Le bégaiement toucherait près de 1% de la population (soit plus de 600 000 personnes en France). Un trouble de la communication - reconnu comme handicap par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) - qui touche principalement les hommes, quelle que soit leur langue.
Mais quelles sont ses caractéristiques motrices et acoustiques ? Comment faciliter son diagnostic, puis sa prise en charge ? Des questions qui ont mené le laboratoire de sciences du langage Praxiling à lancer, en 2019, un projet ANR consacré au bégaiement.
BENEPHIDIRE : fournir des connaissances supplémentaires sur le bégaiement
Baptisé BENEPHIDIRE, ce projet a pour objectif principal d’apporter des connaissances supplémentaires sur le bégaiement, en vue de proposer une aide au diagnostic et à la prise en charge par les orthophonistes.
Depuis plusieurs années, Fabrice Hirsch (Directeur de l'UMR 5267 Praxiling) travaille sur le bégaiement d’un point de vue acoustique et articulatoire, en utilisant notamment un articulographe. On s’est donc demandé comment on pouvait aller plus loin sur ces recherches, en abordant cette problématique au travers de plusieurs axes
Slim Ouni, maître de conférences à l'Université de Lorraine et responsable de l’équipe-projet Multispeech
Qu’est-ce qu’un articulographe ?
Grâce à de petits capteurs collés sur la langue, les lèvres, les dents, et la mâchoire d'un sujet, l’articulographe permet d'obtenir des informations relatives aux différents mouvements des articulateurs lors de la production de parole. Cette technique d'acquisition permet la collecte d'une quantité importante de données articulatoires et constitue une alternative aux images par rayons X, désormais interdites hors cadre médical.
Derrière ce projet : une équipe pluridisciplinaire, constituée de chercheurs de l’INM (Institut des neurosciences de Montpellier), de Praxiling, de LiLPa (Linguistique, langues et parole) et du LORIA (Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications), mais aussi d’orthophonistes, premiers bénéficiaires de ces résultats de recherche.
« Il faut savoir qu’un orthophoniste passe beaucoup de temps en rééducation du bégaiement, au travers de plusieurs rendez-vous avec le patient », explique Slim Ouni, avant de préciser « ce projet a pour objectif, à terme, de développer des outils qui leur permettront de faire un suivi à distance personnalisé des personnes qui bégaient, réduisant ainsi la pression sur les orthophonistes et permettant une rééducation efficace des patients. »
Le projet BENEPHIDIRE a trois axes principaux :
- Le premier axe est de travailler sur un marqueur neurologique du bégaiement, le faisceau frontal aslant (FFA). Son objectif sera de vérifier, parmi des populations d’adultes et d’enfants, si l'intégrité et la connectivité de cette structure peuvent servir d’indices sur la sévérité d’un bégaiement et son risque de chronicisation.
- Le deuxième a pour but d’étudier les caractéristiques acoustiques et motrices des disfluences typiques du bégaiement. Pour réaliser ce travail, des enregistrements audio et articulatoires seront acquis.
- Le troisième permettra de réaliser une étude de faisabilité portant sur l’identification automatique des disfluences dans le but d’aboutir, sur le long terme, au développement d’une application téléphonique permettant aux personnes qui bégaient d’autoévaluer leur fluence et de s’exercer à la prise de parole.
Détecter un bégaiement par l’audio : la contribution de Multispeech au projet BENEPHIDIRE
C’est dans le troisième axe du projet BENEPHIDIRE qu’intervient l’équipe-projet Multispeech, commune au Loria et à Inria. Spécialisée dans le traitement de la parole, elle a pour objectif de proposer des outils de détection automatique du bégaiement à partir de l’audio, et par la suite à partir d’un signal audiovisuel.
« Nous partons d’enregistrements de personnes qui bégaient pour développer des algorithmes capables de détecter si la parole est fluente ou disfluente chez les personnes qui bégaient, et dans ce dernier cas, on détecte les caractéristiques de disfluences, comme des blocages, des répétitions, ou des prolongations », explique Slim Ouni. « Nous espérons que nos travaux puissent, un jour, aider au développement d’un outil capable d’évaluer la sévérité de la disfluence chez la personne qui bégaie, pour permettre aux orthophonistes de proposer des exercices adaptés à chaque personne qu’ils traitent. Les résultats que nous avons pour le moment obtenus sont satisfaisants, mais le chemin est encore long pour espérer voir ceux-ci retranscrits dans la vie réelle », indique-t-il.
Prochaine étape pour les chercheurs de Multispeech : utiliser également les données visuelles, comme le visage du patient, pour apporter une information supplémentaire dans la détection du bégaiement.
Lorsqu’on se base uniquement sur les données audio d’un patient, il nous est parfois difficile de savoir si celui-ci a terminé de parler ou s’il y a un blocage dans l’articulation d’ un mot. Les données visuelles nous permettraient de répondre à cette problématique
Slim Ouni
L’équipe, confrontée jusqu’ici à un manque de données pour cet axe de travail, œuvre actuellement sur de premières expériences basées sur un récent flux de données récupérées. L’objectif : définir la pertinence du visuel dans la détection du bégaiement et, pourquoi pas, aller plus loin dans ces recherches.