Modélisation et Simulation

Cyclones tropicaux, eaux méditerranéennes, nappes de pollution : comment la modélisation de l’océan s’adapte aux contraintes régionales

Date:
Mis à jour le 30/10/2024
La modélisation des océans est un domaine scientifique qui s'est considérablement développé, jouant un rôle crucial dans notre compréhension des dynamiques maritimes et des impacts du changement climatique. Les efforts scientifiques déployés ces dernières années dans le domaine, en étroite collaboration avec les météorologues et les climatologues, ont en effet conduit à l'élaboration d'une nouvelle génération de modèles, utilisés pour la prévision océanique à diverses échelles.
Modélisation océanique
© Inria / Photo N.Hairon

Comprendre les dynamiques marines avec plus de précision

Ces modèles ont progressivement permis d'aborder des questions de plus en plus spécialisées, de la prédiction fine des courants marins et de la température de l’eau à courte échéance, à la compréhension de la turbulence océanique, en passant par la montée du niveau de la mer ou le devenir du Gulf Stream

L’équipe-projet AIRSEA (Centre Inria de l’Université Grenoble-Alpes) développe notamment des outils pour accroître les savoir-faire de ces modèles numériques. 

Verbatim

L’idée, c’est d’être capable d’adapter un modèle généraliste, de lui donner des capacités supplémentaires, pour lui permettre de se pencher sur des problématiques particulières.

Auteur

Éric Blayo

Poste

enseignant-chercheur en mathématiques appliquées à l’Université Grenoble Alpes, membre de l'équipe AIRSEA au Laboratoire Jean Kuntzmann (LJK)

Suivre un iceberg à la dérive grâce au raffinement de maillage

C’est le cas, par exemple, avec le logiciel AGRIF, développé par Laurent Debreu au sein de l’équipe-projet. Cet outil de raffinement adaptatif de maillage permet ainsi à des modèles existants, de grande taille, de zoomer localement afin, par exemple, de suivre la dérive d’une nappe de pollution, d’un iceberg, ou de marchandises tombées d’un bateau.

« C’est le premier outil que nous avons développé dans cette optique de donner plus de capacités localement à des modèles. Les physiciens utilisateurs de ce modèle peuvent simplement implémenter ce logiciel sur leur système existant, et avoir ainsi localement une très haute résolution », indique Éric Blayo. AGRIF est aujourd’hui utilisé dans plusieurs modèles réalistes de simulation océanique, que ce soit en France ou à l’étranger. 

Prévoir la trajectoire des cyclones en améliorant le couplage de modèles

L’équipe-projet AIRSEA travaille également, depuis plusieurs années, à l’amélioration des méthodes de couplage entre les modèles océaniques et les modèles atmosphériques. 

« Dans la plupart des cas, les modèles d’océans sont forcés par les modèles d’atmosphère, et réciproquement. C’est-à-dire qu’on utilise des prévisions existantes de l’un des modèles comme conditions à la limite pour créer les prévisions de l’autre modèle », explique Éric Blayo, avant d’ajouter « Mais cela ne suffit pas dans le cas de certains phénomènes, pour lesquels il y a une rétroaction relativement forte et rapide de l’océan sur l’atmosphère, et inversement, c’est-à-dire que chacun va avoir un impact significatif sur l’autre. C’est, par exemple, le cas pour les cyclones tropicaux. Il faut vraiment que les deux modèles avancent ensemble dans le temps pour améliorer les prévisions. Mais les méthodes actuelles, avec ces modèles forcés, amènent en permanence un décalage temporel dans le passage d’information entre les modèles ». 

Améliorer les méthodes de couplage des modèles océaniques et atmosphériques, c’est-à-dire la manière dont ces deux modèles vont interagir de manière synchronisée, permettrait ainsi de prévoir avec plus de précision, et sur plusieurs jours la trajectoire des cyclones.  

L’équipe-projet s’est donc attaquée à cette problématique, ce qui a permis de mettre en évidence le fort impact dans ces modèles d’une erreur purement numérique associée à un défaut de synchronisation de l’algorithme de couplage océan-atmosphère, mais aussi de montrer comment supprimer cette erreur, en utilisant une méthode de couplage itérative (de type algorithmes de Schwarz). 

Verbatim

Dans un cas de cyclone tropical, en corrigeant ce défaut de synchronisation, on diminue de 30% les incertitudes sur la trajectoire et la puissance du cyclone.

Auteur

Éric Blayo

L’impact de ce défaut a également été mis en évidence dans le contexte des projections climatiques, notamment au travers du projet ANR COCOA (2017-2021). Les itérations de l'algorithme de Schwarz pour coupler des modèles de grandes dimensions étant très coûteuses en temps de calcul, AIRSEA travaille aujourd’hui au développement d’une intelligence artificielle qu’on intégrerait dans le modèle, de façon à corriger ce défaut de synchronisation pour un coût infime, en se basant sur quelques expériences avec itérations. 

Affiner la modélisation des océans en étudiant le cas du détroit de Gibraltar

L’accélération verticale (plongée ou remontée de masses d’eau) a longtemps été négligée dans la simulation de l’océan, car elle est en général très faible, et car la prendre en compte amènerait un temps de calcul, et un coût, nettement plus importants. Cependant, étudier la dynamique de l’océan à une résolution de plus en plus précise amène à vouloir représenter finement des zones où cette approximation n’est pas légitime. C’est par exemple le cas du détroit de Gibraltar, seul lieu de communication entre la Méditerranée et l'océan mondial.

L'écoulement dans le détroit se divise en effet en deux couches superposées : une couche supérieure d'eau atlantique, plus légère, pénètre en Méditerranée et, dans la couche inférieure, I'eau méditerranéenne, plus salée et plus dense, va plonger du seuil de Gibraltar vers l'Atlantique et passer typiquement de 150m à 1100m de profondeur. 

Verbatim

C’est l’un des très rares endroits au monde où il y a des plongées d’eau profondes. C’est une accélération verticale de l’eau qui ne peut pas être négligée, puisqu’elle a de grosses conséquences sur la dynamique générale de l’océan, et pour le climat.

Auteur

Éric Blayo

L’équipe-projet AIRSEA s’est ainsi attelée à enrichir localement non plus seulement la résolution, mais aussi la physique des modèles. Comment ? En apportant une technique de calcul capable de prendre en compte l’accélération verticale sur de petites zones, et de faire interagir cette solution locale avec le modèle à grande échelle, afin de lui apporter des informations, et vice versa

« C’est compliqué, car les deux modèles n’ont pas la même physique et ne se comprennent donc pas physiquement. Il faut donc ne transmettre au modèle à grande échelle que ce qu’il est capable de comprendre, afin que les calculs ne soient pas perturbés, et de même pour le modèle local », indique Éric Blayo, avant de conclure « L’enjeu est de trouver le meilleur compromis, de se rapprocher le plus possible d’un idéal de référence en prenant en compte la complexité des deux modèles. Dans le cas de Gibraltar, si on représente cela correctement, on va avoir des eaux méditerranéennes mieux positionnées dans l’océan atlantique. »