Derrière l’idée du Défi MODELISCALE, un constat : les langages de modélisation de systèmes hybrides en général, et en particulier le langage Modelica, communément employé dans l’industrie (aéronautique, énergie, etc.), souffrent d’un certain nombre d’imperfections. La sémantique, c’est-à-dire le sens mathématique que l’on peut donner à un modèle exprimé dans ces langages, n’est en effet pas clairement définie, ne permettant par exemple pas de prouver des propriétés sur tel ou tel modèle, et par conséquent le bon fonctionnement de ces systèmes.
Une problématique qui, en 2018, amène trois équipes d’Inria (Hycomes, Parkas et Tripop), une équipe du LIX (Cosynus) et deux chercheurs de l’ENSTA (Goran Frehse) et Centrale-Supelec (Antoine Girard) à collaborer autour de la modélisation, la simulation et la vérification des systèmes cyber-physiques, soit tout ce qui est dominé par la physique (centrales nucléaires, systèmes mécaniques comme en robotique, réseaux de chaleur, réseaux de distribution d’électricité, etc.) mais qui ont la particularité d’avoir un contrôle informatisé.
Modélisation, simulation et vérification : quelle différence ?
La modélisation permet de construire des modèles mathématiques d’objets, tandis que la simulation permet de les exécuter et les faire évoluer devant nos yeux. La vérification, quant à elle, permet de prouver, au sens mathématique, des propriétés sur ces systèmes (notamment des propriétés de sûreté qui permettent d’éviter de possibles catastrophes).
Modeliscale, un défi pour faire progresser les technologies de modélisation
Baptisé MODELISCALE, le Défi a un objectif principal : faire progresser les technologies de modélisation (langages, analyses statiques, techniques de simulation) pour les systèmes cyber-physiques combinant interactions physiques et composants logiciels. « Nous nous sommes attachés à répondre à un certain nombre de questions concernant la conception des langages de modélisation et, surtout, les bons principes qui doivent fonder les langages de modélisation des systèmes cyber-physiques », explique Benoît Caillaud, responsable de l’équipe-projet Hycomes.
Selon l’équipe à l’origine de ce Défi, la maîtrise des systèmes cyber-physiques comprenant des milliers ou des millions de composants nécessite en effet des changements radicaux de paradigmes. Par exemple, les techniques de modélisation doivent être revues, en particulier lorsque la physique est impliquée. Les langages de modélisation doivent être améliorés pour faire face à des modèles plus grands. Cela ne peut se faire qu'en combinant de nouvelles techniques de compilation (pour maîtriser la complexité structurelle des modèles) avec de nouveaux outils mathématiques (de nouvelles méthodes numériques, en particulier).
« Nous avons donc décidé de regrouper un certain nombre de chercheurs qui nous semblaient pouvoir apporter un regard intéressant sur cette question », indique Benoît Caillaud. L’équipe-projet Inria Parkas, par exemple, est déjà à l’origine du langage hybride Zélus. L’équipe Hycomes, elle, s’intéresse depuis de nombreuses années à la conception de langages à base d’équations algébro-différentielles, qui sont notamment au coeur du langage Modelica. L’équipe Cosynus et Goran Frehse de l’ENSTA sont spécialisés dans la vérification de systèmes hybrides. Antoine Girard, de Centrale Supelec, apporte une compétence en contrôle symbolique des systèmes hybrides, pour répondre à certains problèmes d’automatique.
Une suite du Défi dans la recherche… et l’industrie
Quatre ans plus tard, le Défi a pris fin et les résultats sont là. Dans la recherche, d’abord, avec des résultats probants autour de l’analyse structurelle des systèmes d’équations algébro-différentielles multi-modes, qui est une analyse faite de manière statique (c’est-à-dire, non pas au moment de la simulation, mais au moment de la compilation de ces modèles). Ces résultats sont indispensables pour détecter des erreurs dans les modèles (par exemple trop d’équations, ou pas assez, dans certains modes), mais aussi pour générer un code de simulation efficace pouvant passer à l’échelle des systèmes de l’ordre de 300 000 équations. « Ça a abouti à l’élaboration d’un prototype logiciel appelé IsamDAE. Il y a aussi une Action de Développement Technologique qui a été financée par Inria pour pousser la consolidation et la maturation du logiciel », précise Benoît Caillaud.
Un certain nombre de travaux du Défi ont également été valorisés dans le cadre d’un projet collaboratif à dominante industrielle (le FUI MODELISCALE), qui impliquait plusieurs partenaires industriels, et qui a permis de pousser à un niveau de maturation plus élevé certain des résultats du Défi MODELISCALE. Parmi les partenaires en question : Dassault Systèmes, vendeur de l’outil de modélisation et simulation Dymola, ainsi qu’EDF et Engie, qui ont notamment travaillé sur la modélisation de réseaux énergétiques urbains. « Dans le cadre du FUI MODELISCALE, un couplage expérimental entre l’outil Dymola et notre outil d’analyse structurelle IsamDAE a vu le jour », indique Benoît Caillaud.
Enfin, et malgré la fin du Défi MODELISCALE, les discussions et collaborations se sont poursuivies entre équipes Inria, notamment sur deux sujets : la conception de langages de modélisation des systèmes hybrides, entre Parkas et Hycomes, et l’exploration des liens entre systèmes de complémentarité et systèmes de DAE multimodes, entre Tripop et Hycomes.