En décembre 2016, j’ai eu la chance d’être sélectionnée comme étudiante bénévole pour la conférence CHI 2017 qui s’est déroulée du 6 au 11 mai 2017 à Denver aux États-Unis. Ma thèse se positionne à l’intersection des domaines de l’interaction humain-machine et de la visualisation d’information et mes travaux de recherche visent à comprendre et à concevoir les animations dans les interfaces graphiques.
Le programme d’étudiants bénévoles de CHI 2017 étant très compétitif, cela représentait une opportunité exceptionnelle pour moi. Les étudiantes et étudiants bénévoles bénéficient d’une inscription gratuite à la conférence et se voient confier diverses missions d’organisation, de coordination ou d’information auprès des 2800 visiteurs et visiteuses inscrits.
En mars 2017, suite aux annonces de restrictions pour entrer aux États-Unis de l’administration Trump, j’ai préparé avec beaucoup d’attention tous les documents nécessaires et même au-delà afin d’obtenir ma demande de visa. Ce qui devait être une formalité un peu lourde s’est transformé en une immense déception. Le jour du rendez-vous à l'ambassade, après seulement quelques questions évasives et sans aucune vérification des justificatifs que j’apportais, ma demande a été refusée sans explications claires. Mon pays d’origine ne figure pas sur la liste des nationalités interdites d'entrée aux États-Unis.
Pour la première fois de ma jeune carrière en tant que chercheuse, j’allais rater la formidable opportunité de rencontrer les membres de ma communauté, de développer mon réseau et d’échanger sur mes projets de recherche. Après la colère, l’incompréhension et la déception, et avec les encouragements de mes encadrants de thèse et l’accord des responsables de la conférence, j’ai décidé de vivre l’expérience en téléprésence et prouver ainsi que les limitations politiques discriminatoires n'empêcheront jamais la communauté scientifique d’interagir et de partager la connaissance et les valeurs humaines.
Depuis 2016, la conférence CHI a mis en place l’expérimentation d’un système de téléprésence dont le but était essentiellement de permettre aux personnes à mobilité réduite d’avoir la chance d’assister à la conférence à distance via un robot appelé Beam (par référence à la marque qui le commercialise). Le Beam est un robot mobile qui se pilote à distance. Il est doté d’un écran, d’un microphone, d’un haut-parleur et de deux caméras : une pour la vue générale et l’autre pour assister la conduite du robot.
En 2017, à cause de la loi d’interdiction de voyage (Travel Ban) et ses répercussions sur la politique générale de visa, des chercheurs et chercheuses de plusieurs pays du monde se sont trouvés dans l’impossibilité d’assister à la conférence. Les responsables de CHI 2017 ont adapté le programme de téléprésence pour leur permettre d’être téléprésents et même de pouvoir présenter leurs travaux.
Avec moi, c’était la première fois que les responsables de la conférence et du programme de téléprésence ont été confrontés au cas d’une étudiante bénévole en Beam. Ils ont réfléchi aux tâches que je pouvais accomplir à distance. J’ai ainsi eu pour mission de déambuler avec mon Beam pendant les pauses café afin d’annoncer les sessions à venir en partageant les informations sur l’écran de mon robot. Nous étions au total onze scientifiques à vivre l’expérience de téléprésence et trois journalistes (dont Emily Dreyfuss de WIRED avec laquelle j’ai pu échanger et qui a publié un article sur son expérience).
Comment rentre-t-on dans la peau d’un robot ?
Le processus est plutôt simple. Après avoir créé un compte sur la plate-forme qui gère la connexion aux Beams, j’ai reçu un guide assez complet incluant toutes les informations pratiques pour se localiser dans le centre de congrès (cartes des lieux, temps estimé pour atteindre certains espaces, emplacements et instructions pour garer son Beam dans les salles de présentations) ainsi que le planning des autres Beams. J’avais aussi la possibilité de personnaliser mon Beam (T-shirt, jupe, casquette, etc…), ce que j’ai bien sûr fait sans hésitation avec l’aide de mes homologues sur place.
Même si le pilotage du robot se fait via un ordinateur ou un smartphone avec une connexion WIFI, un Beam a parfois besoin d’une assistance humaine pour palier les situations impromptues comme par exemple quand le robot perd la connexion au réseau, quand l’image devient floue (un coup de lingette sur la caméra est le bienvenu), lorsque l’on souhaite prendre l'ascenseur ou tout simplement quand on a un problème d’orientation dans le vaste centre de la conférence.
Ce sont les responsables de téléprésence, à l’aide d’une équipe d’étudiants bénévoles (mes homologues à Denver), qui ont assuré efficacement cette présence physique. Nous étions connectés avec l’ensemble des bénévoles via une chaîne Slack (une plate-forme de communication collaborative qui fonctionne comme une messagerie instantanée) tout au long de la journée de conférence qui s’étalait en moyenne de 8h30 à 18h, heure locale de Denver. Les huit heures de décalage horaire avec Lille ont été parfois difficiles à gérer. Cela a représenté une forte contrainte qui m’a empêchée de pouvoir assister à toutes les présentations mais je suis plutôt fière d’avoir pu être présente quatre jours complets à la conférence.
Quelles interactions entre les humains et les robots ?
Pendant ma tâche quotidienne d’étudiante volontaire et mes trajets dans le centre de la conférence, j’ai eu la chance de rencontrer et de pouvoir parler à beaucoup de gens qui sont venus m’aborder assez spontanément. Ils se présentaient souvent en me montrant leurs badges devant la caméra, une façon assez efficace d’ailleurs de rentrer en contact. Les discussions étaient relativement courtes, principalement pour des raisons de nuisances sonores qui sont souvent très perturbantes dans la peau d’un Beam mais aussi pour la personne qui vous adresse la parole. Clairement l’expérience acoustique était une des limitations majeures de la téléprésence que ce soit pendant les échanges directs ou pendant les présentations. L’autre aspect plus surprenant de mon expérience dans la peau d’un robot, mais finalement tout aussi riche d’enseignement, est lié aux comportements de quelques personnes qui ont interagi avec moi comme avec un objet ou un élément de décoration. Imaginez-vous entrain de faire votre annonce lors d’une pause café lorsqu’une personne vient se poser à côté de vous pour prendre un selfie sans vous adresser la moindre parole.
D’un point de vue relationnel, participer à CHI dans la peau d’un robot a représenté pour moi une expérience humaine et sociale très riche. Faire de nouvelles connaissances et entendre les gens exprimer leur joie sur la chance de pouvoir assister par téléprésence était très agréable et encourageant. D’un tempérament plutôt réservé, j’ai gagné énormément en confiance en moi et en assurance en déambulant parmi les milliers de visiteurs avec mes treize autres homologues robots.
Susciter énormément de curiosité m’a permis de découvrir des comportements très spontanés et positifs à mon égard. Je pense qu’un grand nombre de visiteurs et visiteuses se souviendra de moi, ce qui dans le cadre de mes activités de recherche est évidemment une très bonne chose.
J’ai réalisé une expérience personnelle que je recommande à toutes celles et tous ceux qui peuvent en avoir l’opportunité. Pourtant, cela ne remplace pas les rencontres réelles. J’espère retourner un jour à CHI présenter mes travaux de recherche. J’aurai toujours une attention particulière pour celles et ceux qui auront choisi d’y participer en téléprésence.