Prévenir les maladies cardiaques grâce à l’intelligence artificielle
Les maladies cardiaques sont la principale cause de décès dans le monde et la deuxième cause de décès au Japon. L'électrocardiographie est largement employée pour détecter les anomalies du muscle cardiaque et les irrégularités des pulsations, mais elle ne se prête pas bien au diagnostic des pathologies liées à la forme et au mouvement du cœur. Pour cela, les médecins ont recours à l'échographie cardiaque, un examen qui doit être réalisé dans des installations spécialisées et n'est donc pas forcément accessible à tous les patients, compliquant de ce fait la détection précoce. Mais de récents progrès sur une technique utilisant l'intelligence artificielle redonnent espoir.
Au mois d’octobre, Fujitsu et l'hôpital universitaire de Tokyo ont démarré un essai clinique visant à évaluer l'efficacité de l'intelligence artificielle dans la détection précoce des maladies cardiaques à partir des données fournies par les électrocardiogrammes. Cet essai fait appel à une technologie d’intelligence artificielle développée par Fujitsu et Inria afin de détecter des anomalies dans des données de séries temporelles grâce à une méthode d'analyse des formes d'ondes basée sur l'analyse topologique des données (TDA). L'IA sera utilisée pour identifier la présence ou l'absence de mouvements anormaux du cœur chez des patients soumis à des électrocardiogrammes à l'hôpital universitaire de Tokyo. Un médecin réalisera une échographie cardiaque sur les patients pour lesquels la technique d’IA a révélé des anomalies, et les résultats prédits par celle-ci seront comparés au diagnostic médical.
Un partenariat solide
Cette application pour la prévention de la santé a été rendue possible par le partenariat de recherche entre Fujitsu et l’équipe-projet DataShape commune Inria – Laboratoire de Mathématiques d’Orsay (Université Paris-Saclay) qui a débuté en 2017, dans le cadre d'un plan d'investissement de plusieurs millions d'euros lancé par le groupe japonais pour soutenir l'innovation numérique en France. « Il existe en France un fort potentiel de partenariats susceptibles d’améliorer à la fois nos recherches et notre activité commerciale dans le numérique, indique Yuzuru Yamakage, responsable du Département des services d'IA de Fujitsu Limited. Les résultats prometteurs obtenus par DataShape dans le développement d'outils d'IA en ont fait un partenaire idéal. »
La complémentarité entre les deux parties rend également ce partenariat très constructif pour Inria. « C'est l'une des collaborations les plus fructueuses que nous ayons menées jusqu'à présent », déclare Frédéric Chazal, responsable de l’équipe-projet DataShape à Inria. « Nous formons une équipe très soudée avec les ingénieurs et les chercheurs de Fujitsu. Ils apportent des problématiques industrielles inspirantes et nous le savoir-faire académique, et nous travaillons ensemble sur les aspects scientifiques. »
Ouverture à la communauté de l'IA
Le succès du partenariat de recherche Fujitsu-Inria se mesure également en termes de publications. Les travaux réalisés ont été présentés lors de conférences majeures sur l'apprentissage automatique en IA, comme IJCAI, AISTATS ou la conférence ICML 2021, pour laquelle un de leurs articles récents a été sélectionné pour une présentation orale. Des ateliers dédiés ont également été organisés lors de la conférence NeurIPS 2020.
« Notre objectif est de publier un petit nombre d'articles de haute qualité qui seront présentés dans les meilleures conférences et revues », précise Frédéric Chazal. « Avec l’aide de Fujitsu, mon équipe est également en train de développer la bibliothèque de logiciels open source GUDHI, qui met nos travaux à la disposition de l'ensemble de la communauté de l'IA ». « Il peut sembler inhabituel qu'une entreprise soutienne une initiative de cette nature », ajoute Yuzuru Yamakage, « mais nous voulons encourager un développement plus large de la TDA, et le fait de limiter l'accès aux connaissances que nous avons acquises à nos seuls ingénieurs n’aurait aucun bénéfice pour la communauté de l'IA à une échelle plus vaste. Et un intérêt accru pour la TDA serait également synonyme de nouvelles opportunités commerciales pour Fujitsu. ».
Traquer les données de séries temporelles
Leur programme de recherche conjoint est axé sur le développement de méthodes d'analyse TDA pour une série d'applications de l’intelligence artificielle, dont le domaine de la santé.
Verbatim
Notre technologie utilise la TDA pour extraire les différentes caractéristiques cachées dans les données de séries temporelles, et les convertit en une figure. en les cartographiant sur un graphique.
