Partenariats académiques

Intelligence artificielle : quels impacts sur le monde du travail ?

Date:
Mis à jour le 10/10/2022
Face à l’explosion des systèmes et algorithmes d’intelligence artificielle dans un nombre sans cesse croissant d’entreprises et d’organisations, les questions structurelles liées à leur essence même et à leur développement fulgurant se multiplient proportionnellement. Convaincu de la nécessité d’une réflexion approfondie concernant leurs effets sur l’emploi et les conditions de travail, le ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, en partenariat avec Inria, a fondé le LaborIA, nouveau laboratoire de recherche consacré spécifiquement à l’exploration de ces thèmes.
Deux personnes devant un ordinateur portable avec un robot
© Inria / Photo M. Magnin

Comprendre et anticiper les effets potentiels de l'IA

Anticiper les impacts sociaux de l'intelligence artificielle (IA) s’avère un exercice difficile. Mais cela pourrait changer très rapidement. En charge de la coordination du Programme national de recherche en IA (PNRIA), lancé fin 2018, Inria est pleinement impliqué dans la création du LaborIA, aux côtés du ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, fin 2021. « Il s'agit d'un centre de ressources et d'un laboratoire commun, qui a pour but de mieux cerner l’intelligence artificielle et ses effets sur le travail, l’emploi, les compétences et le dialogue social, explique Isabelle Herlin, coordinatrice du PNRIA. C'est ce que conseillait le rapport sur l'intelligence artificielle, écrit en 2018 par une équipe réunie autour de Cédric Villani, qui a préfiguré le PNRIA. Le LaborIA a vocation à offrir de précieux éclairages sur la réalité du terrain à destination du ministère du Travail et du législateur européen et à devenir le point de contact français avec le Partenariat mondial sur l'Intelligence Artificielle (GPAI, pour "Global Partnership on Artificial Intelligence") ». Le LaborIA partage les objectifs de cette organisation internationale et multipartite, qui vise à faire progresser des usages de l'intelligence artificielle responsables et centrés sur l'humain.

Le nouveau laboratoire, créé pour une durée de cinq ans, s’est déjà doté d’une première zone d’expérimentation, opérée par Matrice pour une durée de deux ans. Le but ? « Analyser et comprendre l'impact des systèmes d'IA sur le travail, dans des organisations de toutes tailles et intervenant dans différents secteurs d'activité », souligne Isabelle Herlin.

Les enjeux sont de taille, tant d'un point de vue social qu'économique : l'OCDE estime que 32% des emplois seront prochainement amenés à être profondément transformés par l'automatisation. Il sera prêté une attention spécifique à tout ce qui touche aux technologies de maintenance prédictive, reposant sur de l'intelligence artificielle, « dans la mesure où elles se développent à grande vitesse et ont un impact majeur sur les travailleurs, dont on sait qu'ils se sentent parfois déresponsabilisés ou perdent de l'intérêt pour une activité qui semble de plus en plus robotisée », ajoute Isabelle Herlin.

Expérimentations en entreprise

Plusieurs phases vont être mises en œuvre, dans le cadre de la première zone d’expérimentation, afin d’évaluer les conséquences de la généralisation de l’utilisation de l’IA.  « Dans un premier temps, nous allons effectuer une enquête longitudinale sur ce qui se passe dans les organisations par rapport à l'intelligence artificielle et les impacts de ces changements sur le rapport qu'entretiennent les salariés avec leur travail, ou bien sur les identités professionnelles et les collectifs de travail », détaille Emmanuel Ea, directeur général adjoint de Matrice. « Puis, dans une deuxième phase, nous allons nous intéresser à des terrains d'expérimentation dans des entreprises ou des institutions qui ont déjà entrepris de déployer un système d'IA. Des entretiens avec toutes les parties prenantes concernées par ces déploiements (salariés, managers, RH, acteurs sociaux...) seront effectués pour comprendre les réactions suscitées par l'automatisation de certaines tâches et identifier les bonnes pratiques ou les écueils à éviter. » 

Ateliers d'embarquement pour les PME

Dans un objectif de sensibilisation, en particulier auprès des PME, Matrice se chargera par ailleurs d'organiser une série de huit séminaires définis comme « des ateliers d'embarquement » sur les impacts potentiels de l'IA sur le travail de leurs collaborateurs. La finalité : donner des clés pour formaliser les projets et mieux anticiper, dès la phase de conception, les apports ou les risques susceptibles d'être induits par la mise en œuvre de ces systèmes.

« Les concepteurs de systèmes d’IA sont les premiers à plaider pour que le débat soit posé sur la table, relève Emmanuel Ea. C’est un constat sans appel : les déploiements de certains systèmes, avec une forte valeur ajoutée à la clé, sont mis en échec faute d’être compris par les utilisateurs et parce que la question du travail n'a pas été prise en compte par les décideurs. » 

Comprendre l'évolution des métiers

Actuellement, c'est l'émergence des "collègues-robots" qui suscite de nombreux débats. « Il faut amener les entreprises, motivées par les gains de productivité et de compétitivité, à s'intéresser aussi aux enjeux de transformation des métiers, qui sont essentiels pour la réussite des projets », ajoute de son côté Yann Ferguson, responsable scientifique du LaborIA et enseignant-chercheur en sociologie à l'Icam. « Pour les sociétés, l'une des difficultés – peu étudiée – consiste à définir des scénarios d'utilisation, aux côtés et en complément des humains, qui n'ont pas été prévus au moment de la conception des systèmes. Car un humain et un système à base d'IA peuvent s'enrichir mutuellement : l’ [être humain] est capable d'avoir une conception sensible et évolutive du monde et de l'environnement, dont l'IA est dépourvue, tandis que l'IA brille par sa capacité à faire des corrélations parmi de très grandes quantités de données, par exemple. »

Les recherches intégrées au LaborIA porteront, dans le futur, sur les conséquences de l'IA concernant la dimension sociale du travail, au travers de travaux intégrant plusieurs champs :  la reconnaissance de la singularité du collaborateur, les relations humaines, la responsabilité, l'autonomie dans l'exercice d'une tâche et le contrôle accru potentiellement exercé par l'employeur. Des réflexions cruciales pour clarifier les orientations et lever les ambiguïtés.