Vers des interfaces cerveau-ordinateur plus fiables
Améliorer la performance des interfaces cerveau-machine (ou BCI: brain-computer interface) qui permettent de contrôler par la pensée un ordinateur, une prothèse ou tout autre système automatisé. Voilà la raison d’être de la nouvelle équipe-projet commune à Inria, Sorbonne Université, l'Inserm et au CNRS, située à l'Institut du Cerveau (ICM), née le 1er octobre dernier : NERV.
« Il existe aujourd’hui des algorithmes capables de détecter les signatures corticales qui correspondent à une tâche, comme celle d’imaginer fermer la main, explique Fabrizio de Vico Fallani, responsable de cette nouvelle équipe. Mais ils n'ont un taux de précision que de 70 à 80%. Or s'il s'agit de contrôler par exemple un fauteuil roulant au moment de traverser la rue, l'erreur n'est pas permise. Il faut donc nous rapprocher le plus possible des 100%. » Marie-Constance Corsi, chercheuse au sein de l’équipe, ajoute : « 15 à 30% des utilisateurs ne parviennent pas à contrôler l’outil même après plusieurs entraînements. Cela peut venir de la machine… ou du sujet. Nous voulons donc identifier des marqueurs qui prennent en compte la spécificité de chaque cerveau. »
Un vaste chantier, qui nécessitait bien une équipe à part entière. Sa création a notamment été rendue possible grâce à l’obtention par Fabrizio de Vico Fallani d’une bourse ERC Consolidator, qui lui octroie 2 millions d’euros pour sept ans. NERV a ainsi pris ses quartiers à l’Institut du cerveau (ICM), laboratoire partenaire d’Inria, et s’inscrit pleinement dans l’axe de recherche établi en 2021 entre ces deux instituts pour développer les neurosciences computationnelles, la neuro-ingénierie et la science des données.
Une équipe, mais plus de six disciplines représentées
Et qui dit interface, dit interdisciplinarité : NERV travaille en collaboration avec des informaticiens, des mathématiciens, des physiciens, des ingénieurs, ainsi que des neurologues, des psychologues et des kinésithérapeutes, dans un joyeux mélange de chercheurs, doctorants, postdoctorants et cliniciens, à l'Institut du Cerveau (ICM).
« Le fait d’être hébergé à l’ICM offre un cadre unique qui nous permet d’interagir avec les cliniciens et de recueillir des données sur des personnes saines, mais également sur des patients, puisque l’ICM se situe au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière », souligne Marie-Constance Corsi. Pour mener à bien ses travaux, NERV va en effet mêler analyses de données, modélisations mathématiques et expérimentations. « C’est un cadre un peu atypique pour un chercheur Inria, car nous baignons dans les neurosciences, remarque le responsable de l’équipe. Mais les échanges de points de vue à 360° sont très enrichissants : les mathématiciens deviennent un peu neurologues et vice versa ! »
Le challenge : fournir de meilleures données aux algorithmes
Pour répondre au double enjeu de l’amélioration des BCI côté machine et côté humain, l’équipe va donc travailler d’une part sur les données à intégrer dans l’algorithme, d’autre part sur les mécanismes neuronaux, spécifiques à chaque sujet. « Sur le premier point, les algorithmes actuels ne sont pas assez performants en raison des caractéristiques qu’ils recherchent, avance Fabrizio de Vico Fallani. Au lieu d’observer chaque région cérébrale individuellement, peut-être faut-il par exemple regarder comment elles s’activent de manière collective et donc envisager le cerveau comme un réseau. »
Ainsi, l’équipe va étudier en profondeur les interactions cérébrales, notamment grâce à l’électroencéphalographie (EEG), à la magnétoencéphalographie (MEG) et à de nouveaux capteurs sur lesquels Marie-Constance Corsi travaille depuis sa thèse. L’objectif : enrichir les données à disposition des algorithmes et ainsi mieux capter l’intention du sujet.
Ensuite, les scientifiques de NERV s’attaqueront à la recherche de biomarqueurs de la performance et de l’apprentissage. Leur ambition ? Pouvoir adapter la stratégie et le programme d’entraînement à chacun des patients.
