Dans ce cadre, une rencontre avec Erwan Kerrien, chargé de recherche Inria dans l’équipe Magrit, commune au centre Inria Nancy – Grand Est et au Loria, est tout indiquée. Lui, sa préoccupation, c’est la quête de l’image artificielle intelligente !
Erwan Kerrien : « Inria collabore depuis longtemps avec le CHRU de Nancy et GE Healthcare (ex General Electric Medical Systems). Les médecins ont une bonne vision à long terme de leur discipline, mais pas forcément conscience des voies d’améliorations technologiques possibles pour l’atteindre progressivement. Il faut être présent à leurs côtés, assister à des examens et "vivre" la difficulté au moment où elle se présente. C’est là, précisément, que nous pouvons mettre en commun nos diverses spécialités pour progresser. »
Où est l’IA dans tout cela, je vois plutôt une collaboration de l’intelligence humaine…
E.K : « Il y a effectivement une tendance à réduire l’IA au machine learning et, à sa sous-catégorie, le deep learning. Moi, je m’intéresse à l’image et à la compréhension automatique de ce qu’il y a dedans. Une image représente un monde tridimensionnel avec des objets, en l’occurrence, pour le médical, l’anatomie du patient ou de la patiente. Mon objectif, c’est de pouvoir avoir une représentation intelligible de ce monde tridimensionnel, à partir des images réelles.
Là-dessus, l’œil et l’intelligence humaine sont d’emblée plus performants : le médecin sait lire une image et distinguer les os, les organes, une éventuelle pathologie. L’ordinateur, lui, ne voit d’abord que des points de mesure dans l’espace : les pixels. Comment passer de ces points à quelque chose qui est proche de la compréhension du médecin ?
Je m’intéresse également beaucoup à la simulation par l’image en temps réel. Elle pourrait nous donner accès à des informations invisibles sur l’image comme, par exemple, la pression artérielle mesurable in vivo. Faire de la simulation de fluide permettrait de voir le trajet du sang notamment en cas d’anévrisme. Aujourd’hui, le traitement s’arrête lorsque l’image montre qu’il n’y a plus de sang à l’intérieur. Avec un système plus intelligent, qui inclurait une simulation fiable par rapport à l’image, c’est-à-dire reproduisant la réalité dans l’espace et le temps par l’informatique, nous aurions d’autres arguments pour planifier et réaliser le traitement. »
Qu’apporte la réalité augmentée ?
E.K : « Une des manières d’améliorer l’interprétation de l’image, c’est d’ajouter des informations tridimensionnelles sur l’image bidimensionnelle que regarde le médecin. Elle offre ainsi une synthèse intuitive de diverses informations complexes qui aide le médecin dans ses décisions, sans les prendre à sa place. Par exemple, il a été envisagé, à un moment, d’automatiser le diagnostic de la mammographie grâce au "diagnostic assisté par ordinateur". Ce n’est pas arrivé. En revanche, les systèmes mis au point actuellement indiquent au médecin où elle ou il doit regarder précisément. Elle ou il suit ce conseil ou pas, mais peut gagner du temps sur chaque examen. En résumé, j’essaie de faire en sorte que l’image complexe, pas toujours très informative et multimodale, puisse être synthétisée et facilement interprétable. »
Une image 100 % artificielle et, donc, 100% efficace ?
E.K : « Non. Mais nous pouvons témoigner, nous informaticiennes et informaticiens, après plusieurs années de travail avec les médecins, de leur reconnaissance des apports de l’informatique et de leur volonté de les intégrer en routine. Il est clair, pour chacun et chacune d’entre nous, que chaque innovation intelligente en santé restera soumise à une validation médicale humaine. »
© Re.Med. / Nov.2018
Laurence Verger
Responsable communication recherche, CHRU de Nancy