Anne Gégout-Petit : « Avec ma collègue Sophie Mézières, j’encadre une thèse (étudiant Nassim Sahki en collaboration avec l’AP-HP) sur un projet baptisé EOLE-VAL , du nom de l’essai clinique. Il concerne des patientes et patients ayant bénéficié d’une greffe du poumon et qui, après 70 jours d’hospitalisation retournent à domicile. La solution pour leur suivi passerait-elle par des objets connectés ? C’est le sujet de la recherche, et l’intelligence artificielle nous est indispensable : il faut un bloc de décision au milieu de ces objets pour qu’ils comprennent parmi tous les signaux enregistrés ceux qui sont prédictifs d’un risque pour la santé du malade. »
Les données sont-elles récupérées sur des patientes et patients greffé.e.s ?
A.G-P : « Oui, l’idée c’est d’en observer suffisamment pendant 3 ans, ensuite, d’analyser leurs caractéristiques et, enfin, de voir si les problèmes auraient pu être prédits. Peut-être trouverons-nous, mais, peut-être pas. Par rapport à nous, l’experte ou expert reste le médecin. Le médecin sait, sans machine, que la température de son patient ou sa patiente est signe d’une complication, que la baisse de la qualité respiratoire est un indicateur. Nous, nous travaillons à partir du protocole clinique : les variables à enregistrer, les fréquences à choisir, etc… Nous analysons ces données pour essayer d’en tirer un modèle de prédiction : un bloc d’intelligence numérique qui accompagnera leur décision. Ces modèles qui marchent pour la santé, peuvent également fonctionner pour d’autres secteurs. »
Par exemple ?
A.G-P : « Pour une entreprise du secteur du transport, de la sécurité et de l’aérospatial, nous avions conçu un algorithme pour un boitier qui enregistrait les paramètres à l’allumage et à l’extinction d’un équipement hyper sophistiqué et, de là, nous en avions déduit un modèle prédictif de la panne. J’ai donc proposé aux médecins de l’AP-HP de l’adapter pour que cet outil devienne prédictif d’un dysfonctionnement dans l’état de santé du patient ou la patiente greffé.e. Evidemment, sur la base de données de santé et d’autres variables. »
Cette science mathématique, statistique est-elle vraiment indiscutable ?
A.G-P : « Si les prélèvements, les mesures des données sont bien faits, si les signaux sont bons au départ, l’IA est performante. Mais rien n’est jamais parfait… Notre rôle dans l’aléatoire, c’est de mesurer la variabilité "normale" et de voir quand les signaux s’en échappent. Ainsi, dans nos études sur la génétique, ce n’est pas forcément l’expression d’un gène qui va prédire le risque de maladie, mais celle de plusieurs gènes en même temps. Nous allons chercher aussi cela dans les données : des schémas éventuellement complexes qui prédisent quelque chose. Il y a du statistical learning là-dedans, de la bio-informatique, de la mathématique. Il y a de l’intelligence numérique ! »
Quelle est la puissance de l’IA ?
A.G-P : « Dans cet environnement de santé, il ne faut jamais oublier l’humain. Frédéric Worms, membre du Comité consultatif national d’éthique, parle de la "garantie humaine". Pour la décision en santé, une bonne combinaison entre un algorithme prédictif et une expertise humaine, c’est la juste équation ! »
Article de Laurence Verger, Responsable communication recherche - CHRU de Nancy
pour le magazine © Re.Med. / nov.2018