Créées par la loi de programmation de la recherche de 2020 sur le modèle des "tenure tracks" anglo-saxons, les Chaires de professeur junior (CPJ) sont des postes pour 3 à 6 ans pouvant conduire ensuite à la titularisation en tant que directeur de recherche. C’est ce dispositif qui vient d’être utilisé par Inria pour recruter Hélène Hivert. Il s’agit pour le centre de renforcer ses liens avec l’Université de Rennes et de favoriser les travaux pluridisciplinaires ayant un écho dans le numérique.
La mathématicienne était jusqu’à présent maître de conférences à l’école Centrale Lyon. Auparavant, après des études à l’antenne Bretagne de l’ENS Cachan, elle avait effectué sa thèse à l’Institut de recherche mathématique de Rennes (Irmar).
Spécialiste de l’analyse numérique des équations aux dérivées partielles (EDP), elle vient de prendre ses quartiers à Géosciences Rennes, unité mixte du CNRS et de l’Université de Rennes.
Verbatim
L’objectif est de créer des axes de recherche à l’interface entre les mathématiques et les géosciences. En l’occurrence, cela concerne principalement la modélisation de la circulation de l’eau. La plupart des scientifiques avec qui j’interagis, ici à Rennes, travaillent sur ce thème, à différentes échelles. Certains s’intéressent aux mouvements de l’eau au niveau microscopique dans les milieux poreux. D’autres étudient, par exemple, la dynamique dans les bassins versants. Derrière, il y a souvent un enjeu lié à la pollution.
Reponsable de la Chaire de professeur Junior Modéliterre
Un monde complètement nouveau pour Hélène Hivert. "Je ne connais rien à ce domaine. Donc la première phase de mon travail consiste à rencontrer mes nouveaux collègues pour comprendre très en profondeur ce qu’ils font. Ils m’expliquent les problèmes de mathématiques qu’ils rencontrent dans leurs modélisations. J’en ai déjà collecté un certain nombre. Parmi eux, il y en a que l’on doit pouvoir résoudre. D’autres, en revanche, semblent extrêmement compliqués. Donc je creuse. Je réfléchis à des simplifications. Je regarde des problèmes un peu approchés. Ensuite, il faut que je retourne vers les chercheurs pour savoir s’ils pensent que cela pourrait présenter un intérêt."
Développer des liens entre Géosciences et l'Irmar
Cette première phase doit permettre de trier les problèmes pour sélectionner ceux qui pourraient faire l’objet de recherches mathématiques plus approfondies. "Le but, ensuite, est de développer des liens entre Géosciences et l’Irmar en associant des mathématiciens susceptibles de contribuer à résoudre ces problèmes. Ce qui va s’avérer très intéressant, c’est justement d’aller frapper à la bonne porte avec, sous la main, un de ces problèmes compliqués."
Après l’étape de découverte, succédera ainsi une phase de formalisation des projets dans laquelle les scientifiques des deux instituts pourront s’impliquer. "Très vite, cela passera par la réponse à des appels d’offres." D’ailleurs, dans les faits, cela a déjà commencé. "Jean-Raynald de Dreuzy est chercheur à Géosciences et il a participé au montage de cette chaire. Quand je suis arrivée, il m’attendait avec une question de mathématiques appliquée à l’hydrologie. Cela a été pour nous l’occasion de répondre immédiatement à un appel à projets lancé par l’Institut des mathématiques pour la planète Terre (IMPT). Cette réponse va d’ailleurs beaucoup plus loin que la question initialement posée et nous espérons recruter bientôt un doctorant pour travailler sur le sujet."
L’objectif à moyen terme est de structurer un groupe de scientifiques à la jointure des deux disciplines. Plus tard, ce groupe pourrait devenir une équipe de recherche à part entière. "Mais nous n’en sommes pas encore là."
Cursus "Sciences pour l’environnement" à l’ENS Rennes
Outre l’aspect recherche, le recrutement s’accompagne d’un volet enseignement. "Il est en lien avec la création, cette année, du département Sciences pour l’environnement à l’ENS Rennes où deux formations se mettent en place."
La première est un Cycle pluridisciplinaire d’études supérieures (CPES). Il s’agit d’un premier cycle universitaire menant à un diplôme de licence ou équivalent. La seconde est un un cursus au niveau master : le PhD Track Transition environnementale. Le master M1 vient de débuter avec cinq étudiants.
À terme, les deux promotions, M1 et M2, pourraient compter un total d’une trentaine de personnes. Pour l’instant, quatre masters de la région rennaise sont concernés. La formation prévoit de s’ouvrir ultérieurement à quelques autres.
“L’objectif de ma présence dans ce nouveau département est d’ajouter de la pluridisciplinarité. J’arrive en tant que mathématicienne pour donner des outils méthodologiques aux étudiants dans un domaine, les sciences de l’environnement, qui sont justement très pluridisciplinaires.”
Créer de nouvelles équipes interdisciplinaires
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La prise de risques scientifiques est inscrite dans le Contrat d’objectifs et de performance signé entre l’État et Inria pour la période 2019-2023. L’idée est de favoriser le renouvellement des thèmes de recherche et de contribuer à l’émergence de nouvelles disciplines. Dans notre vision, le numérique doit jouer un rôle clé comme levier d’interdisciplinarité. À ces endroits de jonction entre les disciplines se trouvent de nouveaux défis dans le numérique, notre cœur de métier.
Déléguée scientifique du centre Inria de l'Université de Rennes
Quant à la Chaire de professeur junior d’Hélène Hivert, "c’est une graine que nous plantons dans l’idée d’aller ensuite vers une équipe commune avec le laboratoire Géosciences Rennes, partie intégrante de l’Osur dans le pôle environnement. Elle s’inscrit aussi dans le contexte de IRIS-E, un projet lauréat du programme « Excellences sous toutes ses formes » financé par Programme investissements d’avenir structurant pour le site. Les problématiques de l’eau sont au cœur de ce projet."
Cette stratégie se déploie également au niveau local. "Dans la convention signée, en 2022, entre notre centre Inria et l’Université de Rennes, un des objectifs à terme est de créer une équipe interdisciplinaire pour chacun des cinq pôles de l’Université. À savoir : mathématiques-numérique, biologie-santé, environnement, matériaux, et sciences de l’Homme, des organisations, de la société. Sur le premier de ces pôles, nous avons déjà 23 équipes communes avec l’Irisa, le laboratoire d’informatique de l’université ainsi que trois équipes avec l’Irmar, le laboratoire de mathématiques. En biologie-santé, nous avons une équipe, EMPENN, qui travaille sur la neuro-imagerie. Mais nous souhaiterions en créer d’autres."
"Ce faisant, nous nous inscrivons dans la politique nationale de l’institut qui a souhaité utiliser les CPJ pour favoriser des activités inter/pluridisciplinaires cohérentes avec la politique des sites où sont implantés ses centres. Ce dispositif nous a semblé un bon instrument pour prendre ce risque scientifique et essayer de créer une équipe. Il permet de recruter des chercheurs qui ne sont pas complètement débutants, qui possèdent déjà une certaine expérience. Et au bout de six ans, en principe, les titulaires d’une CPJ dans l’institut seront titularisés dans le corps des Directeurs de recherche."
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