Des puces RFID aux objets connectés
À l'origine de l'Internet des objets (IoT) il y a un rêve, qui consiste à donner une vie numérique aux objets du quotidien. « La technologie RFID (identification par radiofréquence, jusqu'à dix mètres), aujourd'hui très mature et répandue, s'est imposée pour connecter un très grand nombre d'objets - les cartes de transports, les livres en prêt dans les bibliothèques ou bien encore les antivols des bâtiments », se remémore Nathalie Mitton, responsable de l'équipe-projet FUN du centre Inria Lille-Nord Europe. « Il suffit de donner un identifiant unique à un objet puis de lire les données collectées, via un lecteur, pour qu'elles soient automatiquement remontées vers Internet. »
Dans un deuxième temps, une foule d'objets connectés sont apparus et se sont démocratisés : ils utilisent des technologies réseaux éprouvées, comme les réseaux Wi-Fi et bluetooth, pour communiquer avec les box Internet installées à domicile ou dans l'entreprise. Cette catégorie regroupe aussi bien les montres connectées que les alarmes ou les balances connectées.
Les capteurs déferlent dans tous les environnements
Aujourd'hui, la nouveauté tient au fait que l'IoT s'est étendu à l'intégralité du monde physique, par le biais d'une multitude de capteurs qui nous aident à intégrer dans des interfaces numériques les informations qu'ils récoltent. Il y a par exemple des capteurs de données liés à l'environnement (température, pression atmosphérique…) et d'autres qui collectent des données dans les bâtiments pour ajuster en conséquence le chauffage, la climatisation ou la luminosité des éclairages », indique Nathalie Mitton.
Certains de ces nouveaux objets se trouvent à portée de box et sont donc en mesure de transmettre sans difficulté leurs informations. Mais d'autres sont installés dans des environnements qui ne sont pas couverts par les réseaux filaires ou sans fil classiques : par exemple dans la cale d'un navire ou au beau milieu d'un champ… « Nos recherches visent entre autres à trouver des moyens de collecter les data dans ces conditions », explique cette spécialiste, avant de souligner que son équipe s'est associée à des chercheurs de l'université sud-africaine de Stellenbosch dans le cadre d'un projet lié à l'agriculture connectée.
Transmissions à courte ou très longue portée
Pour cela, LoRa et Sigfox, deux technologies réseaux d'origine française peuvent être utilisées : ces technologies d'échange de données à longue portée, spécifiquement conçues pour l'IoT, empruntent des réseaux cellulaires (on parle souvent de « Cellular IoT ») pour envoyer à de faibles débits de toutes petites quantités de données. Elles ont, comme toutes les technologies actuelles, des inconvénients et ne sont adaptées qu'à certains types d'utilisations. « La longue portée – jusqu'à 100 km – se fait en effet au détriment du débit et il n'est pas possible d'envoyer des données ou des images dans des délais très rapprochés », détaille Nathalie Mitton. Une autre possibilité, qui fait l'objet de nombreuses recherches, « consiste à faire transiter les données de capteur à capteur jusqu'à ce qu'elles puissent atteindre un point de connexion à Internet ».
Ressources réseaux contraintes et partagées
Depuis 2013, les quinze membres de l'équipe-projet FUN (pour "self-organizing Future Ubiquitous Network") se consacrent à la recherche sur l'auto-organisation des réseaux ubiquitaires du futur. Leurs travaux portent principalement sur les réseaux dédiés aux capteurs sans fil. L'objectif est de concevoir des architectures réseaux capables de s'autostructurer et de communiquer dans des environnements contraints.
De quelles contraintes parle-t-on ? Le plus souvent, ces capteurs ne se connectent pas aux grands réseaux des opérateurs télécom, ou aux bandes de radiofréquences contrôlées par certains corps de métier (pompiers, militaires…), mais ils se partagent de petites bandes de fréquences ouvertes à tous (Wi-Fi, réseau cellulaire, fréquences du domaine de la lumière…), qui ont pour inconvénient d'être rares et encombrées. Il s'agit des bandes ISM (Industriel, scientifique et médical).
Leur utilisation nécessite de relever deux grands défis. Il faut, d'une part, essayer de réduire les risques de retards et de pollution électromagnétique liés aux interférences, par exemple en essayant d'envoyer les données les plus utiles au moment où le réseau est le moins sollicité. Il faut d'autre part trouver des moyens de sécuriser les communications sur des réseaux qui sont par essence ouverts à tous les vents.
Lorsqu'un "nœud malicieux" est détecté, typiquement, il faut que le réseau puisse adapter son protocole de routage pour faire transiter les informations par un relais plus sûr, précise Nathalie Mitton.
Le FUN est dans la maîtrise des contraintes
En plus des craintes qu'ils suscitent quant à la protection de la vie privée, « les capteurs sont aussi souvent de petits objets, qui disposent de ressources limitées en termes de batterie, de puissance de calcul et de capacités de mémoire, et ils sont dans certains cas mobiles (par exemple lorsqu'ils sont embarqués sur des drones ou portés par des animaux) », relève la responsable scientifique.
Pour les chercheurs, les implications de cette diversité de moyens et de contextes sont multiples : à défaut de grandes capacités de stockage, il leur faut trouver des façons de transmettre très vite les informations, pour ne pas risquer de les perdre, et redoubler d'inventivité pour les amener à bon port. « Nous cherchons à faire coexister, voire s'entraider, toutes les technologies de transmission, comme la communication par la lumière, le Wi-Fi ou les réseaux LoRa et Sigfox », indique Nathalie Mitton.
Quant à savoir si les découvertes effectuées risquent d'être rendues obsolètes par l'arrivée en fanfare de la 5G, couvrant en très haut débit mobile de larges portions du territoire, rien n'est moins sûr pour cette spécialiste. Il restera toujours des zones non couvertes, dans les océans ou les territoires les plus reculés. Et il y a fort à parier qu'il y aura de plus en plus de réseaux de capteurs prêts à emprunter à moindres frais les itinéraires bis lorsqu'ils le peuvent…
Deux projets pour l'IoT de demain
CyberSane | Druid-Net | |
L'équipe-projet FUN est étroitement associée à ce projet européen, coordonné par le cabinet de conseil portugais PDMFC et en partie financé par la région Hauts-de-France. L'objectif ? Sécuriser les infrastructures de communication entre capteurs, considérées comme critiques. | Les chercheurs de FUN participent parallèlement à un autre projet européen, soutenu par plusieurs institutions, dont l'Agence nationale de la recherche (ANR). Le but ? Inventer de nouvelles techniques d'allocation dynamique des ressources réseaux. |
Pour en savoir en plus
- « Ne dites pas Internet des Objets, dites Internet du Tout », Binaire, 17/04/2019.
- Présentation vidéo du projet d'agriculture connectée mené en Afrique du Sud par Nathalie Mitton, Fondation I-SITE ULNE, 08/01/2020.
Écouter Nathalie Mitton en podcast
Des capteurs à l'écoute de nos champs (interstices.info)