Certaines carrières prennent parfois des tournants imprévus. Celle de Marc Lavielle en est un parfait exemple. Aujourd'hui directeur de recherche Inria, à la tête de l'équipe Popix, il a pourtant commencé sa vie professionnelle comme… typographe. Après trois années dans le monde de l'imprimerie, Marc Lavielle décide finalement de changer d'orientation. En 1981, il rejoint alors les bancs de l'université Paris-Sud à Orsay. Au programme : un DEUG et une licence de mathématiques, puis un DEA en statistique. Il part ensuite à l'université centrale du Venezuela, à Caracas, où il effectue une thèse sur les méthodes de déconvolution et de détection de ruptures en géophysique. Parallèlement, il y occupe un poste de professeur assistant en statistique.
Un travail d’équipe
Au début des années quatre-vingt-dix, Marc Lavielle revient en France et occupe un poste de maître de conférence à l'université Paris Descartes. Puis, en 1998, il devient professeur à l'IUT de Paris Descartes. « J'ai travaillé dès le début de ma thèse sur de nouveaux algorithmes de modélisation, explique Marc Lavielle. Ces outils et les méthodes associées se sont révélés avoir un réel potentiel dans le domaine de la pharmacométrie, par exemple pour analyser les données issues d'essais cliniques. »
En 2003, il crée un groupe de travail appelé Monolix, regroupant des chercheurs d’Inria, de l’Inserm et de l'Inra, spécialisés en statistique, biostatistique et pharmacologie. Très actif, le groupe commence le développement d'un logiciel du même nom. « Les laboratoires pharmaceutiques ont rapidement montré de l'intérêt pour nos travaux, affirme Marc Lavielle. C'est notamment le cas de Johnson & Johnson, qui nous a permis de financer le recrutement d’un postdoctorant pendant deux ans. L'opération a donné un sérieux coup d'accélérateur au développement du logiciel Monolix. »
Main dans la main avec l'industrie pharmaceutique
En 2007, Marc Lavielle est détaché à Inria Saclay. L'objectif : franchir une nouvelle étape dans l'élaboration de Monolix. « Inria offre un cadre bien mieux adapté à ce type de projet que l'environnement universitaire », souligne Marc Lavielle. L'interface avec le monde industriel est également un atout-clé d’Inria. En 2009, la direction du transfert et de l’innovation (devenue direction générale déléguée au transfert et aux partenariats industriels) met en place un consortium regroupant des industriels tels que Novartis, Roche, Johnson & Johnson, Sanofi Aventis et, un peu plus tard, AstraZeneca. « Ces partenaires ont chacun financé le projet à hauteur de 40 000 € par an. Nous disposions alors des moyens nécessaires pour réellement concrétiser nos efforts , résume Marc Lavielle. Par ailleurs, ces partenaires nous ont donné une vision industrielle sur nos travaux et ont contribué au choix de nos axes de développement. »
Deux ans plus tard, en 2011, Monolix était devenu un logiciel abouti, capable d'avoir des applications concrètes dans l'industrie.
Quand un projet de recherche devient une entreprise
« Monolix était à ce stade accessible en open source, se rappelle Marc Lavielle. Mais les demandes de support étaient de plus en plus fréquentes et les industriels utilisant le logiciel exprimaient le besoin d'avoir une meilleure visibilité sur l'avenir et la pérennité du logiciel. Il était nécessaire de passer de l'univers de la recherche à celui de l'entreprise. »
Le pas est franchi dès 2011, avec la création d'une spin-off appelée Lixoft, dans le cadre d'IncubAlliance, l'incubateur technologique des établissements d'enseignement et de recherche du Campus Paris-Saclay. Toutefois, l'initiateur du projet Monolix n'a pas rejoint lui-même l'entreprise, préférant conserver sa position chez Inria. « Commercialiser un logiciel est un métier différent, insiste Marc Lavielle. J'ai souhaité continuer à faire ce que j'aime, c'est-à-dire développer de nouvelles méthodes et faire progresser nos connaissances. Nous nous appuyons toutefois sur Lixoft pour intégrer ces nouvelles notions dans le logiciel Monolix et les apporter à l'industrie. De ce point de vue, Lixoft est notre débouché, notre passerelle indispensable vers le monde pharmaceutique. » Une démarche qui a su convaincre : Lixoft a reçu le prix Oséo 2011 pour la création d’entreprise de technologies innovantes, dans la catégorie « création / développement ».
Recherche et industrie, deux piliers indissociables
Au-delà de la qualité de ses travaux de recherche, ce qui caractérise Marc Lavielle, c'est donc une vision moderne de la recherche, une vision dans laquelle le monde académique et le monde industriel sont deux facettes indivisibles d'une même réalité. « Il existe aujourd'hui, dans la pharmacométrie, une réelle porosité entre ces deux mondes, souligne Marc Lavielle. De nombreux étudiants réalisent des thèses dans un cadre universitaire et partent travailler ensuite dans l'industrie. À l'inverse, certains scientifiques reviennent de l'industrie vers la recherche académique. Il faut savoir tirer le parti de ces opportunités de fertilisation croisée, au meilleur bénéfice de l'innovation. Il est temps que davantage de statisticiens aient une vision appliquée de leurs travaux et tendent la main vers l'industrie et vers la mise en pratique de leur recherche. »
Bio express
C'est à l'université centrale du Venezuela que Marc Lavielle réalise sa thèse de doctorat en 1990. De retour en France, il devient professeur à l'IUT de l'université Paris-Descartes en 1998. En 2003, il est chargé de mission à la MSTP (Mission scientifique technique et pédagogique) du ministère de la Recherche. Trois ans plus tard, le projet Monolix prend forme. L'année suivante, Marc Lavielle fonde le GDR Statistique et Santé. Parallèlement, il est détaché chez Inria, à Saclay. Deux ans plus tard, en 2009, Marc Lavielle devient membre du Haut Conseil des Biotechnologies. En 2011, il prend la tête de l'équipe Popix à Inria Saclay Île-de-France et devient directeur de recherche l'année suivante, en 2012.
Témoignage