Verbatim
Nous avons montré dans une étude en 2020 que lorsqu’une personne apprend à utiliser une BCI, son cerveau modifie la façon dont les différentes régions communiquent entre elles lors de cet usage, précise la chercheuse. Donc si nous entraînons l’algorithme sur les caractéristiques de départ, cela ne fonctionnera pas : il faut pouvoir l’orienter vers les données qui suivent l’évolution des performances.
Chercheuse au sein de l’équipe NERV
Une application directe pour les suites d’un AVC
À terme, l’amélioration des BCI pourrait produire un véritable impact sur la vie des personnes paralysées, et notamment chez les victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC).
Verbatim
Le cerveau sait faire preuve de plasticité et pendant un an environ après l’AVC, il est possible que les tâches auparavant accomplies par les aires motrices endommagées soient prises en charge par d’autres régions cérébrales. Mais chez la plupart des patients, ce n’est pas suffisant et c’est là que les BCI peuvent intervenir : pour faciliter la rééducation cérébrale.
Responsable de l’équipe NERV
L’idée des chercheurs est de récupérer les signaux cérébraux émis lorsque le patient imagine accomplir un mouvement donné, puis d’utiliser l’algorithme pour déclencher une prothèse musculaire qui exécutera le mouvement. Ce circuit fermé, combiné à la stimulation magnétique transcrânienne, permettrait alors de rouvrir la "fenêtre de plasticité" et de compléter la rééducation fonctionnelle pour augmenter les chances de récupération. Une expérimentation va débuter en 2024 sur 50 patients.
À l’horizon, de possibles débouchés dans d’autres domaines
NERV s’attache par ailleurs au développement technologique des BCIs. Il a déjà mis au point un logiciel, nommé Happyfeat, qui facilitera le travail du clinicien qui souhaite utiliser une BCI. « Le logiciel permet notamment de visualiser, personnaliser et sauvegarder les paramètres choisis pour assurer ensuite la reproductibilité de l’expérience », annonce Marie-Constance Corsi. Happyfeat sera normalement disponible en open source dès 2024, pour les chercheurs, les médecins et les industriels du monde de la santé.
Mais les débouchés potentiels des recherches de NERV ne se cantonnent pas qu’aux neurosciences : les algorithmes développés pourraient être utilisés dans d’autres disciplines impliquant la modélisation de réseaux et de systèmes complexes, comme l’énergie, les télécommunications, l’environnement, la santé publique, la génétique, etc. « Nous avons des collaborations dans certains de ces domaines, mais nous ne perdons pas de vue notre objectif principal : l’amélioration des BCI », conclut Fabrizio de Vico Fallani.
« Grâce à cette collaboration, les avancées de la recherche profitent rapidement aux patients. »
Verbatim
Travailler avec l’équipe NERV ouvre la voie à la formulation de questions de recherche fondamentale, découlant directement des enjeux de la clinique. Mais cela facilite aussi l'adaptation des solutions techniques aux besoins des patients. Notre objectif est finalement de fournir des stratégies de réadaptation plus efficaces et personnalisées aux patients en phase de récupération après un AVC chronique et d’améliorer ainsi leur qualité de vie et leur indépendance fonctionnelle.
Neurologue au sein de l'équipe NERV
Biographie express de Fabrizio de Vico Fallani
Biographie express de Marie-Constance Corsi
Pour en savoir plus
- « Les interfaces cerveaux-ordinateurs » (vidéo), conférence de Fabrizio De Vico Fallani à l’occasion de la Fête de la science 2022, Institut du cerveau, 8/10/2022.
- « Réparer le cerveau avec les interfaces cerveau - machine : réalités et limites » (vidéo), Société d'encouragement pour l'industrie nationale, 22/6/2021.
- « Aramis : un pour tous… tous pour le cerveau ! », Inria, 16/3/2021.
- « Rééducation post-AVC : Fabrizio De Vico Fallani veut améliorer les interfaces cerveau – machine », Inria, 10/12/2019.
- Découvreurs d'Espoir 2018 - Charlotte Rosso, neurologue et Fabrizio de Vico Fallani, mathématicien (vidéo), Institut du Cerveau (ICM), 22/11/2018.
- « Interface cerveau-machine : je pense donc je fais » (podcast avec notamment Fabrizio De Vico Fallani), France Culture - La Méthode scientifique, 27/9/2017.
- « Brain-computer interface » (vidéo avec notamment Fabrizio De Vico Fallani), M6 - Zone interdite, 27/9/2015.