Récupérer ses pleines fonctions cognitives après un cancer du sein
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Mis à jour le 05/03/2025
Depuis quelques années, des hôpitaux expérimentent des dispositifs de réalité virtuelle pour aider des patients à recouvrer certaines facultés altérées suite à des opérations ou des traitements. Il peut s’agir, par exemple, d'accélérer la réappropriation de fonctions motrices après un coma prolongé.
On les désigne souvent sous le signe anglais CRCI (cancer-related cognitive impairments), les troubles cognitifs concernent jusqu’à 40% des patientes en rémission d’un cancer du sein. Cet effet est principalement attribué à la toxicité de la chimiothérapie. Il peut persister jusqu’à quatre ans après la fin des traitements. Outre l’altération de la qualité de vie, la “plainte cognitive” se caractérise par des pertes de mémoire, une difficulté à fixer son attention et un ralentissement dans le traitement des informations.
Au Centre Inria de l’Université de Rennes, en partenariat avec le CHU de Pontchaillou, l’équipe-projet Seamless[1] élabore et évalue des méthodes de réadaptation par réalité virtuelle dans ce contexte médical. À travers sa thèse[2] qui vient de s’achever, Émilie Hummel vient d’esquisser un nouveau protocole qui s’adresserait cette fois-ci aux patientes en rémission après un cancer du sein.
Parmi ces femmes, beaucoup sont jeunes et souhaitent pouvoir reprendre rapidement leur activité. Mais elles souffrent souvent de troubles cognitifs post-cancer. Cette situation complique le retour au travail.
D’où l’idée d’envisager la réalité virtuelle comme outil complémentaire dans les programmes cliniques de réadaptation destinées à ces patientes.
Jusqu’à présent, rien de tel n’a jamais été fait. Tout reste à construire. Après une longue phase nécessaire à dresser un panorama de l’état de l’art, il a fallu ensuite estimer l’acceptabilité d’une telle approche. “Avec l’aide de mes co-encadrantes, Mélanie Cogné, médecin au CHU de Rennes, membre de l'équipe Seamless, et Marie Lange, neuro-psychologue au centre François Baclesse de Caen, nous avons interrogé 43 patientes participant à un programme de réadaptation dans ces établissements, ainsi que 19 soignants.” À cette occasion, les personnes ont pu enfiler un visiocasque, se familiariser avec un exemple de scène en réalité virtuelle et en découvrir la puissance immersive.
Résultat ? “Certaines ne percevaient d’intérêt que si l’exercice présentait une simulation précise de leur situation professionnelle personnelle. Ce qui, naturellement, est compliqué à mettre en place. Certaines trouvaient cela intéressant, mais plus pour les autres que pour elles-mêmes. D’autres étaient prêtes à franchir le pas. Elles adhéraient à l’idée de ré-entraîner les fonctions cognitives pour faciliter la reprise du travail. Ou alors pour retrouver de la confiance en soi.”
Fort de ces enseignements, il s’agissait ensuite de commencer à ébaucher les contours d’une future application avec des scénarios d’exercices. Là aussi, des soignants ont été impliqués dans ce travail.
“Nous avons défini trois tâches qui entraînent des fonctions cognitives différentes. Ces exercices ressemblent à ce que l’on peut faire au bureau. C’est ce que l’on appelle une application ‘écologique’ au sens où elle proche du quotidien.”
Première tâche : du tri. “Il faut classer des factures, selon différents critères : la date, le type d’objet acheté, le prix, etc. Cela permet de travailler la vitesse de traitement de l’information.”
Deuxième tâche : de la planification. “Il faut gérer le calendrier d’une maison de quartier. Il y a des expos, des concerts, des activités. On doit remplir le planning en respectant des contraintes. Certains événements se déroulent forcément le mercredi. D’autres le week-end. D’autres encore exigent toutes les salles disponibles et donc il faut éviter de programmer autre chose le même jour, etc.”
La troisième tâche entraîne la mémoire prospective. “On doit se souvenir que l’on a quelque chose à faire plus tard. Chercher les enfants à 16 h, par exemple. Il faut penser à vérifier l’heure puis effectuer la tâche en conséquence. Ou alors effectuer une action en fonction d’un événement qui se produit. Et pour cela, je vais devoir interrompre ce que je faisais auparavant.”
