Rien ne prédisposait Benoît Perthame à embrasser une carrière scientifique, ni son entourage familial, ni la terre industrielle du Nord où il a grandi. Porté par une passion précoce pour les mathématiques, il trouve sa vocation de chercheur au sein de l'École normale supérieure (ENS-Ulm). « C'est un lieu ouvert où l'on s'intéresse tout à la fois à la théorie et à la raison d'être des mathématiques. Cet état d'esprit m'a toujours attiré. » Benoît Perthame est aujourd'hui un spécialiste internationalement connu des équations aux dérivées partielles. Il fait partie, dès 1986, de l'équipe qui a obtenu un résultat majeur, le "lemme de moyennes" pour les solutions d'équations cinétiques.
Les sciences du vivant comme nouvel horizon des mathématiques
Devenu professeur en mathématiques appliquées à l'ENS-Ulm, il est l'un des premiers à travailler sur les sciences du vivant, à nouer des contacts avec les chercheurs français et internationaux, puis à créer une équipe au sein d'Inria, mêlant chercheurs, biologistes et médecins. « C'était avant 2000. J’observais le foisonnement de la recherche dans les domaines de la mécanique, des fluides, de la finance, des thèmes où l'école française est très présente. À cette époque, les biologistes avaient encore peu de contacts avec les mathématiciens et peu de chercheurs en mathématiques appliquées pensaient aux sciences du vivant. Il y avait une grande disproportion. Vingt ans après, le paysage français est bien structuré, le retard est comblé. »
Entamant dès lors des travaux sur la modélisation et l’analyse mathématique en biologie, Benoît Perthame se passionne pour les équations de la théorie de l'évolution darwinienne. « C'est l'une de mes plus grandes fiertés. Avec l'évolution, quoi que l’on fasse, il y a des mutations, de la variabilité, rien n'est fixé. L’approche biologique diffère fortement de la physique classique. Cette théorie conduit, par exemple, à modéliser les résistances aux thérapies afin de mieux comprendre leur mécanisme. Tout cela pose des questions riches. » Benoît Perthame a ainsi abordé une grande diversité de sujets qui se prêtent à la modélisation. Ses études trouvent des applications concrètes, dans le domaine de la thérapie des cancers. Il s'agit, notamment, de rendre plus efficaces les chimiothérapies en adaptant l’administration des soins selon les heures du jour et de la nuit : c'est la chronothérapie. « Avec la simulation numérique de modèles biomécaniques, certaines équipes arrivent à prédire l'évolution d'un cancer à partir d'images médicales. Je travaille sur la compréhension des modèles ; les mathématiques qui se cachent derrière ces calculs sont extrêmement complexes ». Il y a aussi l'épidémiologie, une autre application qui mobilise fortement les mathématiques. La modélisation mathématique permet par exemple de comprendre comment optimiser des méthodes visant à éradiquer la dengue. Il s’agit, en lien avec des équipes brésiliennes, d’un sujet de recherche important au sein de son équipe.
Pour une science utile
Quand on lui parle de l'impact de ses travaux sur la société, le chercheur reste prudent et modeste. Il réfute notamment le fait d’avoir fait émerger une « école » : « Cela ne correspond pas à mon parcours, j'ai constamment changé de sujet ! ». Il préfère mettre en avant le travail des équipes et aussi sa vision d'une science utile : « Les mathématiques ont fondé beaucoup de concepts directement utiles à l’économie.Une enquête récente de l’AMIES* conclut par exemple qu’elles contribuent directement à 15 % du PIB français. Mais les mathématiques, ce n'est pas simplement répondre à des problèmes, c’est aussi développer des théories avec des arguments, mettre en place un raisonnement, trouver des concepts intellectuellement intéressants, donner de l'épaisseur tout en répondant à de vraies questions du monde d’aujourd’hui. »
Avec le Grand Prix Inria-Académie des sciences, Benoît Perthame se dit « heureux que l’on mette en avant l'application biomédicale des mathématiques, un sujet en plein essor ». L'obtention de cette récompense est une reconnaissance, le signe qu'il est sur la bonne piste : « J'entends que mon travail est utile, qu'il faut continuer, ce domaine est reconnu, il a sa place dans le paysage scientifique. » Aux étudiantes et étudiants qui hésitent à se lancer dans la recherche, le professeur lâche les mots d'audace et d'originalité : « Je leur dis : éloignez-vous des écoles, des communautés trop structurées, identifiez des sujets émergents plutôt que ceux déjà bien établis. C’est là que le potentiel de découvertes est le plus important ! »
Dans les prochaines années, Benoît Perthame sait à 50 % dans quelle direction il va mener ses travaux. Pour le reste, c'est la vie, « c'est Darwin », le système évolue, le chercheur s'adapte. « Après plus de 150 ans, je suis toujours étonné de voir que ce sujet de l'évolution est toujours aussi vivant et toujours mieux compris, car il est sans cesse remis en cause et enrichi de nouvelles observations expérimentales ». 50 % de sujets établis et 50 % de remise en cause. Et si c'était cela le "système Perthame" ?
*AMIES : Agence pour les mathématiques en interaction avec l'entreprise et la société
Témoignage
Bio expresse
- Depuis 2013 - Dirige le laboratoire Jacques-Louis Lions ;
- Depuis 1993 - Professeur à l'Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) depuis 1993 ;
- 1989 - Rejoint Inria ;
- À partir de 2004 - Dirige l'équipe-projet BANG (Biophysique, Analyse Numérique et Géophysique) ;
- Professeur à l'université d'Orléans et assistant à l'École normale supérieure-Ulm dont il est diplômé ;
- Obtient de nombreuses distinctions dont le cours Peccot du Collège de France, le prix Blaise Pascal et la médaille d'argent du CNRS ;
- 2014 - Conférencier plénier au Congrès international des mathématiciens à Séoul.