Quelle stratégie adopter afin de tester efficacement et rapidement une population toujours plus importante à mesure que déferle une seconde vague de Covid-19 ? Les techniques de tests groupés – ou group testing – semblent les plus prometteuses. Afin de dépister une population, on peut en effet tester l’ensemble des individus, ce qui implique un nombre important de tests, ou bien tester des groupes d’individus. Dans ce cas, toutes les personnes subissent un prélèvement, et l’on réalise un seul test dans le groupe : s’il s’avère négatif, cela signifie que tout le groupe est négatif ; s’il est positif, on procède alors à des tests individuels complémentaires. Cette approche permet ainsi de réduire nettement le nombre d’analyses à réaliser, tout en restant fiable.
Optimiser les stratégies de group testing
Comment former ces groupes – et selon quels critères – afin de garantir l’efficacité de la procédure ? Les chercheurs de l’équipe Inocs au centre Inria Lille-Nord Europe ont apporté une réponse. « Nous travaillons sur des problèmes d’optimisation, en nous intéressant particulièrement à la programmation mathématique pour la résolution de problèmes d’optimisation de grande taille », explique Luce Brotcorne, directrice de recherche et responsable de l’équipe. Ces méthodes mathématiques, qui permettent de résoudre des problèmes impliquant un grand nombre de variables et de critères de décision (souvent imprédictibles, comme le comportement d’un consommateur), trouvent par exemple leur application dans les réseaux de distribution d’énergie, de marchandise ou de services.
« Nous collaborons régulièrement avec le secteur industriel, qui nous pose des problèmes nouveaux. Ces interactions sont mutuellement enrichissantes car elles nous conduisent à apporter des solutions opérationnelles tout en enrichissant nos travaux de recherche fondamentaux », commente Frédéric Semet, professeur de mathématiques à l’École centrale de Lille et chercheur de l’équipe. Néanmoins, le secteur de la santé n’est pas inconnu d’Inocs, l’équipe ayant en effet développé une méthodologie permettant d’optimiser des protocoles de soin pour des patients hospitalisés à domicile.
Au début du confinement, une chercheuse de l’équipe, Martine Labbé, a donc eu l’idée de travailler sur l’optimisation des tests groupés pour la Covid-19.
« Nous réalisons une veille scientifique permanente sur les méthodes d’optimisation, commente Luce Brotcorne. Nous avons eu ainsi connaissance de travaux récents consacrés au group testing. Cette technique est connue depuis les années quarante, mais la détermination de la taille et de la constitution des groupes pose un problème. Pendant longtemps, on a considéré que cette question ne pouvait être résolue que de façon approximative. La publication identifiée par Martine Labbé montre qu’en réalité il est possible de trouver une solution optimale, au moyen de techniques mathématiques comme nous les développons dans Inocs, et ce, même lorsque le nombre de patients considérés est très grand », poursuit la chercheuse.
Travailler avec des données détaillées
Les chercheurs d’Inocs ont généralisé les résultats de cette publication, en développant un algorithme intégrant des contraintes supplémentaires, comme celle portant sur la taille maximale des groupes à tester, ce qui est très important dans le cas de la détection de la Covid. Un élément-clé de leur approche consiste à tenir compte explicitement de la différence de prévalence** de la maladie au sein de la population.
Afin d’optimiser la constitution des groupes de tests, les chercheurs ont ainsi eu besoin d’analyser des données épidémiologiques détaillées et anonymisées. « Pour ce faire, nous travaillons en étroite collaboration avec des statisticiens des centres Inria de Nancy Grand-Est et de Rennes Bretagne-Atlantique, ainsi qu’avec des médecins et virologues du CHU de Lille », indique Luce Brotcorne.
Quels sont les résultats préliminaires de ces recherches sur des données agrégées publiques ? « Notre algorithme permet de réduire le nombre de tests quotidiens de plus d’un quart par rapport à une approche en masse : à même capacité de tests, il est donc possible d’en réaliser chaque jour un plus grand nombre », explique Frédéric Semet.
Fédérer l’énergie d’une équipe
Le projet a été conduit en quelques mois, en partie pendant le confinement, par l’ensemble des chercheurs de l’équipe, tous mobilisés autour de cet objectif : « C’est plutôt rare, et c’est une expérience enrichissante, car nous travaillons habituellement à deux ou trois sur les projets de l’équipe », commente le chercheur.
Les membres d’Inocs attendent maintenant avec impatience les retours des équipes du CHU de Lille sur les performances de leur algorithme et pensent à d’autres développements. Au-delà de cet hôpital, ils envisagent par exemple un partenariat plus large avec les éditeurs de logiciels dans le domaine de l’analyse médicale. « Notre approche ne se limitant pas à la seule Covid-19, nous pensons l’adapter à la détection d’autres maladies en prenant en compte leurs caractéristiques spécifiques », conclut Luce Brotcorne.
*Inocs – pour INtegrated Optimisation with Complex Structures – est une équipe mixte, commune à Inria, Centrale Lille et l’Université libre de Belgique. Constituée de six chercheurs permanents, elle accueille douze doctorants et postdoctorants et deux ingénieurs de recherche.
** La prévalence d’une maladie est le nombre de cas enregistrés pour un groupe déterminé (et affiné par exemple selon des catégories d’âge, de sexe, etc.).
*** Tifaout Almeftah, Luce Brotcorne, Diego Cattaruzza, Bernard Fortz, Kaba Keita, Martine Labbé, Maxime Ogier, Frédéric Semet.