Cet environnement virtuel s’efforce de reproduire les conditions qui peuvent exister dans la vraie vie. “Par la fenêtre du bureau, on voit la rue, on entend la circulation et les bruits des travaux. On entend aussi les collègues qui discutent dans le couloir. Ces volumes sonores d’arrière-plan varient selon l’impact que l’on souhaite leur donner dans l’exercice. Ils perturbent l’attention et c’est quelque chose qui touche particulièrement les personnes souffrant de ces troubles cognitifs post-cancer.”
Pour construire ces exercices comportant six niveaux de difficulté, Émilie Hummel s’est appuyée sur Xareus, un outil de scénarisation développé dans l’équipe Seamless. “Quatre ingénieurs[3] m’ont aussi aidé pour des fonctionnalités qui n’existaient pas encore dans le logiciel.”
Les patientes voient la scène à la première personne. “Elles ont une gâchette dans la main. Quand elles ferment le poing, un objet se soulève et vient se placer dans la main virtuelle de l’avatar. Quand elles relâchent le poing, l’objet retombe.”
Après toutes ces étapes, Émilie Hummel a pu aborder le cœur de sa thèse.
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Verbatim
La contribution scientifique informatique porte sur le fait de trouver une façon d’intégrer dans l'application les états psychologiques de la patiente. En l’occurrence, nous nous sommes concentrés sur deux aspects : le stress et la charge mentale.
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Doctorante ayant soutenu sa thèse dans l'équipe Seamless
Cette dernière peut se définir par le ratio entre la ressource disponible et la tâche à effectuer. “Plus je suis fatiguée, plus cela me semble difficile.”
Pour introduire ces facteurs, deux autres expériences ont été conduites. La première visait à adapter la difficulté d’une tâche, en l’occurrence le tri. “Cela devenait de plus en plus dur ou plus facile en fonction de l’action à effectuer, mais aussi de la charge mentale que nous avons mesurée via un questionnaire.” Les résultats se sont avérés probants. Quand l’algorithme s’adaptait à la charge mentale, les participants se sentaient moins fatigués. “Ils avaient l’impression de mieux réussir et, dans les faits, ils réussissaient mieux.”
La deuxième expérience cherchait à moduler le niveau de stress. Comment ? “Grâce à une interface haptique avec un retour thermique. Nous appliquions une température plutôt fraîche ou plutôt chaude sur les trapèzes pour essayer de voir ce que cela engendrait pendant une tâche de calcul mental difficile et stressante. Nous sommes partis de l’hypothèse qu’une température plus froide conduiraient les personnes à être moins stressées. Les résultats sont mitigés, mais cela semblerait fonctionner chez les gens ayant une préférence pour le froid.” Cette dernière partie des recherches a donné lieu à une publication[4] lors de la conférence Eurohaptics 2024.
La thèse ouvre donc à la fois des perspectives pour l’utilisation de la réalité virtuelle dans le traitement des troubles cognitifs après un cancer du sein et pour la prise en compte des états psychologiques dans l’application. “Mais tout cela n’est qu’une première pierre à l’édifice. J’espère que d’autres prendront la suite pour amener un jour cet outil dans les programmes de réadaptation.”
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En savoir plus sur le prototype de réadaptation en réalité virtuelle avec Emilie Humel
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[1]Seamless est une équipe de recherche Inria, CNRS, Université Rennes et INSA Rennes, commune à l’UMR Irisa.
[2]Cette thèse a été financée par Inria et l’Inserm, dirigée par Valérie Gouranton et Anatole Lécuyer, encadrée par Mélanie Cogné et Marie Lange. Elle a bénéficié de l’aide de Florence Joly au centre François Baclesse de Caen.
[3]Florian Nouviale, Alexandre Audinot, Anthony Mirabile et Adrien Reuzeau.
[4]Cool Me Down: Effects of Thermal Feedback on Cognitive Stress in Virtual Reality. Philippe, V., Hecquard, J., Hummel, E., Argelaguet, F., Macé, M.J.M., Gouranton, V., Pacchierotti, C., Lécuyer, A. et Saint-Aubert, J., dans Eurohaptics 2024.