Vous êtes membre de l’équipe BiPoP d’Inria Grenoble-Rhône-Alpes. En quoi consiste votre projet ?
Aujourd’hui, nous disposons de simulateurs de mouvement relativement réalistes pour des systèmes mécaniques aussi complexes que les vêtements ou les cheveux. Par contre, simuler un objet réel particulier se révèle très difficile. La principale difficulté réside dans le paramétrage physique du simulateur : il faut considérer la raideur de l’objet, sa masse, sa forme au repos, son coefficient de frottement…
Mon projet propose une méthode inverse originale pour estimer ces paramètres, simplement à partir de l'observation de la forme de l'objet réel. L'idée sous-jacente est qu'à partir de données purement géométriques, il soit possible d’en extraire des informations sur les propriétés mécaniques de l'objet.
Ce sujet de recherche va me permettre de pousser plus loin encore mes travaux de modélisation des structures complexes, comme les assemblages de fibres flexibles ou les surfaces déformables que sont les chevelures et les vêtements.
Pour observer précisément la forme d'un objet réel, je vais utiliser des outils de capture et de reconstruction 3D. En multipliant les poses statiques, je pense qu’il sera alors possible d’obtenir des résultats très fins sur les propriétés mécaniques de l'objet, tenant aussi compte des contacts et des frottements. Simplement à partir de la forme observée et sans aucun processus de mesure invasif, nous pourrons alors caractériser précisément l'objet et prédire ses mouvements futurs, en fonction des forces auxquelles il sera soumis.
Enfin, je souhaite réaliser des expérimentations sur les modèles réels pour pouvoir valider la qualité de nos modèles virtuels.
Pourquoi les contacts et frottements ont-ils une telle importance dans la modélisation ?
Tout simplement parce qu’ils jouent un rôle très important dans le réalisme des simulations générées. En informatique graphique, ce réalisme se traduit par une richesse visuelle accrue : le volume des objets est conservé et l'effet de seuil, typique du frottement solide, est capturé.
Dans le cas des cheveux par exemple, qui sont l'un des systèmes les plus complexes à modéliser, si nous voulons réaliser une scène où la chevelure va glisser puis s'accrocher naturellement sur les épaules d’une héroïne, tout en gardant son volume d'origine, il faut tenir compte du contact et des frottements des cheveux entre eux, et avec le corps du personnage.
Ces questions sont au cœur de mon travail depuis mon arrivée en 2007 au sein de l’équipe BiPoP où, avec mes étudiants, nous avons développé de nouveaux modèles de fibres dynamiques ainsi que des outils de résolution efficaces pour simuler le contact frottant. Appliquer nos résultats à la réalisation d’images de synthèse me permet aussi de concilier deux passions : les mathématiques et les arts graphiques.
J’ai eu la chance de voir nos résultats utilisés par plusieurs studios d’animation, depuis la start-up française Néomis Animation, aujourd'hui spécialisée dans la coiffure virtuelle, jusqu'à la société Néo-Zélandaise Weta Digital, l'un des leaders mondiaux dans la production d'effets spéciaux. Celle-ci a notamment réalisé la simulation de fourrure de divers personnages dans le film The Hobbit grâce à nos algorithmes de résolution du contact frottant.
De plus, je transfère régulièrement mes résultats de recherche à des entreprises du secteur de la beauté et de la cosmétique, comme L’Oréal.
Comment allez-vous utiliser cette bourse ERC ?
Au-delà de la satisfaction de voir mon projet distingué, l’aspect financier est crucial. Grâce aux 1,5 million d’euros sur cinq ans, mon projet va me permettre de recruter trois doctorants, deux postdoctorants et un ingénieur.
Je vais également pouvoir m'associer à des experts de vision par ordinateur et de reconstruction 3D, ainsi qu'à des physiciens et mécaniciens, aussi bien théoriciens qu'expérimentateurs.
Sans cette bourse, il me serait difficile de m'engager dans une aventure multidisciplinaire d'une telle envergure.