Après un doctorat obtenu à l’Onera en 2013, Caroline Chanel rejoint la même année l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-SUPAERO) Toulouse, où elle est toujours chercheuse et enseignante en robotique et automatique. Ses travaux portent sur la conduite robuste de systèmes autonomes et les interactions entre Hommes et systèmes.
Nous avons choisi de donner la parole à certains des doctorants* organisateurs des JJCR, pour qu’ils interviewent eux-mêmes quelques chercheuses qui participent à ce colloque. Entretiens avec Caroline Chanel, Serena Ivaldi et Anne Spalanzani, qui témoignent de leurs choix de carrière et de leur passion pour la robotique.
Quelles ont été les grandes étapes de votre carrière professionnelle ?
Caroline Chanel : J’ai eu la chance d’étudier entre deux pays, mon Brésil natal et la France, sur différents sujets de robotique. Ces techniques qui permettent de faire fonctionner les objets par eux-mêmes m’inspirent depuis mon enfance ! Mon projet de fin d’études et mon doctorat m’ont permis de me former successivement en automatique, robotique et intelligence artificielle, des domaines utiles à mes recherches actuelles.
Serena Ivaldi : Mes travaux de thèse en robotique ont amorcé ma carrière, mais ce sont mes deux postdoctorats qui m’ont beaucoup apporté. En marge du premier, l’obtention d’un projet européen a véritablement lancé ma carrière. Le second m’a permis de rencontrer des collègues qui m’ont accompagnée et prodigué de précieux conseils pour dynamiser ma carrière en recherche.
Anne Spalanzani : Je me suis intéressée à différentes thématiques : la robotique est tellement large ! Ainsi en DEA, j’ai découvert les sciences cognitives, puis l’informatique lors de mon doctorat consacré aux algorithmes de reconnaissance de la parole, et finalement la robotique évolutionnaire en postdoctorat. Ces sujets me permettent aujourd’hui de faire le pont entre les différentes thématiques auxquelles s’intéresse mon équipe et de travailler avec des collègues d’horizons divers, en informatique, automatique, psychologie, par exemple.
Pour quelles raisons avez-vous décidé de faire de la recherche académique en robotique ? Pourquoi pas dans l’industrie ?
Caroline Chanel : Les mondes industriel et académique, découverts durant mes études, n’évoluent pas à la même vitesse. J’aime avant tout comprendre, étudier ou explorer un sujet scientifique en profondeur : le rythme de l’industrie est trop rapide pour cela. L’enseignement, couplé avec la recherche, permet de transmettre ses connaissances et c’est aussi un versant que j’apprécie.
Serena Ivaldi : Par passion pour mes projets, qui se sont avant tout réalisés dans des postes académiques ! J’ai suivi mes envies, dont celle de développer une vision prospective. Une partie de mes recherches actuelles en robotique humanoïde est pour l’instant éloignée des applications et ne trouverait simplement pas sa place aujourd’hui dans le secteur industriel.
Anne Spalanzani : Aussi intéressantes que soient la création ou la production d’un objet, les défis que pose le secteur industriel ne sont à mes yeux pas aussi stimulants que ceux de la recherche académique. J’aime suivre un projet dans son ensemble, m’y impliquer, le concevoir et le développer – et qu’il m’accompagne aussi intellectuellement : le monde académique le permet et je m’y épanouis pleinement.
À quel point votre travail de thèse a-t-il influencé le reste de votre carrière ? Quel niveau de flexibilité conservez-vous dans le choix de vos sujets de recherche ?
Caroline Chanel : Mes années de thèse ont été décisives – et pas seulement sur le plan scientifique ! J’ai construit un réseau de collègues, chercheurs et ingénieurs, avec qui je continue de travailler aujourd’hui, collaborant avec eux dans le cadre de projets de recherche collaborative. Ces derniers répondent par exemple aux objectifs de la feuille de route d’ISAE-SUPAERO qui guide nos recherches. Mais nous conservons toute liberté dans les sujets que nous proposons !
Serena Ivaldi : Je vois le travail de thèse avant tout comme une initiation à la recherche scientifique. On y apprend à structurer sa pensée, définir des objectifs réalistes et atteignables, produire une bibliographie, résoudre un problème donné, explorer des pistes et présenter ses résultats à une communauté : une formation globale. Mes recherches actuelles ne sont contraintes que par la capacité à financer une idée. Les projets de robotique, impliquant de nombreuses contributions humaines et matérielles, résultent toujours d’un compromis entre ce que l’on veut et ce que l’on peut… À nous de le trouver !
Anne Spalanzani : La seule limite à notre imagination réside effectivement dans notre capacité à trouver des ressources pour financer nos idées… Dans ce cadre, je conserve une flexibilité totale pour développer et conduire mes projets. Mes travaux de thèse étaient fort éloignés de la robotique, un domaine qui n’était pas aussi développé à cette époque que maintenant. Néanmoins, les concepts étudiés – comment adapter un système automatique aux évolutions de son environnement – sont au cœur de mes recherches actuelles. Rien ne se perd vraiment.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à de jeunes scientifiques en début de carrière académique ?
Caroline Chanel : Trouvez un sujet qui vous passionne et auquel vous allez pouvoir consacrer votre énergie, car la recherche demande un fort investissement ! Les opportunités intellectuelles qu’offre un sujet sont très vastes. Veillez aussi à ne pas trop vous disperser… N’oubliez pas que la réalisation professionnelle n’est pas la seule source de bonheur. Équilibrer sa vie et la rendre riche en dehors de la recherche scientifique fait aussi partie d’une bonne carrière !
Serena Ivaldi : Un sujet qui vous intéresse est primordial, mais il ne fait pas tout. L’environnement intellectuel et humain d’une équipe ou d’un laboratoire comptent peut-être tout autant : on apprend beaucoup de ses pairs, ils vous donnent souvent une idée lumineuse ou un conseil avisé. Songez aussi qu’un chercheur ne se consacre pas qu’à ses travaux scientifiques et qu’il ou elle assume de nombreuses autres responsabilités : certaines sont parfois rébarbatives, mais elles font partie du métier. Devenir chercheur se construit dans la durée. Les premières années vous demanderont peut-être beaucoup de travail et d’adaptabilité – parfois même certains sacrifices.
Anne Spalanzani : Cultivez votre curiosité et votre imagination ! La robotique, comme de nombreuses disciplines, est très vaste : ne vous concentrez pas sur un seul sujet. Si vous en avez la possibilité, prenez par exemple le temps d’écouter des conférences sur d’autres domaines, restez le plus possible ouvert d’esprit !
*Rahaf Rahal, Jessica Colombel, Benoit Antoniotti, doctorants chez Inria à Nancy ou chez Inria à Rennes.
De brillantes ''role model'' pour de jeunes chercheurs en robotique
Titulaire d’un doctorat de l’Institut italien de technologie, Serena Ivaldi rejoint l’équipe LARSEN en 2015 après deux postdoctorats en Allemagne et en France. Elle s’intéresse aux méthodes d’apprentissage automatique et de contrôle optimal, pour les appliquer à la robotique collaborative
Anne Spalanzani a rejoint Inria Grenoble-Rhône-Alpes en 2002 et l’équipe CHROMA en 2016, après une première expérience professionnelle dans une startup de la région d’Annecy. Titulaire d’un doctorat et d’une HDR (habilitation à diriger des recherches), ses travaux concernent l’adaptabilité des systèmes autonomes à leurs environnements et la prise en compte de l’environnement humain par les systèmes robotiques.