Dans quel cadre le programme numérique et environnement a-t-il été créé ?
Inria est engagé depuis des décennies, dans ses activités de recherche, sur les questions liées à l’environnement comme, par exemple, au travers de la simulation pour l’environnement. La notion de l’impact environnemental du numérique est, quant à elle, plus nouvelle au sein de l’institut.
Récemment, le gouvernement a lancé plusieurs initiatives relatives à la transition numérique et environnementale, comme la feuille de route numérique et environnement, la stratégie "Numérique écoresponsable"’ ou encore son engagement, dans France 2030, de consacrer 50 % de ses dépenses pour la transition écologique et énergétique, en majeure partie pour la décarbonation de l’économie.
Enfin, parallèlement, le sujet de l’impact environnemental du numérique a émergé ces dernières années dans le débat public, en partie grâce à une prise de conscience du grand public, des décideurs, ou encore des entreprises des conséquences alarmantes que peut avoir le numérique sur l’environnement. Ce sujet est majeur pour l’institut, de nombreux scientifiques souhaitent orienter leurs travaux pour prendre en compte les contraintes environnementales et contribuer à la transition écologique.
Ces trois éléments ont justifié la création du programme numérique et environnement, dont le but est d’accompagner au mieux les actions et les grands projets que pilote Inria sur les grands défis du numérique pour l’environnement, mais aussi de se saisir de l’impact environnemental du numérique.
Quels sont, justement, les grands défis du numérique pour l’environnement ?
On dit souvent que le numérique est une partie du problème, et une partie de la solution. Et en effet, qu’est-ce qu’un rapport du GIEC sans numérique ? Ce que je veux dire, c’est que les scénarios concernant la situation environnementale et les changements climatiques dessinés par les scientifiques, grâce au numérique et aux outils de simulation, il y a dix ou vingt ans se sont révélés vrais. Les scenarios élaborés sont de plus en plus précis et permettent d’orienter les actions individuelles et collectives. Le numérique a une utilité certaine pour l’environnement.
D’un autre côté, il est impossible de nier l’impact carbone du numérique, et sa forte croissance. Les chiffres avancés par les scientifiques (le numérique représenterait 2,5 % de l’empreinte carbone nationale, 10% de la consommation mondiale électrique, l’extraction massive de métaux stratégiques, etc.) dressent un panorama alarmant.
Personne n’a de solution clé en main à proposer, mais le constat est qu’on ne peut plus continuer comme ça.
L’un des principaux enjeux est donc d’apprendre à travailler dans un monde plus contraint, avec des ressources limitées. Un monde où l’on devra construire des choses beaucoup plus durables, plus recyclables, et résilientes. Et le numérique doit participer à cela.
On ne parle pas simplement d’optimisation. On a besoin de changements profonds de conception en amont, qui intègrent notamment l’informatique fondamentale, pour construire un monde écoresponsable par exemple autour de la low tech, un numérique suffisant (inutile d’avoir des logiciels extrêmement sophistiqués lorsqu’on en utilise seulement une petite fraction des fonctionnalités) et résilient (en assurant, notamment, la durabilité et la réparabilité des systèmes).
Cela déplace considérablement le curseur de nos activités de recherche et nous pousse à nous poser de nouvelles questions : quels outils et services numériques ? pour quoi faire ?
De quelle manière le programme numérique et environnement va-t-il répondre à ces enjeux ?
Le programme numérique et environnement repose sur quatre piliers : le numérique pour l’environnement, le numérique écoresponsable, la médiation scientifique, et l’impact environnemental de notre organisation, de notre façon de travailler, de faire de la recherche.
Le programme a donc vocation à regarder de façon très large ces aspects-là et je voudrais insister sur trois points :
- Il est important de piloter de gros projets visibles tels que le sont les PEPR mais il faut également soutenir et financer des projets exploratoires, plus petits, risqués, qui dans quelques années seront le socle de projets de grande ampleur.
- Construire et développer un numérique écoresponsable implique de travailler sur les aspects fondamentaux de l’informatique et de construire de nouveaux paradigmes par exemple en théorie de l’information, en algorithmique, en théorie des langages ou de la programmation.
- Mesurer les impacts environnementaux directs du numérique n'est qu'un des aspects qui ne renseigne pas quant aux impacts indirects ou aux effets systémiques. Il faut aussi considérer les domaines où le numérique peut contribuer à la décarbonation tels l’agriculture, la mobilité, les systèmes énergétiques ou encore l’industrie.
Notre rôle, également, sera d’accompagner la réflexion sur certaines activités de recherche. Le bashing du numérique incite beaucoup de chercheurs à s’interroger sur leurs activités : comment s’assurer que mon activité ne favorise pas des contributions négatives du numérique sur l’environnement ? Il est important de permettre aux chercheurs et chercheuses, et aux scientifiques d’infléchir leurs activités pour que justement, leurs aspirations personnelles et leurs contributions en tant que scientifiques ne soient pas antagonistes. Pour ces scientifiques qui veulent orienter différemment leurs travaux, il y a un gros travail de prospective scientifique pour leur permettre de prendre un virage thématique ou applicatif. Cela n’est pas naturel, et il faut pouvoir les accompagner dans cette démarche pour identifier les thématiques dans lesquelles ils pourraient avoir un impact. Le programme numérique et environnement a vocation à créer les conditions de ce débat, de ce mouvement de l’institut vers ces préoccupations environnementales.
Enfin, notre objectif est de baisser l’empreinte carbone de l’institut en réduisant notre empreinte environnementale dans de nombreux secteurs (déplacements, organisation du travail, achats, moyens informatiques…). Inria est cotutelle avec INRAE et le CNRS du GDR Labo1point5.
Concrètement, comment cette démarche va-t-elle se traduire à l’échelle de l’institut ?
Nous sommes un institut de recherche. Il nous faut évidemment mener des recherches en lien avec la transition écologique sur des sujets fondamentaux ou appliqués et nous avons de nombreux partenaires publics (INRAE, ADEME, BRGM, IFPEN, IGN…) et industriels engagés dans cette transition.
Le deuxième volet repose sur l’animation scientifique. Chez Inria, beaucoup de gens se sentent concernés par les questions liées au changement climatique, il faut augmenter le nombre de personnes scientifiquement impliquées sur ces questions. La prospective scientifique permet de répondre à la question "qu’est-ce qui fait progrès pour moi ? pour nous ?" On donne ainsi du sens à nos actions.