Prévenir et soigner plus efficacement grâce au jumeau numérique du cœur
Avec près d’1,7 million de décès chaque année, les maladies cardiovasculaires sont l'un des principaux défis mondiaux en matière de soins de santé. Améliorer la prise en charge des patients potentiellement concernés et les intégrer à un parcours de soins efficace relève ainsi d’un véritable enjeu de politique de santé.
Mais comment prédire efficacement le risque chez chaque individu, évaluer l'étendue de la maladie et simuler des plans de traitement efficaces afin d'améliorer les résultats et la prestation des soins ? Comment identifier le traitement auquel le système cardiovasculaire d’un individu donné répondra le mieux, afin de lui éviter l'expérience d'un traitement inefficace tout en réduisant les coûts pour le système de santé ?
Autant de défis que la médecine personnalisée pourra bientôt relever, et plus particulièrement grâce au concept de jumeau numérique cardiaque. Celui-ci, qui repose sur la création d'une réplique numérique du cœur dérivée de modèles mathématiques et de données cliniques qui correspondent à toutes les observations cliniques disponibles, permettrait en effet d’affiner le pronostic d’une maladie sur un patient, et même de prédire le résultat du traitement administré.
Le jumeau mesure et collecte ainsi des données cardiovasculaires importantes et les associe à d'autres données pertinentes, telles que des données de laboratoire ou d'imagerie médicale. Le jumeau numérique cardiaque se révèle très prometteur en tant que modalité complémentaire aidant à la prise de décision clinique ainsi qu'à l'essai rentable, sûr et éthique de nouvelles thérapies et de dispositifs.
D’Icema à CardioSense3D : Inria, pionnier du cœur numérique
Derrière cette avancée technologique, on retrouve notamment des techniques de simulation et de modélisation issues de l'informatique et des sciences mathématiques.
Plusieurs équipes-projets Inria sont ainsi impliquées autour du sujet depuis maintenant plus de vingt ans. C’est par exemple le cas des équipes MACS, SOSSO, ÉPIDAURE et SINUS qui, au début des années 2000, lancent une ARC (Action de recherche coopérative) consacrée aux modèles et images de l’activité électromécanique du cœur. « Michel Sorine, qui était responsable de l’équipe SOSSO et l’un des précurseurs de l’institut sur le sujet, nous a apporté cette vision modélisation active du cœur avec MACS et SINUS, et nous on apportait l’imagerie avec ÉPIDAURE », précise Hervé Delingette, chercheur dans l’équipe-projet Epione (ex- ÉPIDAURE puis Asclepios).
Une idée de Gilles Kahn, alors directeur scientifique de l’institut, persuadé de l’intérêt de développer des modèles numériques pour la cardiologie couplant traitement d’image et modélisation : « Il avait un côté visionnaire. Il était capable de convaincre les gens de participer à un sujet, de les embarquer dans un projet, et de tout mettre en œuvre pour que cela fonctionne. À l’époque, la doctrine était de ne pas renouveler une ARC mais Gilles Kahn nous avait aidés à prolonger avec Icema 2, puis suggéré de candidater pour une action d’envergure », raconte Dominique Chapelle, directeur de recherche dans l’équipe-projet MΞDISIM.
Cette action d’envergure, baptisée CardioSense3D et lancée en 2005, est alors destinée à la modélisation numérique du cœur. Son objectif : développer une simulation de l'activité cardiaque spécifique au patient et adaptée aux applications cliniques (pose de pacemaker, traitement des patients ayant des arythmies cardiaques, etc.). Ce modèle, encore imparfait, permet déjà de quantifier des aspects importants de la fonction cardiaque, et de prédire l’effet de certaines thérapies par la simulation.
Derrière cette action, on trouve les équipes Asclepios (ex- ÉPIDAURE), MACS et Sisyphe (anciennement SOSSO), mais aussi l’équipe REO (dirigée alors par Jean-Frédéric Gerbeau), qui s’intéresse particulièrement à l’électrophysiologie cardiaque. L’action implique, également, des centres cliniques tels que le Guy's Hospital de Londres, le laboratoire de cardio-énergétique des National Institutes of Health et l'hôpital Henri Mondor.
Ce qui a fait notre force, c’était cette agrégation. Avec relativement peu de moyens, nous avions un but commun et avons réussi à faire avancer les choses. Nous étions par ailleurs vus comme des leaders, non seulement parce que notre recherche était avancée mais aussi parce qu’on était proches des applications.
Dominique Chapelle
"Patient-specific electromechanical models of the heart for the prediction of pacing acute effects in CRT: a preliminary clinical validation", article publié en 2011, est représentatif de cette époque et de l’impact de CardioSense3D. Les scientifiques y présentent une preuve de concept montrant qu’il était possible de répondre à une question pratique de cardiologie, concernant des patients dont le cœur se contracte de manière désordonnée.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, et après plusieurs années de travaux portés par des initiatives européennes sur le sujet, la personnalisation des modèles avec des données non invasives est au centre des recherches dans le domaine. Un autre enjeu est également devenu fréquent après que sa pertinence a été démontrée : raisonner sur des temps longs, c’est-à-dire ne plus modéliser seulement sur des cycles cardiaques, mais également sur plusieurs semaines ou plusieurs mois grâce à des modèles multi-échelles.
Découvrez nos projets et initiatives autour du cœur numérique
SimCardioTest, un consortium de coeur
SimCardioTest est un projet financé par la Commission européenne à hauteur de huit millions d'euros. Il vise à accélérer l'adoption de la simulation numérique pour concevoir les médicaments et les dispositifs médicaux cardiaques.
AnaestAssist : des outils d’aide à la décision pour les anesthésistes-réanimateurs
AnaestAssist propose une solution de monitorage augmenté du système cardiovasculaire, grâce à un jumeau numérique du patient. Cette technologie s’appuie sur près de 20 ans de recherches menées par Inria et l’AP-HP.
MusiCardio : un logiciel de simulation numérique au service de la cardiologie
MusiCardio est un logiciel dont le but est d’offrir un large spectre de fonctionnalités et de chaînes de traitements consacrées à la cardiologie, aussi bien pour les scientifiques que pour les professionnels de santé.
InEurHeart : vers un cœur virtuel personnalisé pour traiter les arythmies cardiaques
Retour avec Maxime Sermesant, chercheur dans l’équipe-projet Epione et cofondateur d’inHEART, sur un projet visant à révolutionner le traitement des maladies cardiovasculaires.