80 médailles françaises. Soit deux fois plus qu'aux précédentes éditions. C'est l'objectif du gouvernement pour les JO de Paris en 2024. Afin d'aider les athlètes, le ministère des Sports souhaite leur apporter le concours de la communauté scientifique. Une enveloppe de 20 millions d'euros va financer un appel d'offres dans le cadre du Programme prioritaire de recherche (PPR).
Le chercheur Franck Multon a été chargé de coordonner, au niveau national, toutes les actions d'Inria liées au sport. « Nous comptons au moins 23 équipes dont les travaux peuvent intéresser les sportifs. Cela commence avec la captation, que ce soit en vidéo ou à l'aide de capteurs, comme le Zyggie développé par l'équipe Cairn à Lannion. Vient ensuite le traitement de données avec une équipe comme Linkmedia à Rennes, suivi par la reconnaissance d'actions avec Stars à Nice, le big data et l'intelligence artificielle avec Modal à Lille ou Mistis à Grenoble. En parallèle à tout cela, il y a aussi de la modélisation d'interaction physique pour modéliser, par exemple, un kayak sur l'eau avec Acumes. Puis arrivent l'analyse biomécanique et la simulation du mouvement. Ce sont des spécialités de mon équipe, MimeTIC, à Rennes. Il faut ensuite assurer la restitution de ces informations par réalité virtuelle ou augmentée, grâce à des équipes comme Hybrid à Rennes, Loki à Lille ou encore Potioc à Bordeaux. »
Fort de cette palette de compétences, Inria va participer à plusieurs projets dans le cadre du PPR. « MimeTIC en dépose deux en tant que leader. Le premier sur la réalité virtuelle en partenariat avec les Fédérations de boxe, de taekwondo, gymnastique et tir au fusil. Le second sur le tennis avec la FFT. Nous participons aussi à d'autres projets sur le cyclisme, la natation et le surf. Par ailleurs, à Grenoble, mon collègue Lionel Reveret va porter un projet avec plusieurs équipes Inria, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep) et de nombreux laboratoires de biomécanique. Lionel travaille aussi en lien étroit avec la Fédération d'escalade. Au centre Inria Saclay Île-de-France, nous avons aussi Frédéric Chazal, de l'équipe DataShape, qui collabore avec la Fédération de voile. »
Clubs, fédérations et collectivités éligibles à la thèse Cifre
Autre instrument de cette mobilisation : l'Association nationale de la recherche et de la technologie. L'ANRT gère les thèses Cifre, un dispositif qui permet traditionnellement aux entreprises de financer des thèses de doctorat dans les laboratoires de recherche publique.
« L'ANRT souhaite voir plus de thèses Cifre dans le domaine du sport. À l'approche des jeux, elle rappelle qu'une collectivité locale, un club sportif ou une fédération sont éligibles à ce dispositif. Dans mon équipe, à Rennes, nous avons en ce moment une thèse ainsi financée par la Fédération de tennis. » En lien avec le laboratoire M2S (Mouvement Sport Santé), encadrés par la chercheuse et ancienne joueuse, Caroline Martin, ces travaux visent à la prévention des blessures chez les jeunes espoirs.
