Rencontre avec Alexandre d’Aspremont, chercheur CNRS en optimisation et machine learning dans l’équipe Sierra (au département d’informatique de l’École normale supérieure, ENS Paris / Inria / CNRS) et cofondateur de la startup.
Dans quel contexte s’inscrit la startup Kayrros ?
Kayrros s’intéresse au secteur de l’énergie et en particulier au pétrole, un marché colossal qui impacte directement l’économie mondiale. C’est la production et la disponibilité du pétrole de schiste qui détermine, entre autres, le prix du baril dans le monde et qui régit l’équilibre du marché. Mais ce secteur est encore opaque et sujet à manipulations. Pour faire monter les prix, des bateaux peuvent par exemple être maintenus au large des côtes. Kayrros se positionne au cœur du problème, en apportant un éclairage quantitatif sur les stocks et les flux de pétrole dans le monde.
Comment mesurer les stocks de pétrole ?
Presque tous les réservoirs de pétrole montent et descendent à mesure qu’ils se remplissent. Il est possible de mesurer leur contenu grâce à l’ombre portée sur le sol ou à leur image radar. Kayrros propose des solutions informatiques qui exploitent automatiquement des images satellites et des données publiques pour générer un indicateur fiable de la quantité de pétrole dans ces réservoirs à un instant donné. Ces solutions utilisent majoritairement les images satellites de Copernicus, le programme d’observation de la Terre de l’Union européenne.
Sur quelles expertises la startup se base-t-elle ?
Les produits développés par Kayrros s’appuient sur une collaboration étroite avec l’ENS Cachan, qui a fait émerger une méthode robuste pour extraire des images satellites des informations quantitatives sur les stocks de pétrole. C’est cette combinaison d’expertises en machine learning et en traitement du signal sur le marché de l’énergie, ainsi que le mélange de données publiques et d’images satellites qui nous démarquent de la concurrence.
Quel est le facteur clé de la réussite du projet ?
Il y a d’abord un facteur humain. Kayrros, c’est à l’origine une bande de copains, avec des intérêts communs et des expertises complémentaires. D’un point de vue technique, c’est une révolution dans l’industrie du spatial qui nous a permis d’exister : le lancement d’une constellation de petits satellites offrant à moindre coût des images de la Terre avec une résolution faible mais suffisante. Ces satellites ont une fréquence de passage élevée et présentent une large couverture optique et radar de la surface du globe, permettant de mesurer les stocks de pétrole en temps réel et à l’échelle du monde entier. La disponibilité de ces images, nos différentes expertises et le flux d’étudiantes et étudiants et d’ingénieurs extraordinaires qui font vivre la startup depuis sa création, sont le moteur de notre activité.
Quelles sont les perspectives pour la startup ?
Nous aimerions d’abord adapter nos algorithmes et décliner nos produits logiciels aux autres formes d’énergies mesurables depuis l’espace. Nous avons d’ailleurs obtenu un financement de la BPI pour aborder la question des énergies renouvelables, solaires et éoliennes. Mais l’information quantitative en temps réel a de l’avenir dans de nombreux autres domaines : l’agriculture, la consommation, l’emploi… La disponibilité des données à traiter est encore limitée mais devrait se débloquer dans un avenir proche. De quoi faire de Kayrros un média quantitatif et macroéconomique à part entière.
Alexandre d’Aspremont, cofondateur de la start-up Kayrros
Ingénieur diplômé de l’École polytechnique, Alexandre d’Aspremont est titulaire de deux postdoctorats. Il réalise le premier à l’École polytechnique en partenariat avec Paribas Markets dans le domaine de la finance quantitative et le second à l’université de Stanford en optimisation. Après un postdoctorat à l’université de Californie à Berkeley sur le même thème, il est recruté en tant que professeur assistant puis professeur associé à l’université de Princeton. En 2011, il profite d’une starting grant de l’ERC pour revenir en France, où il rejoint le centre de mathématiques appliquées (CMAP) de l’École polytechnique. En 2013, il devient directeur de recherche CNRS et professeur attaché au DI ENS. Il fonde Kayrros en 2016 avec quatre collaborateurs, Antoine Rostand, Jean-Michel Lasry, Antoine Halff et Laurent El Ghaoui.