Assurant un haut débit et transmettant de l’information sur de très longues distances, les fibres optiques ont largement contribué aux innovations des secteurs des télécoms, de l’Internet ou de l’imagerie. Dans leur quête d’amélioration de leurs performances, les concepteurs sont confrontés à des problèmes physiques complexes. C’est en exploitant les travaux de scientifiques issus de différentes disciplines (physique, mathématiques, informatique) qu’ils peuvent trouver des solutions technologiques efficaces.
Un problème optique complexe
Transporter de l’information sur plusieurs milliers de kilomètres est une performance cruciale pour les fibres. Imaginez que l’on injecte un rayon lumineux de couleur bleue en entrée de la fibre. Après son trajet dans la fibre, le signal sera-t-il conservé parfaitement ou altéré ? En d’autres termes, observerons-nous en sortie le même bleu ou une autre couleur – voire pas de signal du tout ? « Ce phénomène, connu des experts en optique sous le nom d’instabilité modulationnelle, doit être maîtrisé par les ingénieurs », explique Guillaume Dujardin, expert en mathématiques à la tête de l’équipe Mephysto-Post * chez Inria Lille. « Différentes causes à une déformation ou une atténuation du signal sont possibles, par exemple un défaut dans la géométrie la fibre : la simulation numérique permet de les quantifier, les anticiper et les corriger. »
Mephysto-Post , s’intéresse aux équations mathématiques décrivant différents phénomènes physiques, comme ceux de l’optique ou de la thermodynamique, et développe des méthodes numériques pour les simuler sur ordinateur. « Sur le sujet des fibres optiques, nous collaborons avec des physiciens, au sein du LabEx CEMPI ** créé en 2012 en région lilloise afin d’inciter des chercheurs de différentes spécialités, en particulier des mathématiciens et des physiciens, à engager diverses collaborations. »
Au sein de ce laboratoire d’excellence, œuvrent également des chercheurs du PhLam ***, un laboratoire dédié à l’étude de la lumière et de la matière, qui travaillent directement avec des chercheurs et des ingénieurs du groupe Prysmian , leader mondial de l'industrie des câbles et systèmes d'énergie et de télécommunication.
Une approche pluridisciplinaire
« En dialoguant avec les physiciens du Phlam , nous avons élaboré un modèle mathématique à même de représenter l’instabilité modulationnelle », résume Guillaume Dujardin . L’équation décrivant la propagation de la lumière dans la fibre est très complexe et ne permet pas une compréhension directe du phénomène d’instabilité modulationnelle. Aussi, les chercheurs d’Inria ont-ils proposé un modèle plus simple à analyser et qui décrit cependant la physique du phénomène de manière précise.« L’idée est de s’intéresser à la propagation de la perturbation du signal et non à celle du signal lui-même et de la décrire par une équation plus facile à comprendre »,détaille Guillaume Dujardin .
Les hypothèses de ce modèle ont longuement été discutées par les mathématiciens et physiciens. D’une part, le modèle simplifié a permis des découvertes sur certaines solutions de l’équation complexe en elle-même, et, d’autre part, des résultats d’essais menés sur un dispositif expérimental ont confirmé la validité des prédictions numériques. « C’est en croisant différents regards, ceux des théoriciens et des expérimentateurs que nous avons bâti la confiance dans nos calculs ! ».
Les scientifiques ont ainsi expliqué avec leur modèle comment un défaut sur le rayon de la fibre influençait la propagation de la lumière. Les calculs permettent de caractériser les perturbations du signal optique et produisent des données utiles aux ingénieurs qui conçoivent
les dispositifs éliminant les perturbations induites par l’instabilité modulationnelle. « Avec la simulation, les concepteurs de fibres peuvent caractériser précisément l’origine des perturbations optiques et espérer corriger finement un signal afin d’en conserver la qualité lors de son passage dans la fibre. »
Un nouveau défi scientifique
Forts de ce premier résultat et de son transfert vers le monde industriel, les mathématiciens poussent maintenant leurs calculs un peu plus loin en s’intéressant aux fibres multimodes, capables d’assurer le transport de plusieurs signaux à la fois. Encore très peu utilisées par l’industrie, elles permettent par exemple de concentrer l’énergie optique et trouvent des applications en médecine.
« Le modèle mathématique sur lequel nous travaillons met en jeu plusieurs centaines d’équations complexes (elles sont ‘non linéaires’ et ‘couplées’). Nous développons des méthodes numériques de nouvelle génération à même de les résoudre efficacement. Nos premiers résultats sont encourageants et nous avons maintenant besoin du regard des physiciens avec qui nous échangeons afin d’améliorer notre modèle ou d’interpréter les résultats. »
Collaborer s’avère ainsi un atout décisif dans la main des chercheurs s’intéressant à des questions théoriques complexes et leur demande également un certain engagement. « Face à problème nouveau, nous prenons beaucoup de temps à échanger entre experts de différents domaines. Il s’agit avant tout de comprendre les concepts utilisés par chacun, de trouver un langage commun sur lequel fonder ensuite notre collaboration. Cette étape est cruciale pour bien nous entendre… et elle apporte aussi énormément à chacun : de nouvelles connaissances ou idées pour relever de nouveaux défis scientifiques ! »
* Mephysto-Post (Méthodes quantitatives pour les modèles aléatoires de la physique) est une équipe commune entre commune entre Inria Lille et le Laboratoire Paul Painlevé (UMR 8524 CNRS/Université de Lille).
** LabEx : Laboratoire d’excellence. CEMPI : Centre européen pour les mathématiques, la physique et leurs interactions.
*** PhLam : Laboratoire de physique des lasers, atomes et molécules (UMR 8523, CNRS/Université de Lille) à l’Université de Lille, spécialisé dans les activités de recherche relevant de la lumière et de la matière.