Dans quel contexte a été créé le Programme national pour la recherche en intelligence artificielle ?
Le Programme national de recherche en IA a été présenté le 28 novembre 2018 par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et le secrétaire d’État chargé du Numérique. Ce programme, mis en place avec l’objectif de faire figurer la France parmi les leaders mondiaux de la recherche en la matière, constitue le volet "recherche" de la Stratégie nationale pour l’Intelligence Artificielle (SNIA).
La SNIA, annoncée par le Président de la République le 29 mars 2018 lors de la journée de clôture du débat "AI for Humanity", est essentiellement fondée sur le rapport d’une équipe coordonnée par Cédric Villani, intitulé "Donner du sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne".
Quels sont les principaux enjeux du PNRIA ?
Un premier enjeu qui a préfiguré l’existence du PNRIA est la capacité de disposer des talents nécessaires que ce soit pour la recherche ou pour irriguer les entreprises françaises et européennes. Former, attirer et faire rester les talents sont les conditions clés pour le succès.
Afin d’éviter une fuite des cerveaux, des programmes spécifiques ont été mis en place, comme les Instituts interdisciplinaires en IA (les 3IA) et les chaires hors des 3IA, qui ont permis de développer un environnement de travail optimal pour les chercheurs. Grâce à ces mêmes programmes et à la mise en place de 22 programmes doctoraux, il a été possible de déjà doubler le nombre d’étudiants formés à l’IA. L’attractivité, faire venir des talents, reste un point complexe dans la réalité, car de nombreux pays établissent des stratégies sur ce sujet.
Un autre enjeu est celui de la souveraineté, en particulier au travers des outils et infrastructures technologiques. Plusieurs actions ont été mise en place ou vont l’être prochainement pour y répondre. On peut ainsi citer le supercalculateur Jean Zay, dont l’objectif est d'accroitre les moyens de calcul pour la recherche en IA.
Enfin, la création de startups issues des développements technologiques, et les partenariats entre le public et le privé, sont des points clés du PNRIA, car conditions d’impact de la recherche en intelligence artificielle dans le tissu économique.
Quelles sont les principales actions mises en place pour répondre à ces objectifs ?
Depuis la création du PNRIA, plusieurs mesures ont été mises en place dans l’écosystème de recherche en IA, qui ont déjà démontré leur succès.
On peut ainsi citer les 3IA, ces quatre "Instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle" (3IA Côte d’Azur, ANITI, MIAI, PRAIRIE) qui s’inscrivent dans le développement des sites universitaires de recherche, ou les 43 chaires de recherche et de formation et les 22 programmes doctoraux en IA mis en place depuis quatre ans, qui jouent un rôle prégnant dans la visibilité de la recherche française et dans la formation des talents.
La mise à disposition des ressources de calcul sur Jean Zay et le lancement de nombreux projets de recherche sur cette infrastructure, la mise en place d’un réseau d’ingénieurs IA opéré conjointement par le CEA, le CNRS et Inria, un axe identifié IA sur les appels génériques de l’ANR, des appels à projets spécifiques à l’international (franco-allemand en 2020 et 2022, franco-japonais à venir en 2022), le renforcement du programme LabCom de l’ANR, et l’expérimentation de programmes Choose France chez Inria (pour attirer en France, sur des postes pérennes, des scientifiques de haut niveau) et au CNRS (Programme Choose France- CNRS AI Rising Talent - pour accueillir en France des jeunes scientifiques sur des postdoctorats environnés) font également partie du bilan positif des actions menées ces trois dernières années.
Quel est le rôle d’Inria dans le PNRIA ?
En novembre 2018, Inria s’est vu confier la coordination du PNRIA par une lettre de mission signée par la ministre en charge de l'Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministre en charge de l’Économie et des Finances. Dans le cadre de cette mission inédite pour l’institut, entièrement dédiée à l’écosystème IA, Inria a décidé de créer une direction de programme spécifique, la "Mission-IA", rendant compte directement au PDG de l’institut et séparée des activités traditionnelles de recherche d’Inria.
Pour le PNRIA, les activités de Catherine Pacherie-Simeral, secrétaire générale de la Mission-IA, de son adjointe Frédérique Vidal et de moi-même concernent la mise en place d’actions opérationnelles et de suivi des activités. Nous avons à la fois la capacité d’engager des projets (comme le LaborIA sur l’impact de l’IA sur les activités des travailleurs) et des mesures spécifiques sur des besoins identifiés (par exemple l’appui à Régalia sur la régulation des plates-formes), mais aussi de travailler à l’international sur la préparation des appels à projets, et d’échanger avec GENCI sur les besoins d’augmentation de capacité de l’infrastructure Jean Zay.
