Neurosciences

La diversité neuronale, un antidote possible contre les maladies neurologiques

Date:
Mis à jour le 27/03/2024
La diversité de nos neurones nous rendrait moins vulnérables aux changements liés à certaines maladies, comme l’épilepsie : telle est la découverte majeure effectuée par une équipe franco-canadienne qui compte notamment Axel Hutt, directeur de recherche à l'antenne Inria de Strasbourg. Basée sur de nouveaux modèles mathématiques, cette recherche vient d’être dévoilée dans la prestigieuse revue PNAS.
Neurone hippocampique de rat en culture
CC BY 2.0 DEED – S. Kaech, G. Banker, OHSU, Oregon, USA.

Explorer la diversité neuronale et son impact sur le cerveau

On mesure aujourd'hui, grâce aux technologies d'imagerie, la grande diversité des types de neurones que regroupe le cerveau. Mais l'impact de cette "hétérogénéité neuronale" sur les fonctions cérébrales et leur capacité à résister aux perturbations est un mystère que la communauté scientifique cherche à percer depuis l'époque de Charles Darwin.

Ce défi scientifique est à l’origine d’une nouvelle découverte qui vient d'être présentée dans un article publié par PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences). Revue officielle de l'Académie nationale des sciences des États-Unis, cette publication est souvent présentée comme la plus prestigieuse après Nature et Science.

Une équipe pluridisciplinaire et internationale

L'étude a été menée de concert par un groupe de chercheurs en informatique, en mathématiques, en neurosciences et en neurochirurgie. « En partenariat avec Inria et l’Institut de recherche Krembil de l’University Health Network, à Toronto, nous avons développé une nouvelle approche mathématique, inspirée par des travaux effectués en macroécologie », explique le chercheur Jérémie Lefebvre, le principal auteur de cette étude, membre de l'Institut de recherche sur le cerveau de l'Université d'Ottawa. « Notre but était de caractériser la diversité cellulaire dans les systèmes complexes et son influence sur la résilience de ces systèmes », précise-t-il. Pour l'épilepsie, une précédente recherche avait déjà établi un lien entre cette pathologie et l'hétérogénéité des propriétés des neurones : elle avait été menée par Jérémie Lefebvre et deux des autres coauteurs de l'étude dont il est fait état dans le présent article, Taufik A. Valiante et Scott Rich, chercheurs à l’Institut de recherche Krembil, à Toronto.

La santé, priorité d’Inria Strasbourg

Du côté d’Inria, Axel Hutt, directeur de recherche au sein de l'équipe-projet strasbourgeoise Mimesis (commune à Inria et au CNRS - Mimesis est intégrée au sein de l'équipe MLMS du laboratoire iCube), s’est investi dans la modélisation des interactions entre neurones. Un projet qui s’inscrit pleinement dans la dynamique de recherche de l'antenne Inria de Strasbourg, axée sur la santé et la médecine personnalisée, et portée par son partenariat avec l'Institut hospitalo-universitaire strasbourgeois.  

« À la base de ma participation, en tant que chercheur Inria, il y a la volonté de définir des modèles mathématiques permettant de comprendre le rôle de la diversité des neurones dans un circuit cérébral, précise Axel Hutt. Il y a quelques années, j'avais déjà eu la possibilité de travailler sur des modèles théoriques avec Jérémie Lefebvre. » Ces nouveaux modèles mathématiques ont débouché sur une découverte de taille : « Ils prouvent que la diversité cellulaire est un gage de réponse modérée face aux changements qui accompagnent certaines maladies, ce qui est contraire à ce que nous avons longtemps cru, souligne Axel Hutt. Nous pensions qu'un système hétérogène était forcément plus instable et donc moins résilient. »

Une découverte à fort potentiel pour soigner les maladies neurologiques

En termes de bénéfices attendus, la diversité des neurones – « un ingrédient essentiel dans la constitution des circuits cérébraux » selon Jérémie Lefebvre – devrait aider les scientifiques à trouver de nouvelles façons de détecter ou d'interpréter certaines maladies neurologiques. On peut citer par exemple l'épilepsie qui se caractérise par des crises récurrentes causées par un dérèglement des circuits cérébraux et une "hypersynchronie" (ou hyperactivité) des cellules.

Les tests effectués auprès de patients épileptiques, par Taufik A. Valiante et des membres de l’Institut de recherche Krembil, montrent que leurs cellules cérébrales sont moins diversifiées que chez les personnes non atteintes par cette maladie. Aux yeux des chercheurs, cette faible variété « empêche les neurones et les cellules de s’adapter correctement et ceux-ci sont incapables de maintenir une activité saine, ce qui les fait basculer vers des états de crise. »

De nouveaux traitements en perspective

À l'avenir, « on peut imaginer que les professionnels du secteur médical pourraient utiliser cette découverte pour travailler sur une méthode expérimentale de traitement de l'épilepsie, pronostique Axel Hutt. Par exemple avec un traitement en amont qui permettrait d'agir sur l'hétérogénéité des neurones. » La neuromodulation (l'utilisation d'un neurostimulateur ou d'électrodes de neuromodulation externes pour soigner un trouble) constitue une piste, au même titre que la médecine cellulaire. En outre, la possibilité de modéliser les réseaux neuronaux ouvre des perspectives pour le traitement d'autres troubles se caractérisant par une hypersynchronie des cellules, comme l’autisme, la schizophrénie, ou encore la dépression.

Spectrogramme
Intégration numérique du réseau hétérogène, trace de la sortie et spectrogramme associé

Plus globalement, ces résultats offrent, pour Jérémie Lefebvre, « un rappel frappant du rôle primordial que joue la diversité dans la solidité des systèmes naturels (écosystèmes, collectivités, groupes sociaux, cerveau…) face aux changements ». Ce qui est vrai pour les réseaux neuronaux s'applique donc aussi à l’environnement naturel et aux sociétés humaines.

Biographie express d’Axel Hutt

Lauréat d'une bourse ERC en 2010 et directeur de recherche dans l’équipe Mimesis (spécialisée dans la simulation médicale guidée par les données) depuis 2019, Axel Hutt a développé une expertise sur les réseaux neuronaux multidimensionnels et l'assimilation de données dans le contexte d'applications cliniques (en particulier pour l'anesthésie générale, le traitement des troubles mentaux ou la stimulation transcrânienne). Né et formé en Allemagne, il travaille à l'antenne Inria de Strasbourg.

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