Un partenariat interdisciplinaire pour lutter contre des champignons pathogènes
Mis à jour le 17/12/2024
Sur les cinq millions d’espèces de champignons microscopiques estimées dans le monde, quelques centaines représentent un risque pour l’humain et cinq préoccupent particulièrement les biologistes brésiliens, en raison de leur impact sur la santé publique en Amérique du Sud. Pour lutter contre cette menace, ces scientifiques collaborent depuis plusieurs années avec une équipe Inria qui a bénéficié en 2021 d’une Action de développement technologique (ADT).
équipe Capsid
L’interdisciplinarité au service de la santé
Près de quatre millions de Brésiliens souffriraient d’infections graves liées à des champignons pathogènes ; plus de 300 millions de personnes dans le monde. Le danger est d’autant plus alarmant que ces champignons microscopiques se retrouvent dans nos hôpitaux, où ils provoquent des maladies nosocomiales, particulièrement graves pour les patients immunodéprimés. C’est pourquoi trois chercheurs de l’équipe-projet Inria CAPSID, commune avec l’université de Lorraine et le CNRS au sein du laboratoire Loria, Bernard Maigret, Marie-Dominique Devignes et Malika Smaïl-Tabbone, ont répondu à l’appel à projet lancé en 2022 par le programme de coopération scientifique CAPES-COFECUB entre le Brésil et la France, pour trouver des molécules capables de neutraliser ces champignons. « En nous engageant dans des travaux interdisciplinaires,nous sortons de notre zone de confort car nous abordons des connaissances qui dépassent nos expertises initiales, noteMalika Smaïl-Tabonne, coordinatrice côté français de cette collaboration franco-brésilienne. Ces recherches sont plus longues et difficiles à évaluer, mais elles aboutissent à des résultats probants, sources de grande satisfaction, à force d’acculturations réciproques. »
« Nos deux équipes travaillent d'arrache-pied sur un projet innovant visant à identifier des molécules antifongiques efficaces contre des champignons pathogènes négligés, notamment en Amérique latine. L'équipe française contribue à la découverte et à l'amélioration des traitements futurs de ces mycoses dans les zones tropicales et subtropicales. Dans le cadre de ce projet, nous partageons nos expériences et des informations clés pour développer de nouveaux composés destinés à traiter ces maladies fongiques graves et laissées pour compte. » Maria Sueli Felipe, coordinatrice côté brésilien du projet CAPES-COFECUB
Inhiber une protéine pour vaincre les champignons pathogènes
Aspergillus fumigatus, Candida albicans, Cryptococcus neoformans, Fonsecaea perdrosoi et Paracoccidioides lutzii. Les biologistes brésiliens ont identifié cinq champignons pathogènes, qui peuvent envahir l’organisme d’une personne et provoquer de terribles infections s’ils prolifèrent de façon incontrôlée. « Dans les cas les plus graves, cela peut conduire à des amputations, voire à la mort, précise Malika Smaïl-Tabbone. Or, il existe peu de médicaments antifongiques à ce jour et ils sont spécifiques à un seul type d’infection. »
Comment lutter contre ces champignons ? « Notre objectif est de découvrir une molécule active sur les cinq espèces de champignon afin de les combattre toutes à la fois, poursuit la chercheuse. La prise d’un seul médicament plutôt que cinq simplifie considérablement le traitement. » Une protéine, la thiorédoxine réductase, a été identifiée comme cible parles biologistes brésiliens. Cette enzyme est indispensable à la croissance des champignons pathogènes. Si les chercheurs parviennent à l’inhiber, le champignon meurt.
Trouver la molécule idéale
Le défi : trouver la molécule capable d’inhiber l’enzyme. C’est précisément la tâche de l’équipe CAPSID. Un travail long et exigeant, reposant sur le "criblage" massif de molécules capables de se lier à la protéine cible afin de bloquer son action. « Pour accélérer cette identification, nous utilisons le criblage virtuel, une technique qui consiste à sélectionner des molécules thérapeutiques par voie numérique », explique Bernard Maigret. Les algorithmes de criblage virtuel peuvent passer au crible des millions de molécules en fonction de critères successifs comme leur taille, leur toxicité, leur solubilité, leur capacité à être synthétisées industriellement… Un procédé très rapide : une base de dix millions de molécules peut être réduite à quelques milliers de molécules intéressantes en deux jours seulement.
