Elle est à l’origine d’un quart des cancers masculins : la prostate est une glande de l’appareil génital masculin située entre la vessie et le rectum. De la taille d’une châtaigne jusqu’à la cinquantaine, elle voit son volume augmenter naturellement avec l’âge, en même temps que le risque de cancer, rare chez les personnes plus jeunes. L’Institut national du cancer (INCa) estime qu’il s’agit d’une maladie « de bon, voire de très bon pronostic ». Pour autant, elle représente la troisième cause de mortalité par cancer chez les hommes. En 2021, elle était la cause de 9 200 décès.
Toutefois, le taux de mortalité diminue : -2,4% par an en moyenne entre 2011 et 2021, selon l’INCa, qui explique ce progrès par l’amélioration des traitements et par l’accès au dépistage. En effet, 80 % des cancers de la prostate sont détectés alors qu’ils sont encore localisés. Diagnostiquer la maladie suffisamment tôt est donc un enjeu vital.
Le dépistage commence par le dosage d’un antigène spécifique, le PSA (Prostate Specific Antigen). Mais il n’est pas un indicateur suffisant. Il conduit donc à des examens complémentaires : toucher rectal, et si nécessaire biopsie. Cette intervention consiste à prélever avec une aiguille des échantillons de tissu dans différentes zones de la prostate. Elle peut être douloureuse, et, comme toute intervention, entrainer des complications. Les plus sévères, comme les infections ou les rétentions aigües d’urines, représentent moins de 5 % des cas.
Évaluer le risque
Cependant, les lésions de la prostate sont fréquentes, pas toujours significatives, et la maladie évolue lentement. Ainsi, le dépistage n’est pas recommandé de façon systématique en France, et il est préférable de réserver les biopsies aux cas les plus suspects. Mais comment les identifier ? « L’imagerie par résonnance magnétique (IRM) peut nous y aider », indique Jan Ramon, directeur de recherche au Centre Inria de l’Université de Lille, et membre de l’équipe-projet Magnet, commune au laboratoire CRIStAL (CNRS, université de Lille, Centrale Lille).
C’est l’un des objectifs du projet de recherche européen Flute, qui depuis 2023 regroupe douze partenaires académiques et industriels. « L’un d’entre eux disposait d’un modèle pour déterminer la nécessité d’une biopsie pour un patient donné, basé sur sept variables, dont son âge », retrace le chercheur. « Mais celui-ci pouvait être amélioré avec plus de données. Nous cherchons donc à construire un modèle plus robuste, basé sur la reconnaissance d’image, et qui soit en plus capable de localiser les zones où effectuer les prélèvements. »
Pour ce faire, plusieurs difficultés doivent être surmontées. D’une part, la démarche basée sur l’apprentissage automatique nécessite une grande quantité de données d’entrainement : plus que n’en pourrait fournir un seul hôpital. D’autre part, certaines variations statistiques entre les populations pourraient créer des biais. Un algorithme entraîné à partir de données de patients espagnols n’aurait alors pas nécessairement les mêmes performances auprès d’une population belge, par exemple. Les sources de données doivent donc être suffisamment diversifiées. D’où l’intérêt d’une telle collaboration internationale !
« Nous travaillons avec trois hôpitaux, en Espagne, en Italie et en Belgique », précise Jan Ramon. « À partir de cette répartition géographique, le but est d’obtenir un modèle générique qui puisse être appliqué partout, ne nécessitant ensuite qu’un ajustement aux spécificités locales à partir d’un petit échantillon de données. » Cependant, les hôpitaux ne peuvent pas partager des données de santé confidentielles, d’autant moins à l’étranger.
Préserver les données personnelles
La mise au point du modèle de reconnaissance d’image commence par un entrainement sur différents organes : prostates, poumons, reins… « Il s’agit d’apprendre à quoi ressemblent des images médicales », commente le chercheur. Puis la spécialisation commence avec des images brutes d’IRM de prostates, dépourvues d’annotations. Cette étape peut être complétée par des données de synthèse. Celles-ci ne correspondent à aucun patient réel, mais ont des propriétés similaires et peuvent être générées en grande quantité.
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La troisième phase d’entrainement se fait avec des données d’IRM réelles et annotées par des radiologues spécialistes, afin d’apprendre au modèle à différencier une prostate saine d’une prostate malade. Plus chères à produire, ces données sont disponibles en moins grandes quantité.
Directeur de recherche au Centre Inria de l’Université de Lille
Pour partager ces données réelles, Flute s’appuie sur une plate-forme développée dans le cadre d’un autre projet international, Trumpet. Celle-ci utilise l’apprentissage fédéré : une méthode permettant d’entrainer localement des algorithmes d’apprentissage, avant de mettre en commun les modèles obtenus. « Ce système garantit qu’aucune donnée confidentielle, qui permettrait d’identifier des patients, ne puisse être extraite de ces modèles », souligne Jan Ramon. « Mais cette plate-forme n’est pas adaptée à l’échange de données volumineuses, comme celles issues de l’imagerie médicale. »
D’ici avril 2026, Flute a donc pour objectif de développer deux outils : un algorithme pour diagnostiquer le cancer de la prostate à partir de données d’IRM, et l’adaptation de la plate-forme issue de Trumpet à ces gros volumes de données. À plus long terme, ces outils pourraient être appliqués au diagnostic d’autres pathologies.
