Quel est le sujet de votre projet retenu par l’ERC ?
L’objectif est de mettre les mathématiques, en particulier la théorie des nombres et la géométrie algébrique, sur ordinateur. Les mathématiciens purs qui veulent résoudre un problème ont souvent besoin de calculs. Par exemple ils peuvent calculer de nombreux cas particuliers pour identifier des motifs communs et en extraire des idées sur les théorèmes à démontrer. Mais la plupart du temps, ils se contentent de méthodes peu efficaces qui fonctionnent sur de petits exemples. Ma conviction est qu’il faut utiliser les progrès théoriques réalisés en informatique pour fournir des outils puissants d’aide aux mathématiciens. C’est indispensable aussi bien pour résoudre des problèmes mathématiques abstraits que pour réaliser des applications efficaces. Mon projet s’intéresse notamment aux objets mathématiques faisant appel à la théorie des nombres et à la géométrie et qui entreront certainement dans la composition des cryptosystèmes du IIIe millénaire.
Quelle est l'originalité de votre approche ?
L'idée est d'allier les avancées de l'informatique théorique, notamment la théorie de la complexité et les certificats pour prouver l'exactitude des calculs, au service des mathématiques et du calcul symbolique. En même temps, les résultats seront validés par des implantations librement disponibles. Cela demande une double compétence que l'on rencontre rarement. Mes collègues dans l'équipe Lfant en sont des exemples par excellence : nous appartenons à un institut de recherche en informatique, et en même temps, nous sommes intégrés à l'institut de mathématiques de Bordeaux et à son équipe de théorie des nombres mondialement reconnue.
Les mathématiciens ont besoin d’algorithmes implantés sur ordinateur et je pense qu’il est temps de mettre un peu plus d’informatique dans l’affaire.
Comment êtes-vous venu à l’informatique et à la tête d’une équipe Inria?
J’ai toujours été très motivé par les aspects applicatifs car j’apprécie que des mathématiques de haut niveau puissent donner quelque chose de tangible que d’autres pourront utiliser, que ce soit en sécurité de l'information ou par la diffusion de logiciels libres. Je me suis spécialisé en informatique pendant mes études de mathématiques à l’université d’Augsburg et j'ai écrit ma thèse sur la sécurité des cryptosystèmes hyperelliptiques. Lorsqu’une équipe de Polytechnique très axée sur la cryptologie m’a proposé de faire un postdoc chez elle cela m’a tenté… d’autant plus que je suis très francophile ! Une fois en France, la possibilité d’avoir un poste permanent dans une équipe Inria était très attirante avec la perspective de me concentrer pleinement sur mes recherches.
Comment comptez-vous employer votre bourse ERC ?
Mon objectif est d’étoffer l’équipe et de la faire vivre dans la durée. La bourse va me permettre de financer trois postdoctorants en les recrutant éventuellement à l’étranger, ce qui est important car la double compétence maths-informatique est rare partout. Le fait de ne pas être contraint par les calendriers des organismes pour les candidatures va m’aider à les attirer… Peut-être seront-ils prêts ensuite à rester dans l’équipe ! J’ai également prévu d’embaucher un ingénieur de recherche pour cinq ans pour nous aider à développer le logiciel PARI/GP conçu par l’équipe et qui servira aux mathématiciens du monde entier. Je compte en outre financer une thèse et organiser un ou deux colloques à Bordeaux.
Cryptologie : la 3e génération sera l’enfant des maths et de l’informatique
Le système de cryptographie qui assure actuellement la sécurité des cartes bleues, les achats en ligne ou autres sites protégés par https date des années soixante-dix. Il repose sur l’existence de deux clés, l’une publique, destinée au chiffrage du message, l’autre privée, attachée au destinataire et seule capable de le déchiffrer. Pour réaliser un tel système il faut identifier des procédures faciles à réaliser dans un sens mais difficiles dans l’autre. Par exemple il est facile (pour un ordinateur !) de trouver le résultat de la multiplication de deux nombres de 300 chiffres mais il est très difficile de retrouver ces deux nombres à partir du résultat de 600 chiffres. Il se trouve que les mathématiques pures proposent des solutions pour ce type de problèmes.
Les générations suivantes de cryptosystèmes, qui équipent les passeports électroniques ou les cartes d’identité, ont troqué la multiplication pour des opérations sur les courbes elliptiques, objets sophistiqués de la géométrie algébrique.
Andreas Enge vise plus loin : des systèmes de 3e génération qui utiliseraient des courbes encore plus complexes. Le tout est de savoir quel niveau de sécurité ces courbes pourront assurer, et comment trouver des courbes concrètes réalisant ces promesses de sécurité le plus efficacement possible. Un travail de mathématicien qui ne peut se faire sans ordinateurs, et les calculs demanderont de nouveaux algorithmes et de grandes capacités de calcul.