Ton parcours, en quelques mots ?
Khosrow Rajabizadeh : Je suis zoologiste de formation et je viens d’Iran. Je travaille depuis quinze ans dans le domaine de l’herpétologie, qui est la science naturelle spécifiquement consacrée à l'étude des reptiles et des amphibiens. En 2005, dans le cadre de mon mémoire de master, j'ai commencé à étudier la biodiversité des serpents et des lézards en Asie occidentale, et j'ai répertorié plus de quinze nouvelles espèces, dont un nouveau serpent venimeux d'Iran. Je m'intéresse aux recherches interdisciplinaires : c’est pourquoi j’ai réalisé un postdoctorat au Muséum national d'Histoire naturelle à Paris grâce à une bourse de l'ambassade de France à Téhéran, sur la morphologie fonctionnelle, et un autre postdoctorant en Iran sur l'utilisation de l’intelligence artificielle pour identifier des serpents à partir d'images. J'ai continué à collaborer avec mon directeur du Muséum national d'Histoire naturelle de Paris, Anthony Herrel et ces expériences m’ont finalement conduit à développer le projet de startup AI.Nature. Projet pour lequel je fais partie du programme Inria Startup Studio, accompagné par le centre Inria de Paris, depuis mai 2021 !
Quelle est l'origine du projet entrepreneurial AI.Nature ?
K.R. : En tant qu'herpétologiste, j’ai été régulièrement invité par le ministère de la Santé iranien pour parler de la biodiversité des serpents importants sur le plan médicinal. Plusieurs médecins m’envoyaient régulièrement des photos de serpents pour que je les identifie. Petit à petit, je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai besoin car de nombreux médecins en Iran sont confrontés à des sujets impliquant des serpents, mais ne connaissent pas d'herpétologiste. Les morsures de serpent sont un véritable problème dans de nombreux pays, en particulier les pays tropicaux : 5 millions de morsures de serpent se produisent chaque année, causant environ 100 000 décès et environ 300 000 cas d'invalidités. Aider les médecins à connaître le type de serpent et le type de venin fait partie de la solution à ce problème. J'ai donc décidé de travailler sur un modèle d’intelligence artificielle permettant de faire ce que je faisais au cas par cas, de manière automatique : identifier des serpents à partir d’images. C'est alors que le projet AI.Nature est né !
De l'herpétologie au Muséum national d'Histoire naturelle à la startup AI.Nature au centre Inria de Paris : comment est-ce possible ?
K.R. : J'ai commencé à travailler sur AI.Nature en mai 2020, nous étions en pleine période de confinement à cause de la pandémie mondiale liée à la Covid-19. J’étais principalement chez moi et comme beaucoup, j'avais du temps libre pour travailler sur de nouvelles idées. J'ai réalisé quelques tests d'utilisation de l’intelligence artificielle pour la reconnaissance d'images de serpents qui se sont avérés très prometteurs.
Dans un premier temps, j'ai déposé l'idée de base d'AI.Nature au Muséum national d'Histoire naturelle, puis je l'ai développée avec l'aide de la SATT Lutech, qui a présenté mon projet au centre Inria de Paris. Pendant quatre mois, Grégoire Maurice (Inria de Paris) et Gilles Reymond (SATT Lutech) m'ont aidé à perfectionner cette idée pour en faire un projet de startup concret avec un produit défini : une application web. Après cela, le projet de startup AI.Nature a été accepté par le dispositif d’accompagnement à l’entrepreneuriat d’Inria, Inria Startup Studio (ISS).
L’accompagnement d’Inria m'a donné la possibilité de constituer une équipe, qui a conduit au perfectionnement du côté technique comme du côté stratégique et organisationnel de cette startup.
Zahra Seyd, la Chief technical officer (CTO), a amélioré la technologie d'AI.Nature tout en contribuant à la définition de différents aspects du projet. Au sein de l'ISS, j'ai également reçu des conseils et des formations très constructifs sur les aspects financiers et commerciaux du projet, notamment de Guillaume Chelius et Grégoire Maurice, qui nous ont permis de faire mûrir la startup AI.Nature.
AI.Nature a pour ambition de devenir la solution de référence mondiale en matière de prévention et de traitement des accidents liés aux animaux venimeux. Nous nous sommes concentrés sur les morsures de serpent, car comme le dit Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations unies, « la morsure de serpent est la plus grande crise de santé publique dont vous n'avez certainement jamais entendu parler ».
Nous travaillons pour créer une application web nommée AI.Snake, qui aide les médecins à identifier les serpents et leur donne des conseils de traitement médical.
Qui t'accompagne dans ce projet ?
K.R. : Je suis le fondateur d’AI.Nature, mais cette idée ne serait jamais devenue réalité sans l'aide de tous les membres remarquables de l’équipe. Nous avons la chance de pouvoir compter dans nos rangs Zahra Seyd, jeune et brillante directrice technique issue d’une formation supérieure en traitement d'images et en vision par ordinateur, qui gère le développement technique du projet. Nous avons aussi parmi nous un data manager du Muséum national d'Histoire naturelle, Jaleh Sarafraz, un excellent biologiste et notre développeur, Ilyes Negadi.
Et bien sûr, nous n’en serions pas là sans les conseils d’Anthony Herrel du Muséum national d'Histoire naturelle, de Jean-Philippe Chippaux, retraité de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l'Institut Pasteur, et d’Ivan Laptev, le responsable de l’équipe de recherche WILLOW (Inria, ENS PSL, CNRS, DI-ENS). Nous avons également reçu le soutien et des investissements de la SATT Lutech.
Quelles sont les prochaines étapes de développement ?
K.R. : Nous avons déjà lancé une version test d’une application web permettant l’identification automatique des serpents et d'évaluer les risques de morsure en Iran, en Afghanistan et au Turkménistan afin de recueillir un retour d’expérience des médecins. Leurs avis étaient très prometteurs, nous encourageant à poursuivre le développement. Nous travaillons sur une nouvelle version qui inclut des conseils sur les traitements médicaux. Dans cette version, nous prévoyons également de couvrir plusieurs pays d'Asie occidentale et d'Afrique du Nord et nous espérons lancer une version Minimal Viable Product d’ici mi-mars, afin de commencer la commercialisation.
Dans les prochaines versions, nous inviterons une communauté d’excellent médecins dans le traitement des morsures de serpent à mettre à jour la section "Conseils médicaux" de notre application web.
Nous sommes actuellement dans la phase où nous recherchons des business angels susceptibles d'être intéressés par ce projet afin de continuer le développer de l’entreprise. Nous prévoyons une croissance rapide, avec une présence sur le marché mondial d'ici cinq ans. Notre ambition est que dans les années à venir, nous puissions couvrir tous les serpents du monde et que le produit AI.Nature soit un produit populaire parmi les médecins qui traitent ce type de blessure.