Réseaux sociaux

Le numérique peut-il favoriser l’engagement citoyen ?

Date:
Mis à jour le 28/04/2022
Ces dernières années, le numérique et les réseaux sociaux sont venus bouleverser la démocratie participative, dont la réunion physique était auparavant la règle. Avec comme défi majeur de faire fonctionner ensemble divers outils d’engagement citoyen. Le point avec Valérie Issarny, chercheuse Inria et spécialiste du sujet.
Numérique et engagement citoyen
© Inria / Photo C. Morel

Une clé, l’interopérabilité

Avant de se préoccuper des outils de participation citoyenne, Valérie Issarny, directrice de recherche et membre de l’équipe-projet Mimove à Inria Paris, s’est intéressée aux systèmes logiciels distribués. Un domaine qu’elle explore depuis le début de sa carrière, dans les années 1990. Au début des années 2000, la chercheuse travaille sur les applications distribuées mobiles, en lien avec l’émergence des assistants électroniques de poche, bien avant la généralisation des smartphones.

Déjà à l’époque, « l’interopérabilité entre les systèmes est un sujet de recherche important », souligne-t-elle. Il s’agit de développer des infrastructures permettant aux différentes applications de s’exécuter correctement et de dialoguer quand c’est nécessaire. Un axe de travail qui ne se dément toujours pas à l’heure actuelle, avec l’émergence de la notion de microservices : la construction d’applications à partir d’éléments simples, préexistants, indépendants les uns des autres mais interopérables.

S’adapter à l’action citoyenne

C’est lors d’une mission de longue durée aux États-Unis, où elle est directrice scientifique en charge du développement des partenariats entre Inria et la Silicon Valley, que Valérie Issarny commence à s’intéresser à l’application de ses travaux aux systèmes de participation citoyenne. Hébergée de 2013 à 2018 au CITRIS, la chercheuse y rencontre le professeur James Holston, anthropologue, qui étudie ce que les applications mobiles peuvent apporter aux citoyens. Ensemble, ils vont conceptualiser AppCivist, une solution de composition d’applications pour répondre aux besoins de la Civic Tech.

L’idée ? permettre aux militants de terrain de lister leurs besoins et de se voir proposer en réponse un bouquet de services sur mesure, construit à partir de solutions existantes rendues à même de fonctionner ensemble. Le tout en gardant en tête que les associations citoyennes disposent souvent de peu de moyens humains et financiers, ce qui nécessite un système avec une grande facilité de prise en main.

Communiquer, malgré des outils différents

Rapidement, un premier cas d’étude se présente, celui de l’interopérabilité des moyens de communication : comment permettre l’échange entre personnes qui privilégient des outils personnels pour communiquer, et ne pas les « forcer » à rejoindre une plate-forme unique ? Autrement dit, « comment faire pour que quelqu’un qui utilise ses mails arrive à échanger avec quelqu’un qui passe par un réseau social ? » précise la chercheuse.

En 2016, pour sa campagne de budget participatif municipal annuel, la ville de Vallejo en Californie (plus de 116 000 habitants) offre aux chercheurs l’occasion de lancer un prototype, App-Civist-PB. L’expérimentation se révèle fructueuse : bien qu’elle ne supporte pas l’intégralité des réseaux sociaux, la solution introduit une grande facilité de communication, à la satisfaction des organisateurs.

Compléter l’arsenal démocratique, et non le remplacer

De nombreux appels à expression citoyenne ont depuis été passés au moins partiellement en ligne, depuis le vote du budget participatif de la ville de Paris jusqu’à la coconstruction de programmes politiques.

Même s’il est crucial de ne pas nier la fracture numérique, la chercheuse insiste sur l’intérêt de la modalité virtuelle. « Proposer une interface numérique permet la participation d’une certaine classe de personnes, qui va plus facilement contribuer via son PC ou son smartphone dans les transports qu’aller à une réunion le soir » souligne-t-elle. Plus qu’un remplacement, c’est bien une complémentarité entre réunions physiques et consultations virtuelles qui est envisagée.

Faciliter la coconstruction de propositions citoyennes

Mais l’apport du numérique à la vie citoyenne peut aller bien au-delà de la simple facilitation des communications. C’est tout le sens des travaux actuels de Valérie Issarny et de ses collaborateurs de l’équipe Mimove, William Aboucaya, doctorant à Sorbonne université, et Rafael Angarita, maitre de conférences à l’ISEP Paris. Ensemble, ils se sont penchés sur le cas français de la loi pour une République numérique

Consultations autour de la loi pour une République numérique

Promulguée en octobre 2016, la loi pour une République numérique a été rédigée à l’issue d’un processus de concertation numérique en deux étapes : une consultation nationale de cinq mois qui a permis d’obtenir près de 4000 contributions, puis la présentation par le gouvernement d’un avant-projet de loi « Stratégie numérique », soumis lui aussi à consultation. Ce processus a permis l’ajout de cinq nouveaux articles dans la mouture finale de la loi.

L’ensemble des contributions (propositions, commentaires, votes, etc.) sont accessibles en open data. Les chercheurs ont ainsi accès aussi bien aux contenus des propositions qu’aux interactions entre les contributions (par exemple, pour un commentaire, à quelle proposition il répond). Représentées sous forme de graphiques, ces données d’interaction permettent aux scientifiques d’identifier des phénomènes d’influence entre les utilisateurs de ce réseau et d’analyser ce qui tient à la plate-forme utilisée. Leurs travaux exploitent ces résultats pour concevoir un middleware dédié aux plateformes logicielles de participation en ligne.

L’équipe en étudie les données liées aux contributions individuelles, afin notamment de déterminer comment une solution middleware pourrait faciliter l’émergence de propositions communes. Pour cela, il est nécessaire d’analyser le contenu textuel et sémantique des contributions afin d’y identifier des similarités sur la base desquelles des contributeurs de sensibilités proches pourraient se voir proposer de discuter.

Donner un nouveau souffle à l’engagement citoyen

À terme, il pourrait même être possible de leur fournir, à partir de leurs contributions, une base de proposition sur laquelle travailler ensemble. Cette question de la gestion de cohérence sémantique donne lieu à une collaboration avec Oana Balalau, jeune chercheuse de l’équipe-projet Inria CEDAR, spécialisée notamment dans l’application du machine learning à l’analyse du langage naturel.

Parce qu’elles permettent de mobiliser à grande échelle en dépassant les hétérogénéités techniques, les technologies numériques peuvent donc constituer un outil au service de la démocratie participative. Car loin de nous enfermer dans le virtuel, elles favorisent au contraire les interactions entre participants. Un moyen de donner un nouveau souffle à l’engagement citoyen.

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