Une action exploratoire pour défricher un sujet nouveau
Depuis 2019, grâce au dispositif des actions exploratoires d’Inria, Odalric-Ambrym Maillard, chargé de recherche au sein de l’équipe-projet Scool (Centre Inria de l'Université de Lille), consacre une partie de son temps de travail à un sujet qui lui tient à cœur : la transition agroécologique, à travers l’action exploratoire Inria "Sequencial Recommandation for sustainable gardening" (SR4SG). « Souvent, quand on parle de numérique en agriculture, on pense au "tout robotique", qui remplace l’humain là où il est expert, par des outils coûteux, demandeurs de maintenance et d’énergie fossile, et limités à la perception humaine. Ce que je veux faire, c’est exactement l’inverse : du numérique low cost qui met l’intelligence là où l’humain n’a pas la capacité de traitement de données ! », détaille le chercheur.
À la base, les travaux d’Odalric-Ambrym Maillard portent sur l’apprentissage par renforcement, un apprentissage par essai-erreur, semblable à ce qui est mis en œuvre en sciences expérimentales. Ce type d’algorithmes, popularisé par la victoire du logiciel de Google AlphaGo sur un joueur humain, est entré dans nos vies quotidiennes depuis que les industriels se sont emparés de ces questions. Par exemple, ce sont ces algorithmes qui régissent les contenus ciblés qui nous sont soumis sur les réseaux sociaux, ou encore qui sont utilisés par les véhicules autonomes.
« Ma mission de chercheur académique, telle que je la comprends, est d’envisager les applications futures », reprend le chercheur. Et le futur qu’il envisage, poussé par des motivations personnelles, est engagé et collaboratif. C’est là que cette mission devient exploratoire. Car ce que le chercheur a en tête, c’est un outil "crowdsourcé" qui collecte des données agricoles de terrain, les synthétise et en tire des recommandations personnalisées pour ses utilisateurs (voir encadré). Une démarche très différente de ce qui se fait actuellement dans le domaine de l’expérimentation agronomique.
Un réseau de partenaires agricoles à développer
Toutefois, l’agronomie reste hors de son champ de compétences et de son réseau professionnel. Pour pouvoir appliquer son expertise à ce domaine si éloigné du sien, Odalric-Ambrym Maillard a noué des liens avec des organismes agronomique, dont le CIRAD, qui pourrait être le premier testeur de l’outil. Cette démarche a trouvé un écho auprès des experts de La Réunion, territoire qui présente une grande variété de climats, et donc de données de zones climatiques différentes, sur une petite surface.
L’idée serait ensuite de se tourner vers des agriculteurs volontaires pour mettre en place une démarche d’expérimentation. Plutôt que de cibler les producteurs labellisés "Agriculture Biologique", contraints par un cahier des charges strict, le chercheur préfère viser les expérimentateurs du réseau Maraîchage sur Sol Vivant, une communauté en pleine expansion depuis une dizaine d’année en France. Hors de l’action exploratoire (AEx), le chercheur a également suscité l’intérêt d’une équipe de l’université de Bihar, en Inde, qui voudrait tester une application de collecte journalière de données agricoles. L’objectif : mieux comprendre les pratiques de terrain et la façon dont elles émergent.
Ces collaborations, aussi enthousiasmantes soient-elles, ont soulevé plusieurs questions : comment dialoguer avec les différentes communautés concernées par cet outil ? Quelle terminologie utiliser pour définir les plantes, afin de répondre aux besoins des acteurs de terrain et à leurs objectifs, qui peuvent être très différents ? D’autre part, les algorithmes classiques, comme celui qui a permis de gagner au Go, agissent dans un contexte extrêmement déterministe : tous les paramètres sont connus et visibles. Or en agriculture, le contexte est tout sauf déterministe, entre le climat qu’on ne maîtrise pas, la quantité de paramètres observables… Il est donc nécessaire de faire des compromis.
Autre donnée à prendre en compte, un système agricole, contrairement à un jeu, est autonome. Ainsi, que l’on agisse ou pas, la végétation continue de pousser et les insectes et autres animaux d’aller et venir. Ce qui interroge sur le bon moment pour agir. Une autre question, qui découle des précédentes, est celle du cadre d’apprentissage de l’algorithme. La complexité du système considéré ne permet pas en effet de le modéliser de façon exhaustive. Cette situation va donc créer des incertitudes. Quelles stratégies adopter pour proposer une approche qui soit tout de même robuste ?
Pour répondre à ces questions, en plus du temps dédié par l’ingénieur Hernan David Carvajal Bastidas à la création d’un prototype d’application, l’action exploratoire SR4SG finance également le travail d’un postdoctorant, Timothée Mathieu, dont les efforts portent sur la mise au point de solutions algorithmiques et méthodologiques.
Un outil très prometteur
Bien que les défis soient importants, Odalric-Ambrym Maillard en est convaincu : « Si je mets 20 ans de ma vie dans ce projet, cela en vaudra la peine, car le potentiel est énorme. Mais c’est maintenant qu’il faut agir. » Il est en cela conforté par le succès de l’application Plantix. Cet outil de reconnaissance des pathogènes et de conseils de traitements est plébiscité par plus de dix millions d’utilisateurs actifs en Inde, pays où l’accès aux réseaux est moins évident qu’en Europe.
L’AEx SR4SG prendra fin en 2023, mais pour le chercheur, « c’est déjà un succès, le développement logiciel est lancé, nous avons un prototype suffisamment avancé pour faire la démonstration de ce que nous souhaitons atteindre ». Et Odalric-Ambrym Maillard a déjà commencé à discuter avec la plate-forme de développement logiciel d’Inria. Si le projet ne devrait porter ses fruits que dans quelques années, le suivi de son éclosion promet d’être passionnant.
Un objectif : partager les bonnes pratiques pour progresser ensemble
En agriculture, les expérimentations peuvent être le fait de trois types d’acteurs. D’abord, les chercheurs dans les laboratoires des fermes expérimentales qui travaillent dans un contexte très maîtrisé. Ils publient leurs informations et proposent aux agriculteurs, dans une approche descendante, des solutions qui ne sont pas toujours réplicables en fonction des contextes pédoclimatiques. Ensuite, les agriculteurs eux-mêmes, dont la marge de manœuvre expérimentale est limitée par la nécessité de rendement. Ils échangent parfois sur leurs essais avec leur réseau de collègues. Enfin, les jardiniers amateurs, dont les expérimentations suivent un protocole souvent moins rigoureux et sont peu partagées.
L’objectif de SR4SG est de construire un outil collaboratif qui collecte les données issues de ces différentes pratiques (itinéraires techniques, rendements, …) et des observations de terrain (arrivée d’insectes ravageurs, début de floraison). Après synthèse, l’outil devra être en mesure de restituer sous forme de recommandations personnalisées les informations qui peuvent être utiles à chacun pour sa pratique, sur la base d’un contexte similaire. Ces recommandations devront être adaptées aux objectifs de l’expérimentateur : préservation de la biodiversité, rendement à court ou long terme…
En savoir plus
- Agriculture : le numérique au service de la transition agroécologique ? Labo Société Numérique (Programme Société numérique de l'Agence nationale de la cohésion des territoires), 25/3/2022.
- Agriculture et numérique, livre blanc Inria et Inrae, janvier 2022.