Xavier Allamigeon : la passion des mathématiques récompensée par un prix Inria

« Je suis heureux et chanceux d’exercer le métier de chercheur ! Un métier exigeant, parfois même difficile, mais toujours riche en échanges humains et en découvertes intellectuelles », confie avec modestie Xavier Allamigeon, alors qu’il s’apprête à recevoir le Prix Inria – Académie des sciences jeunes chercheurs et jeunes chercheuses. Une distinction qui récompense sa contribution majeure, par ses activités de recherche, aux sciences informatiques et mathématiques.

Pour ce brillant chercheur de l’équipe-projet Inria Tropical, commune au Centre de mathématiques appliquées de l’École polytechnique (en cotutelle avec le CNRS) et spécialisée en géométrie tropicale, le prix couronne ainsi une décennie d’engagement constant, original et décisif dans la recherche en informatique et en mathématiques appliquées.

Son goût pour ces disciplines est né très tôt : « J’ai toujours été passionné par les mathématiques et l’informatique, des sciences que j’ai découvertes très jeune avec des enseignants qui m’ont initié à la programmation. J’ai naturellement poursuivi des études scientifiques, mais sans imaginer devenir chercheur ! » C’est un stage à l'Institut Max-Planck (Allemagne) lors de ses études à l’École polytechnique qui lui fait découvrir le monde de la recherche.

Cela a été un déclic pour moi ! J’ai alors compris que les problèmes posés dans le monde scientifique invitaient à la créativité, à l’exploration et à la collaboration, et cela m’a motivé pour continuer dans cette voie ! 

Grâce à une thèse de doctorat en contrat CIFRE chez Airbus (alors EADS), consacrée aux problèmes de vérification de programmes informatiques, le jeune ingénieur fait ses premiers pas dans la recherche. À mi-chemin entre informatique et mathématiques, cette thématique scientifique vise à montrer, au moyen d’outils théoriques, que des programmes informatiques, parfois très complexes, accomplissent bien les opérations pour lesquels ils sont conçus. Une vérification formelle cruciale, par exemple pour la sécurité de systèmes embarqués (avions, fusées, sous-marins, etc.) ou automatisés (dans les secteurs de l’énergie, de la banque ou de la médecine).

Après son doctorat et des travaux remarqués par ses pairs, Xavier Allamigeon rejoint en 2010 les équipes d’Inria. Il s’intéresse à des outils mathématiques originaux, ceux de la géométrie tropicale, baptisée ainsi en référence au mathématicien brésilien d’origine hongroise Imre Simon, qui en a jeté les bases. « L’algèbre classique, que nous apprenons en mathématiques, manie l’addition et la multiplication, tandis que l’algèbre tropicale se fonde sur d’autres opérations, explique le chercheur. Ainsi, à l’addition est substituée la détermination d’une valeur maximale (par exemple, en algèbre tropicale, 2+3 donne 3 – valeur la plus grande entre 2 et 3 – et non 5) et la multiplication devient l’addition (le résultat de 2×3 est alors 5 – et non 6). On change ainsi la façon de raisonner et on construit un cadre conceptuel nouveau, adapté pour démontrer des résultats théoriques utiles à l’optimisation. »

L’optimisation mathématique peut concerner de nombreux problèmes concrets, dans différents secteurs : transports, production d’énergie, distribution de biens, gestion de la production, systèmes complexes. Elle demande en général de trouver la valeur minimale d’une fonction dépendant d’un très grand nombre de paramètres. L’enjeu est alors d’élaborer des algorithmes et des méthodes numériques dites "fortement polynomiales", c’est-à-dire qui soient efficaces même dans le cas où les paramètres évoluent dans des intervalles très étendus. Le défi est de taille et figure même parmi les 18 problèmes mathématiques majeurs du XXI^e siècle, selon le mathématicien américain Stephen Smale.

« En appliquant des outils issus de la géométrie tropicale, nous avons par exemple montré que certaines méthodes – pourtant considérées à ce jour comme les plus efficaces en optimisation – se heurtaient à un mur pour résoudre plusieurs problèmes d’optimisation… ». Une avancée théorique majeure, qui permet de mieux comprendre les conditions dans lesquelles les algorithmes d’optimisation s’avèrent les plus efficaces, et de proposer de nouvelles méthodes de résolution, plus générales, plus polyvalentes et plus robustes. Ces résultats théoriques intéressent en outre d’autres champs des mathématiques, en particulier la théorie des jeux, qui implique des problèmes d’optimisation à plusieurs agents, pouvant concerner les sciences économiques, sociales ou politiques.

Au-delà de la sphère théorique, les contributions scientifiques de Xavier Allamigeon donnent lieu aussi à des applications très concrètes. En témoigne le travail de modélisation de centres d'appels d'urgences, mené depuis 2014 par l'équipe Tropical, en partenariat avec la préfecture de police de Paris et la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. « Nous avons été sollicités par les services de secours, qui souhaitaient disposer d’un avis de mathématiciens pour identifier les forces et faiblesses du nouveau système de gestion des appels reçus par la police et les pompiers, relate Xavier Allamigeon. En utilisant un cadre formel issu de la géométrie tropicale, nous avons modélisé les processus mis en place, puis identifié les conditions dans lesquelles pouvaient se produire une congestion ou une saturation du système, ou encore élaboré des critères pour dimensionner au mieux les équipes à constituer. »

Le chercheur et ses collègues sont même allés plus loin dans l’application de leurs travaux : au cœur de la crise sanitaire de 2020, leur expertise a été mobilisée au bénéfice de l'AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris). L’objectif était d’aider à dimensionner les centres d’appel des SAMU pour répondre à la charge sans précèdent due à la vague épidémique et à exploiter les données d’appels, pour en anticiper l’évolution à l’échelle de l’agglomération parisienne. Ces travaux, accomplis à la faveur d’une collaboration de longue durée et sous la pression de l’urgence sanitaire, ont nécessité un important développement logiciel, dans lequel Xavier Allamigeon a aussi joué un rôle décisif.

Fort de ces résultats théoriques et pratiques, le chercheur s’attache à transmettre son savoir en tant qu’enseignant à l’École polytechnique.  Il peut s’appuyer sur une expérience construite patiemment, mais jamais monotone : « La recherche scientifique est, dans les meilleurs moments, faite des joies de la découverte, mais elle comporte aussi une bonne part de doutes et de moments plus difficiles à vivre ! Dans ces périodes-là, le travail en équipe avec mes collaborateurs et mes étudiants en thèse joue un rôle moteur et c’est aussi cette dynamique collective que le prix récompense », résume Xavier Allamigeon. Et de conclure : « J’accueille ce prix comme un encouragement à poursuivre mes travaux dans des directions mêlant problèmes théoriques difficiles et applications concrètes. »

• Workshop: Tropical geometry and the geometry of linear programming (en anglais), Hausdorff Research Institute for Mathematics (HIM), 20-24/9/2021.
• Déterminer des stratégies optimales grâce à l’algèbre tropicale, par Stéphane Gaubert, professeur chargé de cours et chercheur Inria au Centre de mathématiques appliquées de l’École polytechnique, École polytechnique, 28/6/2016.