Le projet collaboratif européen AGIMUS est au croisement de 3 chercheurs : Nicolas Mansard, chercheur au LAAS/CNRS (Laboratoire d’Analyse et d’Architecture des Systèmes) à Toulouse au sein de l’équipe Gepetto, Justin Carpentier, chercheur au sein de l’équipe WILLOW (CNRS/ENS-PSL/Inria), et Josef Sivic (anciennement WILLOW), actuellement porteur du projet IMPACT à CTU Prague en République Tchèque. Ils nous racontent.
Quel est le but du projet AGIMUS ?
Nicolas Mansard (N.M.) : AGIMUS est un projet collaboratif européen de recherche fondamentale sur la robotique qui regroupe neuf partenaires : le LAAS/CNRS, Inria, CTU Prague, PAL Robotics, Toward, Qplan, Airbus, Thimm, Kleeman. Nous souhaitons mettre en œuvre de nouvelles méthodologies pour générer des mouvements sur les robots : à la fois pour contrôler, planifier et asservir les robots, plus particulièrement les robots manipulateurs. L’objectif de fond est d’aller vers des robots qui travaillent dans des environnements industriels mais qui soient prévus pour faire des tâches un peu moins répétitives que ce qu’on confie actuellement à des robots. Par exemple, des tâches en plus petites séries, des tâches avec beaucoup de modularité ou de personnalisation.
Justin Carpentier (J.C.) : Le leitmotiv du projet est de simplifier l’intégration des robots en général. Pour l’instant il y a encore une difficulté majeure dans la robotique pour l’industriel, c’est que pour toute nouvelle tâche donnée, il faut reprogrammer le mouvement du robot pour lui faire réaliser la tâche. Cela prend un temps, et donc un coût, non négligeable. C’est une vraie limite à l’utilisation des robots dans les tâches plus précises et à petite échelle, mais également dans tout ce qui est lié à la mobilité car l’environnement est plutôt rigide dans les usines. Notre but est de libérer les robots de leur socle pour qu’ils appréhendent l’espace. On peut voir ça chez Tesla qui ont cherché à reconfigurer leurs usines en fonction de la production automobile. C’est très difficile de faire ça sans un grand nombre d’ingénieurs. Le but d’AGIMUS est de simplifier l’intégration en utilisant des techniques avancées d’apprentissage ou de contrôle pour la robotique.
Pourquoi avoir voulu faire un projet collaboratif européen ?
J.C. : Principalement par rapport à notre domaine : en robotique, il n’est pas possible d’agir seul et isolé pour avancer. C’est une recherche à la fois fondamentale à l’intersection de plusieurs sciences, et une recherche expérimentale où il est important que tous les laboratoires aient la même plate-forme d’expérimentation dans le but d’unifier les forces et développer un logiciel commun. Il y a une réelle problématique autour du développement logiciel de contrôle des robots car cela prend beaucoup de temps. Avec le projet AGIMUS, on souhaite fédérer autour des logiciels pour la robotique pour que tout le monde ait les mêmes outils et qu’ils soient suffisamment versatiles pour permettre de résoudre des tâches différentes.
N.M. : Historiquement, il y a la culture du projet de recherche en Europe, les principaux appels à projets européens sont pour des consortiums larges, depuis longtemps. En robotique, ces collaborations se concentrent souvent sur des intégrations communes : plusieurs équipes mettent leurs compétences ensembles pour la réalisation d'un démonstrateur. Cela encourage la pluralité de compétences. Le défaut est que cela peut pousser plusieurs partenaires à travailler de manière juxtaposée sur des projets mais sans forcément chercher à joindre le développement ou la méthodologie. La mise en commun se fera lors de la démonstration qui sera le porte-étendard du projet de recherche. C’est quelque chose que l’on souhaite remettre en cause dans AGIMUS (et qu’on a déjà essayé de faire dans un autre projet européen MEMMO) donc on fonctionne à rebours en essayant d’avoir un cadre méthodologique commun qui draine la majorité de l'effort de collaboration, mais de travailler sur nos cas d’étude applicatifs de manière séparée. On souhaite avoir des méthodologies sur lesquelles tout le monde a collaboré et qui soient maîtrisées par tous, pour que chacun soit indépendamment des autres capable de les mettre en œuvre.
On veut amener nos méthodologies à maturité
de manière que d’autres puissent les utiliser.
Pour cela, on s'appuie sur des principes de transparence de publications du travail de recherche, où nous livrons en plus de nos classiques articles de recherche, l'ensemble des logiciels, données et modèles, correctement documentés, permettant à d'autres collègues de reproduire et d'étendre notre travail. Cela demande de s'assurer de la qualité de notre production scientifique, demande d'être plus exigeant et soigneux, mais augmente aussi la visibilité de nos travaux. Et surtout, cela permet d'augmenter l'autonomie des partenaires des projets, permettant notamment de distribuer le travail applicatif et autonomise en partie le travail de transfert industriel.
Comment le projet va-t-il s’articuler entre tous les partenaires ?
