Des maquettes numériques
Au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, les "décideurs" faisaient construire des "plans-relief", de gigantesques maquettes des principaux ports et forteresses de France, afin de mieux diriger la défense du royaume. Avec de nouveaux outils, le besoin d'une modélisation précise et réaliste persiste. Depuis 2008, la startup nancéienne RhinoTerrain, lauréate du concours i-LAB d'aide à la création d'entreprises de technologies innovantes, propose à ses clients une gamme logicielle pour penser la gestion d'une ville ou l'aménagement d'un territoire. De véritables maquettes numériques, comme celles produites par le logiciel RhinoCity, qui pour Hervé Barthélemy, cofondateur de RhinoTerrain, « sont proches de ces jeux vidéo où vous pouvez construire et gérer une ville imaginaire complexe, mais on s'adresse ici aux professionnels et on modélise la complexité architecturale d'une ville réelle ».
L'outil est utilisé aujourd'hui par sept des dix plus grandes métropoles françaises. L'expérience de RhinoTerrain en géomatique, rencontre entre la géographie et l'informatique, se retrouve dans le parcours de ses fondateurs, Frédéric Thomas et Hervé Barthélemy, le premier d'abord géomètre avant de valider un DESS d'informatique et le second docteur en informatique, ancien enseignant-chercheur à l'université de Lorraine et membre d'ISA, une ex-équipe Inria. En 2019, c'est un nouveau projet intitulé Rhino Point Cloud qui a réuni une nouvelle fois ces entrepreneurs avec les chercheurs d'Inria.
Dessiner au LiDAR
Pour simuler dans les détails une ville entière, le logiciel RhinoCity repose sur la photogrammétrie, une technique de modélisation à partir d'un grand nombre de photographies aériennes d'une résolution vertigineuse : « Un pixel représente un carré de 4 cm », précise Hervé Barthélemy. Mais depuis le début des années 2010, les entreprises en acquisition d'images embarquent aussi dans leurs avions des LiDAR (Light Detection And Ranging) et proposent à leurs clients des données recueillies avec ce système de télédétection par impulsions laser.
Avec le LiDAR, des milliards de faisceaux laser sont envoyés vers le sol, un point est marqué tous les 20 à 30 centimètres de la zone couverte. Selon la qualité et la latence du signal au retour, il est alors possible d'inférer les caractéristiques des surfaces pointées et de produire ces nuages de points. « De plus en plus de clients se sont retrouvés avec ces grands volumes de données sans savoir comment les utiliser. Pour les exploiter, il nous fallait un bon algorithme et nous nous sommes tournés vers Inria pour bâtir cet outil de reconstruction d'images », explique Hervé Barthélemy. Car c'est seulement en s'éloignant du nuage qu'il est possible de reconnaître la forme d'une ville. En zoomant, on ne distingue plus que des points épars. Depuis décembre 2019, Justine Basselin a débuté une thèse chez RhinoTerrain pour tâcher d'y remédier et de simplifier la reconnaissance de bâtiments dans ces ensembles de points en trois dimensions. Elle partage son temps de travail à Nancy, sur quelques centaines de mètres de distance, entre les bureaux de RhinoTerrain et ceux de l'équipe Pixel, une équipe-projet commune entre Inria et le Loria.
En mode semi-manuel
Dmitry Sokolov dirige cette équipe experte en géométrie numérique : « Nous avons une longue expérience en synthèse d'image pour le cinéma et l'industrie du jeu vidéo. Avec RhinoTerrain, nous poursuivons nos recherches en géométrie numérique. L'enjeu c'est de réussir à faire un maillage en trois dimensions, donc à découper ces nuages de points en petits morceaux, toits, lucarnes, murs, etc. » Que ce soit pour RhinoTerrain ou pour la Nasa, ce travail de maillage est actuellement réalisé par des opérateurs humains : « 80 % des ressources de simulation numérique sont dédiées à la création manuelle de ces maillages. Avec les LiDAR, tout est manuel. Avec le travail de Justine, nous essayons de faire du semi-manuel. »
La jeune ingénieure de Télécom Nancy a découvert le computer graphics auprès de Bruno Lévy, actuel directeur du centre Inria Nancy - Grand Est et camarade d'école doctorale d'Hervé Barthélemy. La doctorante est ravie : « J'ai le goût du visuel et du graphisme et puis, dans ce domaine, quand on lance son algo, on voit tout de suite le résultat. » L'algorithme de Justine Basselin facilite le travail des opérateurs en détectant les toitures dans les nuages. Elle leur donne aussi des modèles pour reconstruire plus facilement ces villes numérisées. En mars, Justine Basselin participait à la finale régionale de Ma thèse en 180 secondes. Elle y a expliqué l'intérêt énergétique de ses recherches : « Avec ces modélisations, les collectivités peuvent repérer les puits de chaleur dans les villes, et identifier les toitures les mieux exposées à la lumière pour y placer des panneaux solaires. » Sa thèse prendra fin en 2022 mais la dynamique nancéienne va se poursuivre. RhinoTerrain pourrait aussi revenir vers Inria dans les années à venir pour développer de nouveaux outils.
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