Avant la réforme, la police et les sapeurs-pompiers de Paris géraient séparément cinq centres de traitement d’appels d’urgence à Paris et en petite couronne . La police disposait d’un centre par département (75, 92, 93 et 94), recevant les appels arrivant au numéro 17. Les sapeurs-pompiers disposaient d’un centre d’agglomération recevant l’ensemble des appels arrivant aux numéros 18 et 112.
Les deux organisations, placées sous l’autorité du préfet de Police, ont été réunies au sein d’une plate-forme unique . Ce pour répondre à trois objectifs :
- la modernisation du traitement des appels d’urgence au premier bénéfice de la population défendue ;
- la sécurisation des départs sur des interventions communes dès l’instruction des demandes ;
- l’optimisation des ressources par effet de mutualisation.
Face à l’afflux croissant des demandes d’urgence, la Préfecture a aussi mis en place un système de réponse à deux niveaux : chaque appel est d’abord pris en charge par un opérateur "neutre" , qui le filtre et le qualifie en fonction de sa gravité, avant de le transférer, si besoin, à un expert métier (sapeur-pompier ou policier).
Cette réorganisation, déployée progressivement sur le terrain depuis 2016, se poursuit aujourd’hui, avec la contribution de plusieurs chercheurs d’Inria :
- Stéphane Gaubert , responsable de l’équipe de recherche Tropical (commune au centre de recherche Inria Saclay - Île-de-France et l’École polytechnique) spécialisée en géométrie tropicale - une branche des mathématiques qui permet d’étudier les phénomènes d’attente et de congestion ;
- Xavier Allamigeon , un membre de l'équipe Tropical ;
- Philippe Robert , expert en théorie des probabilités appliquées aux réseaux au centre de recherche Inria de Paris.
Un modèle mathématique pour simuler tous les scénarios
Les chercheurs ont été sollicités par Régis Reboul, directeur de projet en charge de cette réforme auprès du Préfet secrétaire général pour l’administration de la Préfecture de police, et par le lieutenant-colonel Stéphane Raclot, son adjoint, dès 2014.
Il fallait simuler tous les scénarios possibles, des plus simples aux pires épisodes de congestion, afin de tester l’efficacité de la future plateforme
explique Stéphane Gaubert.
« Avec plusieurs élèves de l’École polytechnique et Vianney Bœuf, un doctorant de l’École des Ponts ParisTech, nous avons donc construit un modèle mathématique complexe , représentatif du fonctionnement du système envisagé. »
Cela a contribué à consolider le projet avant sa concrétisation, notamment en termes de dimensionnement : « nous sommes parvenus à évaluer le nombre maximum d’appels qui peuvent être traités tout en garantissant un temps d’attente limité , en fonction du nombre de personnes mobilisées sur la plate-forme , complète Stéphane Gaubert. Nous avons ainsi montré qu’il y avait un minimum d’effectifs à avoir, au premier comme au deuxième niveaux de réponse, pour garantir la fluidité de l’instruction des demandes. »
Les chercheurs ont aussi montré que le nouveau système était plus protecteur pour les grandes urgences (arrêts cardiaques, vol à main armée, etc.). En cas de "coup de bélier", c’est-à-dire de pic important d’appels, le filtrage par un opérateur permet de toujours faire passer les cas graves en priorité aux experts métiers. Et ce rapidement, puisque ces derniers sont moins encombrés par les appels polluants, désormais filtrés au premier niveau.
De l’intérêt de rajouter une étape de filtrage de 30 secondes, y compris en mode nominal
En 2018, c’est le bénéfice apporté en dehors des pics d’appels qui a pu être démontré au cours d’un travail avec deux élèves polytechniciennes, Célia Escribe et Céline Moucer. S’il n’y a pas de congestion, le temps d’attente pour parler à un expert est certes allongé de 30 secondes, du fait de l’ajout d’un niveau de réponse. Mais ces secondes ne sont pas perdues : elles permettent à l’opérateur de premier niveau, grâce à un questionnaire bien étudié, de récupérer toutes les informations nécessaires pour une instruction efficace par l’expert et pour un engagement rapide des capacités mobiles d’intervention.
Le nouveau système permet aussi d’atteindre une meilleure performance pour un même nombre total de personnes sur la plate-forme, du fait de la mutualisation des opérateurs de premier niveau et de la fluidification du décroché des appels entrants.
Nous sommes en train de mettre en place un système d’information qui permettra de sécuriser les échanges de données au sein de ce dispositif à deux niveaux
annonce le lieutenant-colonel Stéphane Raclot.
« Cela permettra, entre autres, aux responsables de la plate-forme d’être alertés dès que l’un des indicateurs identifiés dans le cadre des travaux de recherche opérationnelle menés avec Inria et l’École polytechnique dépasse un seuil paramétré. Cela peut être, par exemple, l’accroissement du temps d’attente entre les deux niveaux de réponse. Les protocoles visant à limiter les risques de congestion sont adaptables en fonction de tels seuils, en appelant des renforts ou en modifiant les règles de transfert des appels. Ces points sont maintenant objectivés avec plus de clarté et d’acuité. Jusque ici, l’application de ces procédures et la gestion des effectifs en poste dépendaient souvent de l’expérience métier des responsables des différents centres de traitement des appels d’urgence. »
Extension de l’étude aux appels relevant des Samu
Les travaux prennent aujourd'hui une envergure nouvelle avec la prise en compte de la dimension "Santé" dans ce processus de gestion des appels , en lien avec les quatre services d'aide médicale urgente de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (les SAMU 75, 92, 93 et 94).
Les appels qu’ils reçoivent par le 15 "santé" ont des caractéristiques spécifiques qui exigent des actions en chaîne, de la qualification de l’appel au dimensionnement et au suivi de la réponse par le médecin régulateur. Certains appels transitent aussi par le numéro d’urgence universel 112 ou via les numéros 17 et 18, qui sont décrochés par la plate-forme unifiée décrite plus haut.
Un doctorant de l'équipe, Marin Boyet, effectue un travail approfondi sur les données et étend les modèles, afin d'aider les équipes médicales à identifier les scénarios les plus pertinents pour sécuriser et accélérer la prise en charge des patients dans leur parcours de soins, et ce dès la réception de leurs appels par les opérateurs de premier niveau de la plate-forme.
Contacts
- Stéphane Gaubert , responsable de l’équipe-projet Tropical, commune au centre de recherche Inria Saclay - Île-de-France et l’École polytechnique
- Xavier Allamigeon , un membre de l'équipe Tropical,
- Philippe Robert expert en théorie des probabilités appliquées aux réseaux au centre de recherche Inria de Paris.