Automatiser la biopsie
Les progrès en analyse d’images devraient donc contribuer à améliorer le diagnostic, mais n’ont pas vocation à remplacer la biopsie. Celle-ci reste nécessaire pour évaluer plus précisément la gravité d’un cas de cancer. Mais là aussi, des recherches en sciences du numérique pourraient améliorer la prise en charge des patients. Cette fois, c’est du côté de la modélisation et de la robotique qu’il faut se tourner.
Pour gagner en précision, la biopsie pourrait être automatisée. Qu’elle soit effectuée par voie transrectale ou transpérinéale, elle nécessite de viser avec précision les zones ciblées - tout en évitant l’urètre, qui traverse la prostate. Pour cela, un système automatisé doit être guidé par de l’imagerie en temps réel : échographie ou IRM. Cela met en jeu plusieurs difficultés : le guidage du robot médical, et la modélisation de la prostate dans son environnement.
L’équipe-projet Inria Defrost, commune au laboratoire CRIStAL et à Centrale Lille, s’intéresse aux déformations en robotique. « Nous avons travaillé sur un robot portant un cylindre souple, sur lequel sont montées la sonde d’échographie et l’aiguille », décrit Yinoussa Adagolodjo, maître de conférences à l’université de Lille et membre de Defrost.
Les déformations de cet élément souple, conçu pour amortir le contact avec le patient, doivent donc être prises en compte dans le contrôle du robot et le positionnement de la sonde. « Pour les modéliser, nous avons utilisé des modèles mathématiques spécifiques, différents de ceux utilisés en robotique classique », souligne le chercheur. Vient ensuite la modélisation de l’intérieur du corps, et de ses déformations.
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Nous commençons par utiliser des images IRM pour cartographier la prostate et les organes environnants de la région pelvienne, qui est une zone complexe. Les connexions et interactions entre les organes et les os y sont nombreuses, et difficiles à modéliser avec précision. Nous utilisons donc un modèle simplifié. Ce modèle est ensuite paramétré à partir de données de la littérature scientifique concernant les propriétés mécaniques des organes, comme leur rigidité.
Maître de conférences à l’université de Lille
Les algorithmes ainsi mis au point permettent d’aligner l’aiguille avec la cible. La piqûre est alors réalisée à grande vitesse, de sorte à minimiser la déformation des tissus. L’équipe a ainsi modélisé l’ensemble de l’opération, pour démontrer sa faisabilité dans plusieurs scénarios élaborés avec un médecin.
Reproduire l’évolution de la prostate
En plus de la conception de robots médicaux, ces travaux servent à fabriquer des "fantômes" : des répliques d’organes reproduisant leurs caractéristiques et comportements, à des fins de formation ou d’expérimentation. « Pendant la biopsie, les ponctions répétées font enfler la prostate », illustre Yinoussa Adagolodjo. Un premier fantôme conçu par l’équipe reproduit ce comportement, et une thèse en cours dans l’équipe Defrost poursuit ce travail.
« Le but de cette thèse, menée par Sizhe Tian, est de créer un fantôme actif, capable de reproduire les variations de volume et de rigidité de la prostate, qu’elles soient dues au vieillissement ou à des carcinomes », précise le chercheur. « Cet outil pourrait contribuer à former les médecins au toucher rectal, ou à tester les algorithmes de nos robots. À plus long terme, avec les travaux de modélisation menés dans ce cadre, nous pouvons même imaginer automatiser et standardiser cette procédure, dont la conclusion reste très dépendante du praticien. »
À l’avenir, le milieu médical devrait donc pouvoir s’appuyer sur de nouveaux outils issus de la recherche en apprentissage automatique, en modélisation et en robotique pour mieux diagnostiquer le cancer de la prostate. En l’état actuel, cette démarche reste limitée à des cas précis, à cause « [des] inconvénients de ce dépistage et [des] incertitudes sur les bénéfices », écrit l’INCa, qui insiste sur l’importance de l’information et recommande avant tout aux personnes concernées d’échanger sur le sujet avec leur médecin.
Pour en savoir plus
Cancer de la prostate
- Le dépistage du cancer de la prostate en question, Institut national du cancer.
- Cancer de la prostate : un homme averti en vaut deux, France Culture, 15/01/2024.
- Cancer de la prostate : les femmes transgenres restent exposées au risque de tumeur, Pourquoi docteur, 04/05/2023.
Intelligence artificielle et santé
- Imagerie médicale : l'intelligence artificielle peut-elle tenir ses promesses ?, Inria, 11/05/2022.
- Magnet prescrit l'apprentissage fédéré aux établissements de santé, Inria, 9/5/2022.
Modélisation et robotique
- Organes, robots: simuler les déformations (vidéo), Médiathèque Inria, 06/11/2024.