Modéliser l’inconnu pour relever les défis industriels
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Mis à jour le 03/04/2023
Comment optimiser les performances d’un système ? L’équipe-projet Platon du centre Inria de Saclay a trouvé son inspiration dans la Formule 1. Pour pousser à l’extrême la performance des moteurs des voitures de course, les concepteurs cherchent à explorer les configurations les plus performantes mais qui sont en revanche les plus sujettes à des pannes et les plus sensibles aux incertitudes du système. « En Formule 1, les constructeurs savent que les ruptures de performance se cachent dans les zones de fortes incertitudes du système, explique Pietro Congedo, responsable de l’équipe Platon. Tandis que dans les domaines de l’aéronautique, du spatial ou de l’énergie, nous avions l’habitude en Europe de concentrer nos efforts de recherche sur les zones optimales plus robustes, donc par définition moins sensibles aux incertitudes. »
L’exploration de zones potentiellement plus performantes mais aussi à plus haut risque a sans doute été encouragée dans ces secteurs par les progrès simultanés de la simulation numérique et de la modélisation physique. L’information qui vient de données expérimentales est fusionnée avec l’information qui vient de simulations à des résolutions toujours plus élevées permettant la conception d’un modèle numérique qui pourrait venir détrôner définitivement les mesures sur bancs d’essai, trop longues et trop coûteuses.
Seulement voilà, la puissance de calcul des ordinateurs actuels limite encore trop le champ d’action d’une recherche qui voudrait traquer chaque champ d’incertitude. Dans un marché hyperconcurrentiel comme celui de l’aéronautique ou du spatial, l’équipe Platon en a fait le constat et a décidé d’agir en conséquence. « Les incertitudes sont inhérentes aux modèles. Il est nécessaire de les prendre en compte pour estimer le degré de confiance dans la prédiction issue de la simulation numérique et nous rapprocher sensiblement des zones à risques », explique Pietro Congedo. Avec des méthodes numériques innovantes, les scientifiques sont en mesure d’estimer les incertitudes associées à différents modèles et de sélectionner les cas de simulation permettant d’extraire le maximum d’information sous la contrainte d’un budget de calcul imposé.
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Les incertitudes sont inhérentes aux modèles. Il est nécessaire de les prendre en compte pour estimer le degré de confiance dans la prédiction issue de la simulation numérique et nous rapprocher sensiblement des zones à risques.
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Les scientifiques commencent ainsi par estimer toutes les sources d’erreur associées à la prédiction numérique, ce qui permet d’estimer le niveau de fiabilité de la prédiction. Si la marge d’erreur est petite, le degré de confiance dans le modèle numérique est élevé. Dans ce cas, l’équipe s’appuie entièrement sur la simulation numérique et n’engage aucune mesure expérimentale complémentaire. À l’inverse, s’il y a trop d’incertitudes, le degré de confiance des chercheurs dans ces simulations numériques est faible. Les scientifiques peuvent alors sélectionner des configurations et des conditions précises pour procéder à une série de mesures expérimentales. Objectif : optimiser le modèle et proposer divers prototypes à bien plus haute performance. « Cette méthode est beaucoup plus rapide que les précédentes et génère plus de configurations, potentiellement plus performantes, à budget fixé », se félicite Pietro Congedo.
Cette méthode numérique d’optimisation des performances est applicable à de nombreux secteurs de l’industrie. À commencer par l’aéronautique qui cherche à contenir les coûts de production des prototypes, en particulier lors de la conception très onéreuse d’une nouvelle aile d’avion. Si la robustesse de la simulation numérique est particulièrement importante dans le domaine de l’aéronautique, pour des raisons de sécurité évidentes, réaliser des expériences, par exemple pour reproduire le phénomène de turbulence – l'état d’écoulement d'un liquide ou d’un gaz caractérisé par des tourbillons de toutes tailles – reste un processus long et coûteux. Il nécessite la construction du prototype et son suivi en milieu réel (généralement, dans une soufflerie) grâce à une série de tests qui peut durer deux à trois semaines.
Pour un budget de calcul donné, les chercheurs sont désormais capables, grâce à la gestion des incertitudes, de tester numériquement diverses configurations à haut potentiel de performance en un temps record.
C’est le cas par exemple pour le projet Monnalisa (financé par l’initiative technologique conjointe européenne CleanSky). Sa finalité : améliorer le caractère prédictif des simulations numériques turbulentes visant à tester les profils d’aile des futurs avions pour réduire au maximum le nombre de tests expérimentaux à effectuer. Il associe Politecnico Di Milano, l’équipe Platon et l’entreprise italienne Metaltech.
Dans le même domaine, Platon est aussi impliqué dans deux autres projets européens. Le projet européen Nextair qui va commencer en septembre 2022 pour une durée de quatre ans, financé dans le cadre du programme Horizon Europe 2021-2027. Son objectif : développer de méthodes numériques permettant d’inclure les incertitudes dans l’optimisation d’aile de futurs avions. Et le projet TRACES (Horizon Europe 2021-2027) présenté en collaboration avec un consortium avec entre autres Politecnico di Milano et Airbus, portant sur le « icing », autrement dit la formation de glace autour des avions. L’objectif est notamment d’étudier l’impact des incertitudes liées au modèle de la formation des glaces sur la conception des ailes d’avion, ce qui constitue un problème majeur pour l’aéronautique mondiale.