Contribuer à la sécurité de navigation
Indispensables à la navigation maritime sous toutes ses formes (plaisance, commerce, surveillance des côtes, sécurisation des espaces maritimes, etc.), les cartes marines permettent aux navigateurs de se positionner et se diriger en mer. Indiquant la profondeur de l’eau ou les dangers en mer (récifs, hauts-fonds, épaves, munitions immergées) et mentionnant également des informations règlementaires, elles sont essentielles à la sécurité de navigation.
Les cartes marines sont éditées en France par le Service hydrographique et océanographique de la marine(Shom) et engagent sa responsabilité en cas d’erreur ou d’accident. Organisme public, le Shom est chargé notamment des campagnes de mesures permettant d’établir la cartographie des fonds marins. C’est en participant à l’une de ces campagnes, qui mobilisent les expertises de plusieurs ingénieurs hydrographes, que Julian Le Deunf, data scientist au Shom, a eu l’idée de faciliter certaines opérations d’analyse de données.
Biographie exprès de Julian Le Deunf
Julian Le Deunf intègre l’ENSTA Bretagne en 2013 et y suit le cursus Hydrographie & Océanologie, une formation de haut niveau reconnue à l’international. Diplômé en 2015, il est embauché au Shom en tant qu’ingénieur militaire hydrographe. Sous la direction de Romain Billot, au laboratoire LabSTICC, il prépare également une thèse de doctorat sur le traitement des données bathymétriques, qu’il soutiendra à la fin de l’année.
Assister les experts dans l’étude des données
« Une campagne nécessite d’analyser une importante quantité d’informations afin de détecter les fonds marins, souligne-t-il. Les hydrographes passent plusieurs heures quotidiennes à visualiser les données 3D sous forme de nuages de points, à éliminer le bruit puis à étiqueter les points restants parmi ceux représentant la surface d’eau et ceux représentant le fond marin. Une tâche souvent longue, répétitive et fastidieuse ! » Comment simplifier ce travail ? « Les techniques d’intelligence artificielle peuvent permettre d’assister les hydrographes dans ces opérations, en automatisant les identifications des fonds les plus simples et en dégageant du temps supplémentaire pour les situations plus complexes, pour lesquelles toute leur expertise est requise. »
Le jeune ingénieur, qui travaille sur ce sujet dans le cadre d’une thèse à l’IMT Atlantique (parallèlement à son poste actuel), dépose ainsi un dossier – décrivant le futur projet TraitLIA – en réponse à un appel à manifestation d'intérêt (AMI IA 2) en 2020. Il est mis en contact avec Steve Oudot, directeur de recherche au centre Inria de Saclay. « Je travaille depuis plus d’une dizaine d’années sur des outils mathématiques, l’analyse topologique de données, qui permettent d’améliorer les performances des algorithmes d’apprentissage machine et d’en comprendre en détail le fonctionnement, explique ce chercheur. Nous avons été sollicités pour proposer nos compétences au Shom sur le projet TraitLIA déposé par Julian. Nous avons apporté nos outils et notre expertise sur certaines techniques d’intelligence artificielle, pour les adapter au traitement des données de mesure en mer. »
Biographie exprès de Steve Oudot
Directeur de recherche au centre Inria de Saclay, Steve Oudot a fondé en 2022 l’équipe GeomeriX, commune à Inria, au CNRS et à l’Institut Polytechnique de Paris, après avoir été membre de l’équipe DataShape.
Sa carrière a débuté vingt ans plus tôt : ingénieur diplômé de l’ENSTA Paris en 2002, il soutient une thèse de doctorat en 2005, présentant des travaux réalisés au centre Inria de Sophia-Antipolis et à l’École Polytechnique et portant sur la génération de maillages pour les surfaces et les variétés. Il rejoint Inria en 2007 après deux années de postdoctorat à l’université de Stanford (États-Unis) où il travaille sur des problèmes d’inférence géométrique et de reconstruction. Ses travaux actuels portent sur le traitement de données par des méthodes topologiques et géométriques.Évaluer les performances des algorithmes
Si l’exploitation de ces données bathymétriques à l’aide d’algorithmes d’apprentissage ne pose pas de difficulté théorique particulière, elle reste un champ d’application nouveau pour l’intelligence artificielle. Pour les chercheurs d’Inria et les ingénieurs du Shom, tout demeure donc à inventer. « Notre approche tient son originalité de la manière dont elle formule le problème, directement comme un problème de régression dans une grille tridimensionnelle, plus proche de l’esprit du produit final (une carte marine), que d’un problème de classification sur des nuages de points, détaille Julian Le Deunf. Nous avons ensuite pu adapter des techniques connues en apprentissage supervisé afin de développer un modèle régressif, capable de prédire les fonds marins d’une zone maritime à partir de données déjà traitées dans une zone similaire. »
Et les résultats s’avèrent probants : « Nous avons analysé les écarts entre les identifications de fonds réalisées à la main par un expert et celles proposées par l’algorithme et montré qu’ils étaient du même ordre de grandeur que la sensibilité des instruments de mesure, ce qui est un résultat tout à fait encourageant. »
Un premier bilan positif
De surcroît, la méthodologie et les outils d’analyse ainsi développés ont fait l’objet d’une évaluation de la part des hydrographes, à l’occasion de deux campagnes d’expérimentation. Verdict : des retours très positifs, l’algorithme permettant d’accélérer significativement leur travail. Ce projet a aussi permis à l’équipe de développer des solutions opérationnelles et d’en exposer les résultats auprès de la communauté scientifique, grâce à une communication dans une conférence internationale d’hydrographie et une publication dans un compte-rendu de conférence.
Pour autant, Julian Le Deunf et Steve Oudot ne comptent pas s’arrêter à ce premier bilan. Les scientifiques ont identifié de nouvelles directions de recherche afin de repousser les limites actuelles de l’algorithme, par exemple dans sa capacité de généralisation.
Engager un travail plus théorique
« Si des données des côtes bretonnes ont été utilisées pour paramétrer l’algorithme, ce dernier sera performant pour analyser les relevés de cette zone, mais sera beaucoup moins efficace pour les côtes corses », précise Julian Le Deunf. « Nous allons donc engager dans les prochains mois un travail plus théorique, exploitant l’analyse topologique de données, dans l’objectif d’améliorer les performances de généralisation et de comprendre la variabilité de certaines prédictions de l’algorithme », poursuit Steve Oudot.
Pour cela, Inria et le Shom, rejoints par l’IMT Atlantique, se sont engagés dans une seconde phase de collaboration, renforcée par la signature d’un contrat de recherche dans le cadre d’un projet technique de défense financé par la Direction générale de l’armement. Ce contrat va permettre de développer un programme de travail sur les trois ans à venir. Objectif : assurer à terme la maturité de l’outil et son utilisation par les équipes du Shom dans des conditions quasi opérationnelles.
Découvrez le projet en vidéo !
Crédits vidéo : ©Etalab
En savoir plus
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