Quel est le thème de vos recherches ?
Depuis plus d’une dizaine d’années, je me consacre aux techniques d’apprentissage statistique (ou apprentissage machine) et à leurs applications à la vision artificielle et au traitement d’images. J’ai découvert ce sujet pendant mon doctorat, réalisé à l’ENS Paris et chez Inria entre 2007 et 2010, puis à l’occasion d’un postdoctorat de deux ans à l’Université de Berkeley en Californie. J’ai ensuite rejoint définitivement les équipes Inria en 2012, en tant que chercheur au Centre Inria de Grenoble. Je dirige depuis 2018 l’équipe Thoth, qui se consacre à l’apprentissage machine et à la vision par ordinateur.
Quel est le but de vos travaux et à quels domaines s’appliquent-ils ?
Il s’agit entre autres de doter les machines de la capacité à analyser un flux d’images et à en comprendre le contenu. Tout le monde a sans doute entendu parler de "reconnaissance visuelle" (utile à la voiture autonome pour comprendre son environnement et s’y adapter), mais ces techniques sont également utilisées en médecine pour l’aide au diagnostic d’imagerie médicale, ou en astrophysique pour découvrir de nouveaux corps célestes par exemple.
L’apprentissage machine connaît un succès remarquable dans ce domaine, comme dans d’autres – en témoigne l’engouement récent autour des agents conversationnels –, mais les performances du machine learning restent en fait perfectibles ! Cette technique demande en effet d’analyser un très grand nombre de données (par exemple les images annotées de scènes diverses) pour paramétrer un algorithme capable ensuite de les reconnaître "en situation" (par exemple dans le flux d’images de caméras embarquées). Or, dans certains cas, les algorithmes connaissent des échecs patents car, dans le monde réel, les données ne sont pas aussi "parfaites" que celles utilisées dans la phase d’apprentissage…
Vous souhaitez donc contribuer à l’amélioration de ces performances. Dans quelle direction allez-vous travailler ?
C’est effectivement l’ambition de l’ERC Apheleia, baptisé ainsi en référence à une divinité relativement obscure à qui on attribue des vertus de simplicité… Il s’agit d’encoder dans les algorithmes d’apprentissage un certain nombre de contraintes que doivent respecter les données analysées (par exemple, selon les applications visées, des contraintes issues des lois de la physique ou de la biologie). En d’autres termes, nous cherchons donc à choisir les modèles les plus simples possible afin d’alléger la phase d’apprentissage. Avant l’apprentissage machine, les techniques de traitement de signal recherchaient déjà ce principe de "simplicité" – qui a donné son nom au projet –, et nous souhaitons l’adapter au machine learning…
Quelles applications visez-vous et comment allez-vous mener vos recherches ?
Avec un budget de deux millions d’euros sur cinq ans, la bourse ERC me donne la chance de constituer une véritable petite équipe scientifique, avec des chercheurs en thèse ou en postdoctorat et des ingénieurs, et d’impulser des recherches pour s’intéresser en profondeur à ces questions ! Nous allons à la fois travailler sur les principes théoriques et méthodologiques de l’approche afin, d’une part, de démontrer sa robustesse et d’autre part, d’implémenter des algorithmes adaptés et efficaces face aux problèmes posés par les applications visées, dans des domaines variés.
Les méthodes que nous souhaitons développer ont une portée générale et concernent donc de nombreux secteurs. Outre l’astrophysique ou la télédétection, nous nous intéresserons à des applications pour améliorer la qualité d’image microscopique ou de photographies numériques, ou encore pour la modélisation de composés chimiques complexes. Nous allons ainsi collaborer avec des astrophysiciens, des chimistes, des spécialistes du traitement d’images. Ce projet nous offre donc la chance d’ouvrir nos horizons scientifiques… et de stimuler notre curiosité intellectuelle !
Comment avez-vous accueilli la nouvelle de l’attribution de cette bourse ?
Avec satisfaction, car le processus de sélection, fondé sur l’écriture d’un dossier détaillé et un entretien approfondi, est très exigeant… mais pour autant, il ne m’était pas inconnu. Je reçois en effet pour la deuxième fois une ERC, après un premier projet en 2016. J’ai dû m’y prendre à deux fois pour obtenir celle-ci ; la persévérance est payante ! J’ai pu compter sur le soutien d’Inria et de collègues proches pendant la préparation de ces étapes. Il est en effet très utile d’avoir un regard extérieur sur ses recherches et de recevoir des conseils avisés pour les présenter de façon convaincante.
Quelles seront les suites de ce projet ?
Il est trop tôt pour le dire… Dans les prochains mois, je vais mettre concrètement en place le programme scientifique et rechercher des candidats pour des thèses. Avec cette ERC, j’apprécie de disposer de moyens permettant d’engager des réflexions sur le long terme, pour innover, produire et partager de la connaissance, ce qui est l’essence de mon travail de chercheur chez Inria !
En savoir plus
- Transformer les données en connaissances : projet ERC de Julien Mairal, Inria, 6/10/2016.
- Grâce à ses recherches, les ordinateurs apprennent à voir ! Inria, 3/10/2017.
- How Grenoble has mastered industry–academia science collaborations (en anglais), Nature, 19/1/2023.023.