Prix & Distinctions

Grand Prix Inria-Académie des sciences 2019 : Vincent Hayward, la compréhension au bout des doigts

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Mis à jour le 10/06/2021
Lauréat du Grand Prix Inria–Académie des sciences 2019, Vincent Hayward voit récompensée sa contribution exceptionnelle aux sciences informatiques et mathématiques. Véritable pionnier de l’haptique, la discipline qui explore et exploite le sens du toucher, il y a contribué autant par ses recherches théoriques que par les dispositifs de stimulation sensorielle et les startups qu’il a créées. Ce prix vient confirmer sa certitude qu’avec une industrie en plein essor, le toucher n’est en aucun cas inférieur aux autres sens.

Inspiré par une mère orthophoniste, Vincent Hayward a toujours été intéressé par les sens. Joueur de percussions, il avait pour but initial de faire une thèse en acoustique musicale. Mais son projet tombe à l’eau avec le départ en retraite d’Émile Leipp, le professeur avec lequel il voulait travailler sur la physique des membranes des percussions. Il commence alors un doctorat sur la synthèse vocale, au Laboratoire d'informatique pour la mécanique et les sciences de l'ingénieur (LIMSI*).

Le projet tourne court et n’y a pas d’autre choix que de changer complètement de sujet. Un coup dur pour l’apprenti chercheur, mais « il faut être adaptable » en sourit-il aujourd’hui. La solution se trouve au sein du LIMSI, toujours dans le domaine du langage, mais, cette fois, celui de la programmation des robots, qui sera le sujet de sa thèse.

Une solide formation en robotique

Vincent Hayward se retrouve ainsi à faire de la robotique. Nous sommes à la fin des années soixante-dix, l’informatique professionnelle est en est plein essor, mais les ordinateurs personnels sont une curiosité. Tout est à apprendre. Deux ans de postdoctorat à l’université Purdue (États-Unis) le spécialisent dans la programmation des robots industriels, en vue d’améliorer leurs fonctionnalités sensorielles pour les systèmes de production.

À son retour, en 1983, il est recruté par le CNRS pour continuer sur ces thématiques de recherche et intègre le LIMSI. Moins de trois ans après son entrée en fonction, l’envie de bouger le reprend et il trouve un poste universitaire au Canada, à l’Université McGill. Là encore, il lui faut s’adapter, car c’est un poste en génie électrique qui s’est ouvert. Grâce à ses recherches sur l’asservissement et la commande robotique, il s’intègre facilement au laboratoire. Il y restera 25 ans. Ses travaux portent alors essentiellement sur des questions industrielles, notamment la télé-opération en robotique spatiale et pour la maintenance des lignes à haute tension.

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© Inria / Photo G. Scagnelli

Vincent Hayward en cinq dates-clés 

  • 1981-1982 - Séjour postdoctoral à l’université Purdue (États-Unis), sous la direction du professeur Richard P. Paul ; 
  • 1989 - Obtention d’un poste d’"Assistant Professor" à l’Université McGill (Canada) ;
  • 1992-1999 – Changement de thématique de recherche, de la robotique et l’étude du sens du toucher ;
  • 2008 - Chaire d’haptique à l’université Pierre et Marie Curie (Paris) ;
  • 2010-2016 - European Research Council Advanced Grant ;
  • 2019 - Élection à l'Académie des sciences 

Vers le sens du toucher

Le basculement vers l’haptique, Vincent Hayward s’en souvient encore. C’était un soir de décembre 1991. Il rencontre Christophe Ramstein, chercheur dans un institut montréalais, qui s’intéresse à l’accessibilité des interfaces machines aux personnes visuellement déficientes. Jusqu’ici, les ordinateurs étaient commandés au clavier, en lignes de codes. L’apparition et la généralisation des interfaces graphiques a une conséquence imprévue : la mise sur la touche des personnes handicapées visuelles, qui utilisaient jusqu’ici un clavier et une plage de braille.

L’idée de ce collègue est de traduire ces interfaces visuelles en quelque chose d’accessible par l’audition et le toucher. Le sujet intéresse Vincent Hayward, et très rapidement, ils mettent au point un robot articulé que l’on peut toucher et qui se déplace en deux dimensions. Baptisé « le pantographe », ce dispositif permet d’« explorer » l’écran et de « toucher » les objets numériques en reproduisant la sensation physique de buter contre un objet. D’un simple clic, il est ensuite possible de les faire s’identifier par voie sonore, et déclarer, par exemple : « je suis la boîte mail ». La qualité du résultat, la simplicité de l’approche et le peu de moyens nécessaires pour la mettre en œuvre sont impressionnants.

Vincent Hayward découvre avec ce projet un sujet de travail évident, qui va lui permettre de renouer avec un de ses plus anciens intérêts. Il devient ainsi l’un des fondateurs d’un pan entier de recherche qui est encore quasi inexploré, la communauté internationale de chercheurs de ce domaine se réduisant dans les années 1991-1992 à une poignée de personnes.

