Quelle a été la genèse de votre projet ?
Le projet CovidAKeydiag est né des circonstances de l’épidémie mais prend ses racines plusieurs années auparavant de la rencontre entre deux personnes : le Dr Jean-Noël Ravey, responsable du service d’imagerie ostéoarticulaire du CHU de Grenoble, et Lionel Reveret, expert, chez Inria, en modélisation anatomique du mouvement. L’anatomie fonctionnelle était l’espace de dialogue commun, et il s’agissait de documenter les besoins du terrain pour guider les recherches. Entre le chercheur en attente d’écho et de débouché à ses travaux, et le médecin qui subit, faute de pouvoir participer à leur conception, quantité d’outils numériques, nous avons convergé sur une vision commune assise sur le concret, la complémentarité, et la confiance. Depuis, le chercheur a systématisé une méthodologie puisant directement au creuset des remontées du terrain, et le médecin a souhaité reprendre le contrôle sur ses outils en créant une société éditant un logiciel médical (Keydiag).
Celui-ci est à l’introduction du projet : il modélise les raisonnements médicaux par un chemin de critères clés, à travers des comptes-rendus structurés, qui permettent aux radiologues de travailler vite et bien, tout en accédant à la connaissance sur un support web rapidement évolutif et facilement déployable technologiquement : des atouts parfaitement adaptés au contexte épidémique.
Son équipe a élaboré en quelques jours un module spécifique à la maladie Covid-19, mis à disposition gratuitement des radiologues français, afin d’élargir le goulet d’étranglement que représentait l’afflux exponentiel de patients pour réaliser un tel examen : le scanner thoracique est une étape clé pour documenter les formes graves ou équivoques du Covid, et la maladie émergente donc méconnue.
Mais si l’application est un outil de workflow, elle collecte aussi de précieuses métadonnées : les termes techniques présents dans les comptes-rendus. Ceux-ci pouvaient devenir des indicateurs précieux sur le nombre et la sévérité des cas, dans le complet anonymat des données patients (qui ne transitent pas par la plate-forme), sous réserve de pouvoir les agréger et représenter dans un format ad hoc : nous avions à portée de main un outil de veille scientifique et sanitaire, en temps réel, sur la ligne de front épidémique.
Porteurs : Lionel Reveret
Partenaires : Keymaging, Réseau Telediag, CHU Toulouse, CHU Grenoble, CHU Poitiers, Hôpital européen de Marseille, Clinique du Mail
Comment se développe-t-il aujourd'hui et quels sont ses objectifs ?
Aujourd’hui, le projet évolue de façon très satisfaisante avec un groupe dédié à l’exploitation des données des scanners Covid, impliquant l’équipe Keydiag (dont un data scientist) renforcée d’ingénieurs-chercheurs d’Inria, dont Lionel Reveret, qui coordonne la collaboration en tandem avec Jean-Noël Ravey. Les marques ont été trouvées rapidement du fait des relations antérieures. Un travail d’export et de classement sur l’ontologie Keydiag incluant les différentes versions réalisées au cours du temps permet de disposer de plus de 7 500 comptes-rendus de scanner thoraciques indexant chacun 575 valeurs de variables. L’échantillonnage est corrélé aux données nationales, permettant de valider son intérêt épidémiologique. Un audit a pu être réalisé pour s’assurer de la sécurité de la plate-forme malgré son déploiement accéléré, ainsi qu’une expertise du cadre réglementaire. Enfin, un tableau de bord des données sur support web va être très prochainement disponible, permettant d’accélérer le travail sur les données : trois publications scientifiques sont en préparation. L’objectif principal était de visualiser les données des comptes-rendus de Keydiag pour deux raisons : mieux connaitre la maladie d’une part, suivre son évolution en temps réel sur des critères médicaux pointus d’autre part. Il est donc en train de se concrétiser.
Comment travaillez-vous avec vos partenaires ?
Après une phase de mise en place de l’équipe et de répartition des rôles, nous alternons travail individuel et temps de synchronisation réguliers par visioconférence. Le fait de se connaitre a permis de trouver rapidement le bon tempo et d’éviter la réunionite : on a déjà la Covid, on garde l’oxygène pour avancer !
Inria remplit parfaitement son investissement dans la recherche appliquée : dans ce projet les gens sont investis à sortir rapidement un livrable applicable à la réalité de la crise Covid. Quand tout le monde s’y met et qu’on va droit au but, c’est vraiment utile et finalement économe en ressources puisque l’effort est bien distribué.
Ce modèle de collaboration est véritablement intéressant car orienté sur les besoins immédiats du terrain sans sacrifier au professionnalisme nécessaire pour éviter les bêtises dans ce domaine sensible qu’est la santé. Il démontre que non seulement on peut obtenir des résultats rapides et concrets en prenant des risques calculés, rendre service aux patients et aux médecins, mais aussi faire émerger des solutions à très fort potentiel dans l’avenir, à rendre jaloux un Zuckerberg.
Finalement, la Covid nous ouvre les yeux sur ce qui est important, sur ce qui rend vraiment service, et qui marche. Ça étalonne les gens et les technologies. Cette mission Covid d’Inria, vue de mon côté sur ce projet CovidAKeydiag, elle provoque un déconfinement d’intelligence, une expérience d’intelligence collective.
Dr Jean-Noël Ravey, président de Keymaging