Responsable du Département des services d'IA de Fujitsu Limited
En mars 2020, ils ont annoncé avoir développé ensemble une technologie inédite qui crée automatiquement des modèles d'IA permettant de détecter des anomalies dans des données temporelles. Il s'agit notamment de données détectées par des capteurs connectés ou de données biologiques, qui contiennent de nombreux types d'informations avec des interconnexions complexes. Certaines caractéristiques apparaissent sur des périodes courtes, d'autres sur des périodes longues, et il peut aussi s’agir de grandeurs comme la fréquence et l'amplitude. Ces données de séries chronologiques sont ainsi souvent très volatiles, et rendent difficile l’identification d’anomalies ou de modèles significatifs.
« Notre technologie utilise la TDA pour extraire les différentes caractéristiques cachées dans les données de séries chronologiques, et les convertit en une figure en les cartographiant sur un graphique qui représente la longueur de la période de temps et les caractéristiques du comportement de la forme d'onde sur cette période », explique Yuzuru Yamakage. « Cette représentation claire permet aux utilisateurs disposant d'une expertise limitée d'analyser et d'identifier plus simplement et plus rapidement les anomalies éventuelles ».
Des applications au service de la prévention
Avant d'être appliquée dans le cadre de l'essai clinique mené à l’hôpital universitaire de Tokyo, cette technologie a été testée dans plusieurs domaines. Dans la maintenance d’infrastructures assistée par l'IA, l'équipe a utilisé son algorithme pour analyser les données de contrôle provenant de capteurs installés sur des ponts, et a pu détecter des dommages internes et prédire où et quand les ingénieurs devaient effectuer des réparations préventives.
Verbatim
La TDA résiste très bien aux différents types de déformation des données, et donne de meilleurs résultats lorsque que l’on intègre de nouveaux patients dans le système.
Responsable équipe-projet DataShape (Inria - Université Paris-Saclay)
Ils ont également étudié sa capacité à détecter avec précision les cas d’arythmie, des troubles du rythme cardiaque qui peuvent annoncer une maladie cardiaque grave comme la fibrillation ventriculaire. Dans ce domaine, la TDA a atteint une précision bien supérieure aux autres méthodes, et a réduit de 70 % les erreurs de classification de la gravité de l'arythmie. « La plupart des modèles d'intelligence artificielle existants sont efficaces pour caractériser l'arythmie chez les personnes pour lesquelles cette pathologie a déjà été observée, mais sont peu adaptés pour les nouveaux patients » précise Frédéric Chazal. « La TDA résiste par contre très bien aux différents types de déformation des données, et donne donc de meilleurs résultats lorsque que l’on intègre de nouveaux patients dans le système. »
Des premiers résultats prometteurs
En décembre 2019, Fujitsu a également entamé une collaboration avec l'hôpital universitaire de Tokyo afin d’exploiter la nouvelle technologie TDA dans l'analyse des électrocardiogrammes. « Nous travaillons avec le Dr Katsuhito Fujiu du Département de médecine cardiovasculaire pour détecter les mouvements cardiaques anormaux liés à la fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG)1 », indique Yoshimasa Kadooka, expert principal de la Division DX Services (Transformation numérique) de Fujitsu Limited. « Une FEVG basse peut être le symptôme de plusieurs maladies cardiaques graves, dont la détection précoce est capitale ».
L'équipe a utilisé la TDA pour mettre au point un modèle d'IA permettant d'analyser environ 630 000 éléments de données issues d’électrocardiogrammes, ainsi que les résultats de quelque 140 000 échographies cardiaques. Grâce au niveau de précision élevé obtenu avec cette méthode dans la détection des mouvements cardiaques anormaux, elle constitue une base prometteuse pour l’essai clinique actuellement en cours. Si celui-ci confirme les résultats initiaux, cette technique apportera une contribution significative à la détection précoce des maladies cardiaques et à la prévention de l'évolution des troubles en pathologies graves.
Verbatim
Nous travaillons avec le Dr Katsuhito Fujiu du Département de médecine cardiovasculaire pour détecter les mouvements cardiaques anormaux liés à la fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG)1.
Expert principal de la Division DX Services (Transformation numérique) de Fujitsu Limited
« Sur la base des résultats de cet essai clinique, nous espérons promouvoir la recherche et le développement d'une solution permettant de détecter les troubles des mouvements cardiaques à un stade précoce », poursuit Yoshimasa Kadooka. « Nos travaux de recherche conjoints avec Inria et l'Université de Tokyo représentent une part importante des démarches engagées par Fujitsu pour tirer profit de l'intelligence artificielle dans une série d'applications de médecine préventive, dans le but ultime d'améliorer la qualité de vie dans l’ensemble de la société », conclut-il.
1. Pourcentage du volume total de sang quittant le ventricule gauche pour desservir l'ensemble du corps à chaque battement de cœur.