Collaborer pour évoluer

À l’usage, le pantographe révèle une série de phénomènes perceptuels étonnants. Des sortes « d’illusions d’haptique ». Pour les expliquer, il faut s’intéresser à la manière dont notre cerveau fonctionne. Vincent Hayward se lance alors dans la recherche qui l’occupe encore à ce jour avec une idée simple : se servir des compétences acquises en robotique comme d’un tremplin pour explorer le système nerveux.
Rapidement, un problème émerge : pour bien comprendre le sens du toucher il faut une bonne connaissance du substrat biologique, depuis de la biomécanique jusqu’au comportement. Un champ de compétences complètement étranger à Vincent Hayward.

Ce constat donne le coup d’envoi de nombreuses collaborations avec des neurophysiologistes spécialistes du toucher. Deux de ces collaborateurs le marqueront particulièrement. Allan Smith d’abord, qui, à l’université de Montréal, lui enseigne les bases de la discipline. Le suédois Henrik Jörntell ensuite, de l’université de Lund, avec lequel il mène les travaux dont il est le plus fier.

Les deux chercheurs vont démontrer expérimentalement chez l’animal la théorie de Vincent Hayward sur le traitement des données tactiles dans le tronc cérébral. Nous sommes en 2014, et ce résultat n’a pu être obtenu que grâce à l’usage d’un dispositif tactile de son invention, qui permet d’utiliser le « patch-clamp », une technique d’enregistrement extracellulaire, très difficile à mettre en œuvre dans l’étude du toucher à cause de son extrême sensibilité aux perturbations mécaniques.

Théoricien inspiré et « serial » entrepreneur

En 2007, l’université Pierre et Marie Curie lui offre une chaire d’haptique qu’il accepte, et il quitte Mc Gill, car il considère le changement comme « fondamentalement bon, pour penser différemment et trouver de nouvelles idées ».

Dans la foulée, il décroche une bourse ERC pour poser les bases d’une théorie expliquant le fonctionnement du toucher. Un travail qu’il poursuit comme professeur invité à l’université de Londres, en 2017. Tout au long de ces années, son travail de recherche fondamentale et son implication dans la formation et la coordination de projets nationaux, européens et internationaux, se doublent d’une grande productivité en ingénierie.

Il conçoit ainsi de nombreux dispositifs électromécaniques pour stimuler la peau, le sens moteur… qui donneront lieu à une quarantaine de brevets et des collaborations avec de nombreux secteurs industriels. En naîtront aussi quatre startups, développant par exemple des systèmes pour entraîner les chirurgiens, ou pour permettre aux concepteurs 3D de « toucher » les objets qu’ils inventent.

La dernière en date, Actronika SAS, est dédiée à la création de technologies haptiques qui procurent des sensations de très haute qualité. Elles trouvent des applications aussi bien dans l’univers industriel de l’automobile connectée que dans le monde de la réalité virtuelle, ou celui du biomédical, pour la rééducation de personnes accidentées.

Si recevoir le Grand Prix Inria est une surprise pour Vincent Hayward, il espère surtout que cette distinction va contribuer à rendre la recherche sur le toucher plus visible, plus attractive pour les jeunes chercheurs. Car il en est convaincu, l’étude ce sens, absolument fondamental pour les hommes et les animaux, recèle de nouvelles frontières que nous ne soupçonnons même pas.


* Le LIMSI est une entité du CNRS associé par convention avec l’université Paris-Sud

Témoignages

Professeur Hiroyuki Shinoda, Université de Tokyo, Department of Complexity Science and Engineering

« Vincent Hayward a littéralement été le leader et le pionnier de l'haptique. Ses travaux, qui datent d’avant la fondation des sociétés universitaires d'haptique dans les années 2000, ont clarifié la nature même du sens du toucher. De nombreuses personnes savent maintenant qu'une vibration synchronisée avec un mouvement humain, ou une information visuelle, peut créer une expérience sensorielle riche et même produire la sensation d'un objet virtuel. C’est aujourd’hui un outil pratique de l’haptique. Vincent avait remarqué cette possibilité dès les années 1990 et en avait fait la démonstration dans les années 2000. En parallèle, il a inventé les dispositifs de test correspondants. Ses découvertes et réalisations sont utilisées et continueront à l’être dans un large éventail d'applications. »

Professeur Alain Berthoz, neurophysiologiste, Collège de France, titulaire de la chaire de physiologie de la perception et de l'action de 1993 à 2010, membre de l'Académie des Sciences

« Un véritable maître, dont la culture traverse et explore les limites des disciplines »

« J’ai eu l’occasion de coopérer avec Vincent Hayward à deux reprises, autour de la possibilité d’appliquer ce que nous savions du contrôle de la marche humaine chez des robots bipèdes. Ce qui m’a impressionné chez lui, c’est sa capacité à saisir immédiatement la généralité d’un principe du vivant et à l’appliquer à la réalisation d’une créature artificielle. Je considère Vincent Hayward comme un grand théoricien qui sait prouver ses théories à la fois avec des outils formels et à l’aide de "démonstrateurs" techniques complètement originaux. C’est un véritable maître, dont la culture traverse et explore les limites des disciplines, et dont la grande créativité n’a d’égales que sa gentillesse et sa modestie. »