Portrait de Jean-Bernard Lasserre – Grand Prix Inria - Académie des sciences 2021
Date:
Mis à jour le 24/11/2021
Robotique, IA, informatique, automatique, traitement du signal et des données : ces disciplines phares du numérique, aux nombreuses applications dans notre vie quotidienne, ont toutes en commun d’utiliser des outils mathématiques, et notamment l’optimisation, un domaine auquel Jean-Bernard Lasserre a consacré une grande partie de sa vie de chercheur. Cette éminente personnalité scientifique, directeur de recherche émérite CNRS au LAAS (Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes) et à l’Institut de mathématiques de Toulouse, également titulaire de la chaire "Polynomial Optimization" à l’Institut ANITI, se voit décerner le Grand Prix Inria – Académie des Sciences. La récompense d’une carrière impressionnante.
Tout commence pour Jean-Bernard Lasserre dans les années soixante-dix : son diplôme d’ingénieur de l’ENSIMAG (Grenoble) en poche, il effectue son service national en tant que scientifique du contingent à Sup’Aéro à Toulouse. Il est ensuite docteur-ingénieur après trois ans de recherches au sein du LAAS, où il accomplit ses premiers travaux dans les mathématiques appliquées et l’informatique, une discipline alors naissante.
C’est grâce à son premier séjour à l’université de Californie à Berkeley, dans le cadre d’un postdotorat, que sa carrière scientifique prend son envol. Il fait alors une rencontre déterminante, celle de Pravin Varaiya, brillant chercheur et professeur en économie et contrôle, qui le soutient et l’encourage dans ses premiers travaux en optimisation mathématique. En bref, l’optimisation permet de trouver les solutions qui maximisent ou minimisent une fonction donnée.
Jean-Bernard Lasserre œuvrera près de trente ans dans ce domaine, proposant des liens conceptuels entre différentes disciplines mathématiques (analyse fonctionnelle, géométrie algébrique, processus de décision markoviens, recherche opérationnelle), avec des collaborations déterminantes (notamment avec le mathématicien mexicain Onésimo Hernandez-Lerma et plus tard avec le chercheur français Didier Henrion), et contribuant au développement d’une école de pensée en optimisation.
Verbatim
Tout au long de ma carrière, j’ai eu la chance de me trouver au bon endroit, au bon moment, et de travailler avec des chercheurs de très grande qualité.
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Grand Prix Inria Académie des Sciences 2021
L’optimisation mathématique est au cœur de nombreux enjeux, notamment dans l’industrie : pour l’ordonnancement des tâches (production, logistique, maintenance, etc.), mais aussi pour la gestion de ressources et de réseaux (énergie, distribution, télécommunications, transports, etc.).
Comment résoudre un problème d’optimisation ? Il s’agit de trouver la valeur minimale d’une fonction mathématique à la forme complexe. « Imaginez-vous randonneur dans un massif montagneux accidenté : les sommets sont des valeurs maximales de la fonction, les vallées des valeur minimales, illustre Jean-Bernard Lasserre. Le marcheur le sait d’expérience : il atteint une valeur minimale lorsque, dans toutes les directions alentours, la pente remonte… mais est-il sûr d’avoir rejoint la vallée la plus profonde (et donc de valeur minimale la plus petite) ? ». En optimisation globale, les mathématiciens recherchent la valeur minimale « globale » (le fond de la vallée la plus profonde) et non une valeur minimale « locale » (le fond d’une autre vallée moins profonde).
« Une de mes contributions a été de remplacer le problème initial très difficile à résoudre par une série de problèmes ‘‘convexes’’ plus faciles à résoudre, mais dont la taille ‘‘augmente’’, explique Jean-Bernard Lasserre. J’ai alors établi qu’en augmentant progressivement la taille des problèmes ‘‘faciles’’, on se rapproche de la solution du problème initial ‘‘difficile’.’ » Si la "hiérarchie de Lasserre", nom donné à cette approche proposée par le mathématicien, est devenue aujourd’hui un outil opérationnel, permettant d’élucider des questions très variées, en particulier dans les secteurs de l’énergie (voir encadré), son utilisation en intelligence artificielle (e.g. en apprentissage profond) reste un défi.
Dans ce dernier domaine, les fameux réseaux de neurones artificiels – très utilisés dans les techniques d’apprentissage machine – s’appuient sur des fonctions mathématiques dotées d’un grand nombre de paramètres. La phase dite "d’apprentissage" (qui consiste par exemple à faire analyser au réseau des millions d’images afin de pouvoir reconnaître ensuite automatiquement un objet, un animal, un paysage, etc.) met en jeu l’optimisation mathématique. « Mes travaux actuels, conduits dans le cadre de la chaire en intelligence artificielle ANITI, ne visent pas à remplacer les algorithmes d’optimisation les plus efficaces pour les réseaux de neurones, précise Jean-Bernard Lasserre. En revanche, ils sont particulièrement adaptés pour par exemple évaluer et analyser a posteriori la robustesse et la fiabilité des prédictions que ces réseaux réalisent. Il s’agit d’une question devenue très importante pour certaines applications. Dans un deuxième axe de recherche, nous voulons aussi populariser la fonction de Christoffel (bien connue en théorie de l’approximation) comme un outil simple et facile à utiliser dans certaines applications de traitement de données (e.g. détection de données aberrantes et inférence de support). »
Parfois, les chercheurs ont aussi à relever un autre défi : montrer qu’un outil mathématique efficace dans un domaine peut être appliqué avec succès dans un autre domaine, pour lequel il existe déjà des approches bien établies. « Pour convaincre, nous travaillons en collaboration avec des experts industriels (comme RTE) ou académiques : ensemble, nous étudions un ou plusieurs cas d’usage représentatifs, et comparons les forces et faiblesses des différentes approches », commente Jean-Bernard Lasserre.
L’innovation scientifique naît souvent de cette collaboration entre chercheurs de différents horizons, mais aussi de leur grande liberté intellectuelle. Pour cette raison peut-être, Jean-Bernard Lasserre rêve aujourd’hui de nouveaux espaces, comme l’Australie, qu’il envisage de parcourir à l’occasion de prochaines vacances…
« Une des questions les plus complexes est celle de "l’optimisation des flux de puissance" dans le secteur des réseaux d’énergie de grande taille. L’ambition ? Planifier la production et la répartition des flux de puissance électrique permettant de couvrir, à un coût minimal, la consommation en différents points du réseau et sur des périodes données. La complexité de ce problème d’optimisation est due au grand nombre de sources, consommateurs et circuits de distribution, ainsi qu’aux fortes variations de la production et de la consommation. »