N.M. : Nous allons travailler sur plusieurs niveaux. Dans un premier temps, entre les partenaires académiques CNRS-Inria-CTU Prague : nous allons travailler à mettre en place de nouvelles méthodologies et de nouveaux algorithmes basés sur les mathématiques numériques et l’apprentissage artificiel. L’objectif est d’améliorer le comportement des robots, les rendre plus dynamiques, leur donner plus de sécurité et leur permettre d’avoir une plus grande précision notamment en utilisant directement les mesures des capteurs.
Ensuite, un deuxième niveau plus expérimental : nous souhaitons que nos méthodes tournent sur de vrais robots, ce qui va être possible grâce à la présence des partenaires PAL Robotics et Toward, qui mettent à disposition des robots de dernière génération comme le robot Tiago. Cela va nous permettre de déployer nos algorithmes sur des manipulateurs mobiles. Actuellement, il est difficile de sortir du cadre du robot « classique », c’est-à-dire le robot qui est dans un atelier, fixé sur une table et dont l’environnement est parfaitement connu, pour aller vers des robots qui sont plus légers, qui sont montés sur des roues et qui ont donc besoin de plus de perception pour réaliser leurs tâches de manière efficace.
Le troisième niveau est celui où nous allons chercher à créer des maquettes industrielles avec trois partenaires :
- Airbus en France, à Toulouse, le constructeur aéronautique.
- Thimm en République Tchèque, à Prague. Thimm est une société qui réalise des décors pour des événements, dont la production est automatisable mais sur des séries qui ont beaucoup de versatilité. Programmer des robots avec les méthodes actuelles pour des productions de ce type serait vraiment trop couteux.
- Kleemann en Grèce, près de Thessalonique. Il s’agit d’un fabriquant d’ascenseurs et dont les tâches sont beaucoup plus compliquées, car certains éléments sont très semblables mais il y a également beaucoup de modularité puisque chaque ascenseur est quasiment une pièce unique.
AGIMUS en quelques chiffres
ans
millions d’euros
sujets de thèse pour la première année (d’autres vont y être rattachés)
postdoctorantes et postdoctorants
ingénieur
partenaires
pays européens
mois de montage de projet
Comment s’est construit le projet AGIMUS ?
J.C. : Il y avait déjà une fédération d’intérêts entre tous les partenaires. Il faut savoir que Nicolas (Mansard) était porteur d’un précédent projet européen, MEMMO (Memory of Motion), qui a étudié les fondements de ce qui va être utilisé dans AGIMUS : de l’optimisation numérique et de l’apprentissage supervisé ou non supervisé sur les robots à pattes, et la marche des robots, grâce à l’utilisation de capteurs. Certains des partenaires industriels étaient donc déjà présents et le LAAS/CNRS et Inria étaient déjà liés grâce au projet EquipEx autour de la robotique humanoïde, TIRREX. Concernant le montage de projet, contrairement au projet MEMMO, nous avons eu l’appui d’un prestataire externe, la société de services Qplan basée en Grèce, pour assurer la coordination du projet et du montage de celui-ci. Il s’agit du coordinateur administratif, c’est comme un « manager » de projet.
N.M. : Un projet européen est un projet très structuré, l’Union européenne impose un cadre basé sur des échéances courtes et des livrables tous les trois mois environ, des évaluations par les experts de la Commission Européenne trois fois dans le projet. Pour mener à bien le projet on a un coordinateur, un technical manager, un financial manager, un administrative manager, un communication officer… et il y a une structure d’évaluation à l’intérieur du projet. Tout est très précis et a été planifié lors du montage de projet. On sait par exemple que notre travail s’articule en huit lots. Mais comme il s’agit de recherche fondamentale, on sait que certaines échéances devront être adaptées de manière versatile. Les enjeux d’une entreprise ne sont pas du tout les mêmes que ceux de la science, nous n’avons pas les mêmes manières de fonctionner donc il est très important de poser un cadre pour collaborer efficacement.
Avez-vous des conseils à donner sur le montage de projet européen ?
N.M. : Il faut être convaincu que la collaboration va être productive, être sûr d’avoir un intérêt et ne pas négliger la structure de projet. Une fois qu’on aura établi les jalons et structuré les livrables, cela va être très utile. Dans le cœur de l’action, on sait ce qu’on doit faire, même si rien n’est gravé dans le marbre, c’est un guide très important. Aussi, le bras de levier qu’on a en travaillant avec des collègues qui bénéficient des financements, tout comme le rayon d’action, est beaucoup plus important qu’avec un projet ERC par exemple.
J.C. : Pour des jeunes chercheurs, cela paraît impensable de présenter un projet collaboratif européen sans un chercheur senior, car nous ne sommes pas formés pour la coordination ou l’administratif. Nous n’aurions pas eu un projet aussi abouti que celui qu’on a présenté et qui ait été accepté dès la première fois sans aussi passer par une société de service pour la coordination, la renommée des instituts qui le portent et l’expérience en projet européens de Nicolas (Mansard). Mais le jeu en vaut la chandelle, et la somme est bien plus conséquente qu’un appel ANR par exemple.