L'exposition
À l'origine de l'exposition : un appel à projets lancé par le Centre national des arts plastiques (Cnap) et le musée du Jeu de Paume avec le soutien du ministère de la Culture.
La commande visait à “encourager des écritures extrêmement contemporaines en utilisant des techniques innovantes :
imprimante 3D, réalité virtuelle, plates-formes en ligne, modélisation informatique, capteurs oculaires…”. Elle invitait à « utiliser toutes les ressources du numérique voire même à explorer de nouvelles techniques en dialogue avec ingénieurs, chercheurs et scientifiques. »
Parmi les 16 projets retenus : celui de l'artiste Mustapha Azeroual.
Verbatim
Je me définis comme photographe expérimental. J'ai une pratique conceptuelle. Je m'intéresse plus à ce qui constitue la photographie qu'à l'image en elle-même. J'aborde la question de la représentation, de la perception, de l'enregistrement, de la couleur, de sa restitution.
Je me suis toujours intéressé à comment la photographie peut produire du sensible alors qu'il s'agit d'un medium complètement mécanique et chimique.
Artiste-photographe expérimental
Il y a trois ans, cette démarche conduit l'artiste à l'Université de Strasbourg pour une résidence dans le cadre d'un projet transdisciplinaire appelé Supplementary Elements. Il y fait la rencontre de Jean-Pierre Bucher, chercheur à l'Institut de physique et chimie des matériaux (IPCMS). « Ce physicien travaille sur la microscopie à effet tunnel. Pour schématiser, on
imagine une pointe très fine. En faisant passer un courant électrique entre cette pointe et le cristal que l'on veut observer, on crée un tunnel quantique. Un atome s'accroche au bout de la pointe. On déplace ensuite cette pointe et on parvient à traîner l'atome à la surface de notre cristal. On peut alors interpréter la variation du courant et produire une image en trois dimensions du relief au niveau moléculaire. »
Rugosité moléculaire de l'argent
En pratique cependant, l'instrument est difficilement utilisable pour un travail de création. « Impossible d'y intégrer un échantillon qui pourrait être le mien. Cela risquait d'être bloquant pour collaborer. Nous en sommes restés là. »
Quelques semaines plus tard, pourtant, Jean-Pierre Bucher reprend contact. « Il m'informe qu'il y a un signal qui pourrait m'intéresser : celui du son à la sortie de la pointe. Il correspond au bruit de la rugosité du substrat. Effectivement, cela m'intéressait... d'autant plus qu'il s'agissait du son de la rugosité moléculaire de l'argent. Il y a une dimension symbolique intéressante quand on sait le rôle que cet élément a joué dans l'histoire de la photographie. Donc je suis parti de cette matérialité. »
Quelques mois plus tard arrive l'appel à projets pour l'exposition Images 3.0. C'est l'occasion de poursuivre le travail amorcé. « J'ai alors contacté Thomas Maugey. C'est un chercheur spécialiste du traitement du signal mais également un ami. Nous avons commencé à échanger sur le sujet pour voir comment transposer le signal du son en lumière et en image. »
Analyser les fréquences
Verbatim
« Dans ce projet, toutes les intentions artistiques sont celles de Mustapha, prévient d'emblée le scientifique. J'ai apporté mon savoir-faire en traitement du signal. Nous sommes partis de l'enregistrement du son produit par la vibration d’une molécule sur une surface d’argent. Nous avons essayé d'interpréter cette vibration sous différentes formes pour analyser les fréquences et les transposer dans une séquence de couleurs. Nous voulions aussi fusionner une image de réflexion du soleil sur une plaque d'argent et Lena, qui est une image test classiquement utilisée pour l'essai des algorithmes de traitement du signal. Nous les avons fusionnées par des mélanges de spectres. Je voulais coller le plus possible au rendu que Mustapha souhaitait obtenir. Il faut s'efforcer de comprendre le propos artistique pour se mettre ensuite à la recherche d'une technique permettant de le faire aboutir. C'est une expérience intéressante, d'autant plus que j'aime bien son travail. »
Chercheur Inria dans l'équipe-projet SIROCCO
Et quid de la difficulté à faire dialoguer l'artiste et le scientifique ? « J'ai une formation en ingénierie mécanique, indique Mustapha Azeroual. Donc j'ai quelques bases. J'arrive à échanger. Mais les incompréhensions sont intéressantes en cela qu'elles produisent de l'imaginaire. Les idées surviennent souvent des malentendus. C'est dans ce sens où j'ai apprécié cette collaboration avec des scientifiques. Elle apporte cette dimension d'inattendu. »