Nous devons également être en mesure de suivre l’activité des diverses actions mises en place et la synthétiser dans des rapports ou lors de présentations aux financeurs, proposer des contacts pertinents aux différents acteurs, renseigner les ministères de tutelle et le SGPI sur les indicateurs choisis pour le programme, et suivre le budget global de financement des actions. Nous avons enfin des activités événementielles, telles que la Journée du réseau d’ingénieurs IA, le 2 juin 2022, la Journée dédiée à la communauté de recherche française en IA, le 13 juin 2022, afin de présenter et d’échanger sur les outils du PNRIA, ou encore la Journée franco-allemande, le 14 juin 2022, pour favoriser les collaborations par une rencontre bilatérale des acteurs. Ces événements se sont déroulés sur le site de Rocquencourt.
La "Mission-IA", en tant que coordinateur du PNRIA, est également en charge d’opérer le Centre d’expertise de Paris du Partenariat mondial en intelligence artificielle (PMIA). Le sommet annuel du PMIA a, par ailleurs, été organisé par Inria à Paris en novembre 2021.
Plus récemment, des échanges avec le ministère du Travail, du plein Emploi et de l’Insertion (MTEI) ont permis de créer un laboratoire commun, le LaborIA, qui est en charge de mener des études et des expérimentations afin d’éclairer le ministère sur l’impact de l’utilisation de l’IA sur les activités des travailleurs. Les études du LaborIA et les expérimentations qui y sont conduites sont menées avec toutes les parties prenantes : dirigeants d’entreprises, partenaires sociaux, travailleurs, scientifiques…
Qu’est-ce que le fait d’être coordinateur du PNRIA représente pour l’institut ?
C’est une reconnaissance, par les ministères de tutelle, de l’excellence de la recherche conduite par les chercheurs Inria et de l’implication de l’institut dans le développement technologique avec par exemple Scikit-Learn, qui est la seule librairie française et européenne à être présente au niveau mondial (les deux premières sont TensorFlow sous contrôle Google et Pytorch sous contrôle Facebook).
C’est également une reconnaissance de l’implication d’Inria dans les associations européennes dédiées à l’IA, comme le réseau de recherche CLAIRE (Confederation of Laboratories for Artificial Intelligence Research in Europe). Cela traduit l’objectif qu’Inria a inscrit dans son Contrat d’objectif et de performance d’avoir une mission d’appui aux politiques publiques. Ce rôle de coordination du PNRIA est, d’ailleurs, la première action d’appui aux politiques publiques de l’institut, suite au COP 2019-2023.
Quelles sont les prochaines étapes du PNRIA ?
En novembre 2021, la stratégie nationale pour l’IA a pris un nouveau tournant avec la mise en place d’une stratégie d’accélération sur l’IA, dont les objectifs principaux sont la formation (démultiplier les talents formés en IA) et l’impact économique. Le rôle de coordinateur d’Inria sur le volet recherche a été renouvelé pour cette stratégie d’accélération, jusqu’à la fin de l’année 2025.
Trois grands éléments concernant la recherche et Inria vont être développés dans cette stratégie d’accélération. Tout d’abord un PEPR spécifique, coordonné par le CEA, le CNRS et Inria, va permettre de financer des projets, en particulier autour de l’IA embarquée, de l’IA de confiance et des fondements mathématiques de l’IA. Deux grands projets de plates-formes vont également être développés, le premier étant porté par Inria, qui inclut de nouvelles fonctionnalités pour Scikit-Learn ainsi que des composantes sur l’interopérabilité et le Data Wrangling, et le second par le CEA, pour une plate-forme de Deep Learning souveraine pour l'IA embarquée. Enfin, la stratégie d’accélération prévoit un important volet pour la formation et le développement des compétences afin de développer les parcours de formation à l’IA à tous les niveaux de l’enseignement supérieur et pour la formation tout au long de la vie.
L’IA est à la fois un enjeu fort pour la recherche française et structurant pour le tissu économique. Sur le premier point, il faut considérer la place de la France dans le cœur de l’IA, c’est-à-dire sur le développement des méthodes d’IA, qui se traduit par sa présence particulièrement importante dans les grandes conférences internationales en IA. Lorsque nous arriverons en 2024, la question se posera de façon naturelle de savoir si de nouvelles actions devront être mises en place pour continuer la Stratégie nationale en IA et son volet recherche, le PNRIA, ou si l’écosystème français est suffisamment structuré et solide pour s’émanciper du soutien par une stratégie nationale.