retailers ». Les enseignes françaises ont des solutions anciennes, alors qu’elles doivent affronter la concurrence de géants comme Amazon, Cdiscount, Alibaba… C’est un défi difficile à relever. Lorsqu'il achète sur internet, le consommateur veut recevoir le produit très rapidement. Pour le vendeur, cela implique d’avoir du stock partout en France et pour un très grand nombre de références. Les solutions traditionnelles ne sont pas capables de gérer cela. Nous proposons donc de confier à un système d’intelligence artificielle la tâche complexe de gérer les stocks de manière très fine, dans chaque point de vente, chaque entrepôt, pour chaque référence. Aujourd’hui nous avons les solutions de machine learning les plus avancées au monde pour le pilotage des stocks pour la grande distribution. Petit à petit nous avons aussi ouvert notre marché aux entreprises de SAV, pour la gestion des pièces détachées.
Il faut cultiver notre esprit Startup Nation.
Manuel Davy
En quoi votre solution est-elle l’une des plus innovantes au monde ?
D’un point de vue purement technologique, nous développons notre produit sur les technologies les plus avancées, comme Spark (calculs distribués). Ensuite, nous travaillons sur un très grand nombre et une très grande variété de données. Elles viennent soit des clients eux même, soit de sources externes, comme la météo par exemple. Nous avons également des statistiques extraites par des partenaires de réseaux sociaux. Nous n’utilisons pas de données personnelles, mais des données de tendances comme le nombre de like sur un produit par exemple. Enfin, nous nous adaptons à tous les derniers usages du e-commerce, comme le "click and collect" .
Ce qui fait notre atout, c’est aussi que nous maîtrisons le machine learning. Nous ne sommes pas de simples utilisateurs ; nous contribuons au développement des nouveaux algorithmes.
Revenons aux débuts de Vekia. Comment s’est passée la création de la startup ? Comment avez-vous été aidés pour vous lancer ?
Au début du projet, le centre Inria de Lille a financé un poste d’ingénieur qui nous a aidés à faire nos premiers pilotes. Il nous a également mis à disposition un bureau et nous a aidés à nouer nos premiers contacts commerciaux. J’ai également été aidé par le CNRS, grâce au dispositif 25.1 qui permet de créer une entreprise tout en restant salarié de l’organisme, pendant un temps. J’ai perçu un salaire, à rembourser ultérieurement par l’entreprise.
Était-ce difficile de passer de l’univers de la recherche à celui de l’entreprise ?
Moi, j’y ai pris beaucoup de plaisir. Le métier de chercheur prépare finalement assez bien aux fonctions de chef d’entreprise. Il faut être factuel, être à l’aise avec les chiffres, avec les concepts abstraits et complexes. Les chercheurs font également du marketing quand ils publient des articles, vont "vendre" leurs recherches dans des conférences…. Ensuite, la fibre commerciale, le management, sont des choses qu’on apprend sur le terrain, avec l’expérience. Personnellement, la création d’entreprise m’a toujours intéressé. Tout au long de mon parcours de chercheur j’ai été en contact avec le milieu de l’entreprise. J’ai toujours été assez entreprenant dans mon métier de chercheur. Au final, je pense que la clé, c’est de ne pas avoir peur de ne pas réussir.
Le métier de chercheur prépare assez bien à l’entrepreneuriat.
L’intelligence artificielle fait aujourd’hui en France l’objet d’un plan d’action gouvernemental, avec notamment le rapport Villani. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
C’est une bonne nouvelle que le gouvernement se saisisse du sujet. Le rapport Villani est une opportunité pour la France de reprendre le leadership technologique et scientifique. Des organismes comme Inria pou BpiFrance sont extrêmement importants pour la réussite du dispositif. Il faut cultiver notre esprit "startup nation".
Il y a deux cependant deux points qui sont très importants, selon moi. Il faut que la France fasse de l’intelligence artificielle très spécialisée car, pour l’IA très générale, la place est prise par Microsoft, Google... L’autre enjeu important est la formation. Pour moi, cela doit commencer dès l’école maternelle car il faut que les citoyens de demain comprennent l’intelligence artificielle et soient capables d’interagir avec elle, tout en sachant encore mieux interagir entre humains.
Ensuite, je suis convaincu que les établissements d’enseignement supérieur scientifique doivent impérativement renforcer la formation scientifique. Si nous voulons être une startup nation dans le domaine de l’IA, nous ne devons pas former des utilisateurs mais des créateurs d’IA. Et cela nécessite un niveau scientifique très élevé.
*L’équipe Sequel est aujourd’hui commune avec le CNRS, l'université de Lille − sciences et technologies et l'université de Lille − sciences humaines et sociales.