« Cependant il reste ensuite une étape délicate : le docking moléculaire, complète Marie-Dominique Devignes. C’est là que nous avons demandé à Inria de monter une ADT (voir encadré) car il s’agissait de rationaliser l’exécution des programmes et la gestion des résultats de docking pour se concentrer sur l’analyse experte des résultats ». Le principe du docking ? Simuler, sur la base de leur structure tri-dimensionnelle et de leurs propriétés physio-chimiques, l’amarrage des molécules candidates sur la thiorédoxine pour détecter si elles sont susceptibles de l’inhiber.
Utiliser des méthodes d’IA générative
Pour aller encore plus loin, les chercheurs génèrent davantage de molécules à partir de celles qui s’amarrent correctement. Objectif : optimiser la recherche des molécules les plus actives contre les cinq champignons. L’équipe utilise pour cela des méthodes d’intelligence artificielle (IA) générative de structures de molécules, suivies par un apprentissage par renforcement.
Aujourd’hui, pas moins de 40 molécules candidates ont été isolées. « Les deux prochaines années permettront aux biologistes brésiliens de les tester in vitro pour vérifier leur efficacité contre les cinq champignons. De notre côté, nous continuerons d’optimiser nos recherches avec d’autres molécules sélectionnées avec les méthodes d’IA génératives et d’apprentissage par renforcement, » conclut Malika Smaïl-Tabbone. Une collaboration scientifique à suivre de près…
Une équipe interdisciplinaire aux profils complémentaires
Bernard Maigret, Marie-Dominique Devignes et Malika Smaïl-Tabbone travaillent ensemble depuis une vingtaine d’années, formant un groupe soudé avec des expertises complémentaires.
Malika Smaïl-Tabbone
Enseignante et chercheuse en informatique, elle coordonne du côté français le projet de coopération soutenu par les organismes CAPES et COFECUB. Ses travaux ont conduit à la découverte de molécules candidates prometteuses contre la COVID-19, grâce aux techniques d’IA dernière génération combinées au docking moléculaire.
Marie-Dominique Devignes
Chercheuse en bioinformatique, elle a été responsable de l’équipe CAPSID jusqu’en juillet 2024. Au sein de l’Institut français de bioinformatique, elle a coordonné un groupe de travail sur l’interopérabilité entre les programmes informatiques, promouvant les principes FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable), pour rendre les données et logiciels plus accessibles et réutilisables.
Bernard Maigret
Chercheur émérite en chimie théorique, il a initié il y a quelques années des travaux sur la conception de molécules thérapeutiques et la réutilisation de médicaments pour de nouvelles indications. L’objectif ? Réduire le temps des essais cliniques pour le développement de traitements innovants. Ses travaux ont donné lieu au dépôt de plusieurs brevets.
Action de développement technologique (ADT) : toute une ingénierie au service des chercheurs
Dans une dynamique collaborative, l’Action de développement technologique (ADT) mise sur pied par Inria se concrétise par une plateforme de criblage virtuel dénommée VSM-G3 (Virtual Screening Manager – Grid Gold Galaxy). Il s’agit d’une infrastructure logicielle partagée qui permet aux biologistes, chimistes et informaticiens de coopérer efficacement, même à distance, pour concevoir de nouvelles thérapies.
Comme toutes les ADT d’Inria, elle met à la disposition des chercheurs toute l’ingénierie nécessaire au bon déroulement de leurs travaux. Grâce à l’expertise d’Olivier Demengeon, ingénieur du service Expérimentation et Développement du centre Inria de l’université de Lorraine, la plateforme VSM-G3 pemet de faire tourner le programme de docking "Gold" sur une grille de calcul locale ("Grid") dans l’environnement "Galaxy". Pourquoi Galaxy ? Parce que c’est un environnement générique adéquat pour le développement de plateformes logicielles académiques qui facilitent l’analyse des données et le partage de programmes informatiques pour la recherche. Ainsi, la plateforme VSM-G3 s’inscrit dans une logique d’innovation ouverte, à l’instar du programme européen de mutualisation de ressources numériques Elixir et de l’Institut français de bioinformatique. La finalité étant de faciliter la prise en main de programmes complexes par des non informaticiens, les biologistes brésiliens en l’occurrence, et de concentrer leurs efforts sur l’interprétation des résultats.