L'échéance de 2024 impose un tempo serré. « Le Comité d'organisation a clairement dit qu'il ne souhaitait pas que les jeux se transforment en terrain d'expérimentation. » Traduction : « les technologies déployées devront être opérationnelles deux ans avant. Donc dès 2022. D'où la nécessité de démarrer des thèses au plus vite. Dans mon équipe, trois viennent de commencer et nous en prévoyons plusieurs autres. »
Cela dit, sportifs et scientifiques collaborent déjà souvent de longue date. « Sur le football, par exemple, avec le Stade Rennais, MimeTIC a un contrat récurrent pour entraîner le gardien de but en réalité virtuelle. » Ces exercices servent à suivre plusieurs joueurs en favorisant la vision périphérique. « Benoît Costil, l'ancien gardien et actuel remplaçant dans l'équipe de France, est notre meilleur ambassadeur de cet entraînement effectué désormais en routine. Nous travaillons aussi avec le staff médical pour le suivi biomédical des autres joueurs. »
Gymnase scientifique
Les travaux sont grandement facilités par l'existence d'Immermove . Située à Rennes et entièrement dédiée à la recherche, « cette plate-forme est unique en Europe à la fois par sa surface et son niveau d'équipements. Elle comporte un gymnase de 20 x 30 m bardé d'une soixantaine de caméras. Dans le prolongement, se trouve une salle de réalité virtuelle de 12 m de large par 4 m de profondeur et 4 m de hauteur. Ce qui en fait l'une des plus grandes du monde. »
Pour les scientifiques du sport, ces JO offrent aussi l'occasion de se structurer. Le CNRS vient de constituer un groupement de recherche (GDR) sur ce thème. Même mouvement côté Inria. « C'est le deuxième volet de ma mission. Nous amorçons, en particulier, un rapprochement avec l'Insep, l'organisme dédié au sport de haut niveau en France. Ceci permettra de mettre en place des collaborations. Inria vient aussi de signer une convention pour rejoindre Sciences 2024 en tant que partenaire. Porté par Polytechnique, ce regroupement de onze grandes écoles procède à ce que nous appelons des extractions. Concrètement, une délégation se rend dans une équipe olympique pour comprendre les problématiques des sportifs. Elle fait ressortir des questions de recherche. Inria participe désormais à ces extractions. »
Sport Unlimitech
Fin septembre, des scientifiques d'Inria ont aussi participé au festival Sport Unlimitech à Lyon.
« Cela nous a donné l'occasion de nouer d'excellents contacts. Chercheuse dans notre équipe, Anne-Hélène Olivier a ainsi rencontré le médecin de l'équipe de France de rugby. Elle a évoqué ses travaux sur la détection de commotion cérébrale chez les rugbymen à partir d’analyses de comportements d’évitements de piétons. Après une première commotion, il faut s'assurer que le joueur n'a plus de séquelles avant de l'autoriser à retourner sur le terrain. Actuellement, pendant les matchs, des médecins scrutent les images. Ils observent les joueurs pour repérer une éventuelle déviance par rapport à leur comportement normal, ce qui peut constituer un signe de problème. Mais cela, c'est pendant le match. Ce que nous voudrions, c'est intervenir en amont, dès l'entraînement. Anne-Hélène a beaucoup travaillé sur les piétons qui se croisent et s'évitent. Elle a emmagasiné des téraoctets de données sur leur comportement. L'analyse automatique des images permet de détecter statistiquement que quelqu'un s'éloigne d'un comportement standard. » Pourrait-on transposer ce principe pour repérer une commotion chez un rugbyman ? « C'est l'idée. Elle demande encore à être validée, mais nos premiers résultats sont prometteurs. »
À noter aussi l’intervention de Christine Azevedo de Camin qui utilise la stimulation électrique et les neuroprothèses pour emmener des patients paraplégiques au Cybathlon, compétition sportive qui voit s’affronter des sportifs non valides appuyés par de nouvelles technologies d'assistance.
Startup
Les contacts ne se limitent pas aux instances sportives. « Durant Sport Unlimitech, nous avons aussi rencontré des entreprises comme Orange, qui cherche à améliorer l'expérience du spectateur pour les futures compétitions. Nous avons discuté également avec des collectivités territoriales qui veulent développer des événements grand public mêlant sports et sciences. Par ailleurs, Inria présentait deux startups : Ambiciti, qui ne vient pas initialement de ce secteur mais qui s'y intéresse, et AnatoScope, qui effectue de la modélisation anatomique individualisée pour des prothèses, par exemple. »
Avec un ancien doctorant, Franck Multon vient, lui aussi, de créer une startup. Son nom : Moovency . « On s'éloigne un peu du sport. On reste dans la biomécanique. L'entreprise s'intéresse à la captation et la cotation ergonomique de l'opérateur sur son poste de travail selon des critères de pénibilité. Nous sommes très sollicités, en particulier par l'agro-alimentaire, sur les troubles musculosquelettiques. »