Anne-Marie Kermarrec le reconnaît volontiers : elle n’est pas tombée dans un ordinateur quand elle était petite.
La rencontre a lieu à l’université au tout début des années quatre-vingts lorsqu'elle doit choisir une discipline après ses deux premières années d’études : maths, économie ou informatique ?
« Mon frère étant à l’époque en thèse d’informatique, j’ai suivi la même voie avec toute l’incertitude qu’on peut avoir à vingt ans mais l’intuition que c’était un domaine d’avenir. »
Quelques années plus tard, la jeune femme boucle sa thèse consacrée à la tolérance aux défaillances dans les systèmes à mémoire partagée. « J’aimais l’informatique et le monde académique, alors j’ai tout simplement décidé de continuer ! J’ai donc cherché un postdoc à l’étranger et c’est ainsi que j’ai débarqué à Amsterdam en 1997 pour travailler sous la houlette du mythique Professeur Andy Tanenbaum, à Vrije Universiteit. C’est à ses côtés que je me suis intéressée aux systèmes distribués à grande échelle – un sujet qui commençait à prendre une grande ampleur. »
À son retour en France, elle est recrutée comme maître de conférences à l’université de Rennes 1.
En 2000, elle quitte la Bretagne pour la Grande-Bretagne. La raison de ce déménagement : une proposition d’emploi émanant de Microsoft Research. « C’était une période dorée : nous étions libres de nos activités, les moyens étaient là et les lieux étaient peuplés de gens extrêmement brillants ! »
Le peer-to-peer en ligne de mire
Anne-Marie Kermarrec restera quatre ans chez le géant de l'informatique, le temps de se plonger avec passion dans les algorithmes épidémiques et les systèmes peer-to-peer « qui présentent des capacités de passages à l’échelle bien supérieures aux systèmes centralisés car chaque machine est à la fois serveur et client. Mais en contrepartie, ajoute-t-elle, le fait qu’aucune entité ne dispose de la connaissance globale du système représente un challenge algorithmique… »
En 2004, la chercheuse est de retour à Rennes, mais elle ne s'éloigne pas des problématiques abordées chez Microsoft : Inria lui confie la responsabilité d'une nouvelle équipe-projet baptisée ASAP - pour As Scalable As Possible – intégralement consacrée aux systèmes distribués dynamiques à grande échelle.
Internaute cherche Internet sur mesure
Là, ses travaux s'orientent progressivement vers une thématique émergente dans le monde de l'Internet en ce milieu des années 2000 : la personnalisation de l'expérience utilisateur. Un sujet qui sera quelques années plus tard au cœur du projet GOSSPLE, lauréat de deux bourses du conseil européen de la recherche – une Starting Grant lors de la toute première campagne en 2007 et une bourse POC en 2013.
« Notre idée était de permettre à chaque internaute d'avoir son propre Internet en nous appuyant sur le concept du filtrage collaboratif, une technique de personnalisation qui permet de faire des recommandations à un internaute en comparant ses préférences aux jugements portés par d'autres internautes au profil similaire. Toute l'originalité du projet était d'appliquer ces principes aux systèmes peer-to-peer afin d'obtenir des solutions de contenus décentralisées efficaces, robustes, scalables et respectueuses de la vie privée. » Chemin faisant, l'idée de valoriser ses travaux monte en puissance dans l'esprit d'Anne-Marie Kermarrec qui se rapproche alors d’IT-Translation, ultra-amorceur partenaire d'Inria qui accompagne la création d'entreprises issues de la recherche publique.
Un transfert industriel bien accompagné
Nous sommes en avril 2015 et Mediego voit le jour pour développer une solution de recommandations ultrapersonnalisées - toujours sur le principe du filtrage collaboratif - à destination des éditeurs de contenus et des médias. Anne-Marie Kermarrec qui était jusque-là une chercheuse couronnée de succès[1] sort de sa zone de confort pour devenir « une startuppeuse » à 44 ans.
« En France, souligne-t-elle, le monde de la recherche et celui de l'entreprise sont encore peu perméables, ce qui n'est pas vrai dans la plupart des autres pays. Heureusement Mediego a pu bénéficier du soutien très actif d'Inria pendant de longs mois ! »
Après avoir remporté le concours i-Lab en 2015, intégré dans l'incubateur d'Ouest France puis dans la pépinière numérique rennaise, réussi une levée de fonds avec IT-Translation et réorienté son business model vers le e-commerce, Mediego poursuit aujourd'hui sa trajectoire avec dynamisme. Forte de sept collaborateurs – dont un doctorant venu de l'équipe-projet DiverSE (Inria Rennes - Bretagne Atlantique), la jeune pousse lance cet automne une nouvelle offre centrée sur l'analyse des données utilisateurs. Sa fondatrice, elle, goûte pleinement aux joies de l'entrepreneuriat : « dans une trajectoire de chercheuse, la possibilité de valoriser le fruit d'années de recherche est un véritable aboutissement. Convaincre des clients, chercher des financements, embaucher de nouvelles recrues… Ce sont de nouveaux défis pour moi… Mais ils sont particulièrement stimulants ! »
Témoignages
Bio express d'Anne Marie Kermarrec
- 1996 : Anne-Marie Kermarrec soutient sa thèse de doctorat sur la tolérance aux défaillances des systèmes à mémoire partagée ;
- 1996 : Elle effectue un postdoctorat à Vrije Universiteit (Amsterdam) ;
- 1997 : Elle est nommée maître de conférences à l'université de Rennes 1 ;
- 2000 : Elle est recrutée par Microsoft Research (Cambridge) ;
- 2004 : Elle est nommée directrice de recherche Inria et crée l'équipe-projet ASAP ;
- 2007 : Lauréate d'une bouses ERC Starting Grant ;
- 2013 : Lauréate d'une bouse ERC Proof Of Concept sur le même projet ;
- 2015 : Elle crée l'entreprise Mediego.