C’est au salon professionnel Formnext 2019, en novembre dernier à Francfort, que le monde de l’impression métal 3D a découvert le potentiel des recherches de l’équipe Inria MFX. Celle-ci a annoncé en effet son partenariat de R&D avec AddUp, fabricant de machines créé en 2016 par Michelin et le groupe d’ingénierie Fives, ainsi qu’une première innovation issue de cet accord.
Jusqu’ici, MFX était connue pour son logiciel IceSL, qui cible principalement les technologies à filament plastique. Avec AddUp, spécialiste des machines de fabrication métallique, ses algorithmes s’installent au cœur d’une nouvelle catégorie de procédés.
Des dépôts de matière trois fois plus fins qu’un cheveu
« Nous avons des projets de collaboration avec plusieurs industriels, révèle Sylvain Lefebvre, responsable de MFX et directeur de recherche Inria. Mais AddUp ouvre des perspectives uniques, compte tenu de la qualité exceptionnelle de ses machines et des applications visées. »
Pour comprendre la portée de l’innovation présentée en Allemagne, il faut rappeler que la fabrication additive réalise des pièces par « tranches » successives. Chacune des tranches est fabriquée en déposant de la matière (métal, résine…) au-dessus de la tranche précédente, de la même façon qu’on colorierait une feuille de papier. Le « trait » le plus fin ne dépasse pas 35 microns : le tiers de la largeur d’un cheveu !
Des possibilités bridées par les logiciels de préparation
Et tout comme le crayon peut emprunter divers chemins pour colorier, le dépôt de matière peut épouser différentes trajectoires et dessiner des motifs de forme, de taille, d’espacement et d’orientation variables. Une seule tranche peut comporter des milliers de trajectoires ! Or, celles-ci déterminent les propriétés de la future pièce (rigidité, porosité, densité, tenue mécanique, couleur…), à la fois globalement et localement puisque chaque tranche peut être différente des autres.
« La fabrication additive offre un éventail infini de possibilités : c’est l’une des raisons de son essor, explique Sylvain Lefebvre. En revanche, les logiciels de préparation qui servent à tester et à valider les trajectoires au préalable peuvent devenir un frein. S’ils consomment trop de mémoire et de temps de calcul, il devient très difficile de concevoir et de comparer plusieurs stratégies de fabrication.»
Cinq fois moins de temps pour calculer les trajectoires
C’est à ce verrou technologique que l’équipe MFX et AddUp se sont attaqués avec succès. Grâce à un travail ciblé d’amélioration des algorithmes, les calculs de trajectoires d’AddUpTM Manager, le logiciel de préparation de l’industriel, sont devenus jusqu’à cinq fois plus rapides par rapport à la version précédente !
« Les utilisateurs ne vont pas seulement gagner des minutes ou des heures, souligne Sylvain Lefebvre. Ils pourront aussi comparer plus rapidement plusieurs approches de fabrication et choisir la meilleure, sur des critères comme la productivité ou les propriétés mécaniques de la pièce finie. »
Une innovation scientifique et technique issue des travaux de recherche d’Inria
Les algorithmes utilisés s’appuient sur des résultats de recherche de MFX, issus notamment du projet SHAPEFORGE soutenu par le Conseil européen de la recherche (ERC). Ces résultats sont rendus accessibles au grand public via le logiciel IceSL de l’équipe, résultat d’un second projet ERC pour le transfert industriel. Le logiciel IceSL permet de modéliser des objets en 3D, de les décomposer en tranches et de faire varier leurs propriétés physiques d’une tranche à l’autre grâce au pilotage précis de l’impression.
« Attention, nuance Sylvain Lefebvre, IceSL est un outil non commercial disponible gratuitement en téléchargement, et non un produit industriel. Mais il reflète le savoir-faire et l’expertise de l’équipe, dont AddUp et nos autres partenaires bénéficient. »
Vers des pièces plus grandes et plus complexes
Au-delà du gain de temps, très spectaculaire, la nouvelle version d’AddUpManagerTM fait évoluer le monde de l’impression 3D sur deux aspects.
D’abord, elle conforte AddUp dans sa volonté d’intégrer la génération de trajectoires dans son logiciel de préparation, et non dans ses machines comme beaucoup de concurrents. Or un logiciel, par nature plus flexible, peut donner naissance à des pièces plus complexes.
L’automobile et l’aérospatiale peuvent rêver de structures de type éponge, mousse ou nid d’abeilles, pour alléger leurs produits. Le secteur médical peut envisager des prothèses sur mesure pour chaque patient, sans surcoût notable. Celui du luxe peut créer des objets aux formes débridées…
Seconde évolution : le nouveau logiciel est assez puissant pour préparer la fabrication d’objets plus grands, sans être engorgé par l’inflation du volume de données à traiter. Or, cette course à la taille est un des enjeux de l’impression 3D. Les pièces les plus grandes d’aujourd’hui font quelques dizaines de centimètres de côté ; d’ici quelques années, le cap du mètre sera franchi. AddUp et Inria semblent bien armés pour participer à cette compétition mais ne dévoilent pas le détail de leur stratégie dans ce domaine très compétitif : « Notre collaboration continue », annonce sobrement Sylvain Lefebvre.