J’ai posé ma candidature à cette bourse ERC parce que des collègues l’avaient obtenue avant moi, que j’approchais de la limite d’âge pour les Starting Grant et que je souhaitais disposer de plus de moyens, raconte Émilie Chouzenoux, membre de l’équipe-projet Opis au centre de recherche Inria Saclay - Île-de-France et spécialiste reconnue des algorithmes d’optimisation pour la reconstruction d’images médicales . « Objectif atteint ! Je vais pouvoir créer mon équipe de recherche, recruter six collaborateurs, acquérir un serveur de calcul haute performance ; et je l’espère, obtenir les résultats annoncés. »
Depuis sa thèse, préparée entre 2007 et 2010, la jeune chercheuse a consacré tous ses travaux à ce sujet, défriché des thématiques originales, signé une cinquantaine d’articles, collaboré avec l’Institut Gustave-Roussy, centre spécialisé dans la recherche sur le cancer, ou avec General Electric Healthcare, leader mondial de l’imagerie médicale.
L’imagerie médicale est performante, mais largement perfectible
L’ERC a été sensible à ces marques d’excellence. Mais plus encore, au caractère novateur de son projet. Émilie Chouzenoux compte réaliser un saut qualitatif en matière de résolution et de contraste des images médicales, pour des diagnostics plus fiables et des traitements mieux ciblés.
L’imagerie médicale d’aujourd’hui est performante, mais largement perfectible. Certains examens doivent être refaits parce que l’image n’est pas nette.
Les services d’urgence, qui ne peuvent pas attendre, utilisent des algorithmes simplifiés au prix d’images de moins bonne qualité.
Une technique émergente comme la microscopie multiphotonique (alternative à la microscopie confocale, apporte certains avantages notamment dans le cas d’observation d’échantillons épais et vivants et particulièrement adaptée à l’étude de tissus intacts - coupe de cerveau, embryons, organes entiers - sur une longue durée) n’atteint pas la résolution nanométrique qu’elle laissait espérer, etc.
L’image médicale ne se capture pas, elle se reconstruit
Les obstacles à surmonter ne viennent pas des imageurs mais de l’exploitation des données qu’ils enregistrent. Un scanner, un appareil d’IRM, un microscope électronique convertissent la lumière en valeurs numériques. Reconstruire l’image à partir de ces valeurs pose de redoutables problèmes mathématiques, résolus avec des algorithmes d’optimisation. Il en existe beaucoup, mais très peu peuvent suivre l’inflation des données capturées par les équipements d’imagerie : des centaines de milliers de valeurs, voire des millions, pour une seule image !
La rupture que vise Émilie Chouzenoux porte sur des algorithmes dits de "majoration - minimisation", capables d’absorber cette montée en charge tout en étant plus rapides et plus robustes. Ceci pour obtenir des images mieux "résolues", plus nettes, et moins "bruitées", c’est-à-dire offrant plus de contraste entre la zone d’intérêt – tumeur, trait de fracture – et ce qui l’entoure.
Parallélisation des calculs et images enrichies
Le projet ERC, baptisé MAJORIS, porte notamment sur la parallélisation des calculs. Pour traiter des millions de données, il faut les distribuer entre plusieurs machines, puis partager les résultats et les agréger pour obtenir une image cohérente. Or, la majorité des algorithmes d’optimisation actuels ne sont pas faits pour un tel exercice. Émilie Chouzenoux a commencé à en évaluer de nouveaux, avec de premières conclusions encourageantes.
Autre défi : prendre en compte les erreurs des modèles mathématiques d’équipements. Ces modèles répertorient la physique des capteurs, la zone couverte par chacun, leur distance au patient, etc. ; autant de données indispensables pour reconstruire les images. Mais si elles sont simplifiées à l’excès, voire erronées - cela arrive - l’image et le diagnostic seront faux.
Nous allons développer des algorithmes capables, en un minimum d’étapes, de produire malgré tout des images fiables.
Enfin, Émilie Chouzenoux a proposé un objectif encore plus ambitieux : obtenir des images enrichies, par exemple une tumeur entourée d’un contour bien délimité ou une tumeur assortie d’un intervalle de confiance (plus ou moins X%) sur ses dimensions exactes. « C’est l’aspect scientifique le plus délicat du projet. Mais je suis optimiste sur nos chances de réussite. »
L’équipe OPIS
L’équipe Optimisation, imagerie et santé (OPIS) du centre de recherche Inria Saclay - Île-de-France travaille sur trois sujets :
- les algorithmes pour la reconstruction/restauration d’images médicales obtenues par IRM, scanner, microscopie ou tomosynthèse (tomographie à rayons X sur un angle limité) ;
- l’analyse de données complexes sous forme de graphes, par exemple le développement de foyers épidémiques sur un territoire ;
- les techniques d’apprentissage profond pour le diagnostic et la prévention de maladies à partir d’images médicales.
OPIS collabore avec des équipes de recherche en France et à l’étranger (États-Unis, Inde), et avec des industriels, dont GE Healthcare.
Dates clés d'Emilie
- 2007 : ingénieure de l’École centrale de Nantes, spécialité Traitement du signal ;
- 2007 - 2010 : doctorat à l’Institut de recherche en communications et cybernétique de Nantes ;
- 2011 : maître de conférences à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée ;
- 2016 : chercheuse associée au Centre de vision numérique (Centrale Supélec – Inria Saclay) ;
- 2017 : habilitation à diriger des recherches ;
- 2018 : bourse ANR jeune chercheuse jeune chercheur de 150 000 euros sur quatre ans ;
- 2019 : chargée de recherche au centre Inria Saclay - Île-de-France, équipe Opis – bourse ERC Starting Grant de 1,5 million d’euros sur cinq ans.
AI For Health Challenge 2019 pour améliorer la lutte contre le cancer
Émilie Chouzenoux a participé comme directrice scientifique et membre du jury au challenge AI for Health 2019 de la région Île-de-France, doté de 1 million d’euros.
Ouvert aux PME et startups, il leur proposait de développer des algorithmes pour prédire le risque de rechute du cancer du sein et de détecter un biomarqueur pronostique, à partir de données et d’imageries anonymisées de patients. Owkin , la lauréate, a conçu d’excellents algorithmes.
« C’est l’un des intérêts de ce challenge : identifier des partenaires industriels de qualité avec lesquels nous pourrons collaborer par la suite. »