N'avez-vous jamais contemplé, songeur, la turbine de votre avion survoler les nuages à quelques mètres de votre hublot ? Difficile d'imaginer qu'un concentré de technologie vous protège d’un bruit assourdissant de 130 décibels, de -40°C extérieurs et de vibrations à vous faire claquer des dents. C'est parce que le relatif confort dont vous profitez dans cette cabine est le résultat d'une bataille de plusieurs décennies contre le bruit et les vibrations.
Quand les objets vibrent, ils émettent du son, qu'on appelle le rayonnement acoustique. Le son peut, à son tour, influencer les objets et créer des vibrations. L'un et l'autre se propagent dans leurs milieux respectifs, c'est ce que l'on appelle la transmission d’origine acoustique ou solidienne. En jargon de physicien, c'est la vibro-acoustique.
En pratique, la réduction de ces nuisances nous oblige souvent à surdimensionner beaucoup de pièces mécaniques, en particulier dans le domaine du transport. Sur les avions par exemple, les fuselages sont abondamment garnis de mousses absorbantes. Il est essentiel que ce ‘sound package’, qui intègre les différents composants d’insonorisation, soit à la fois compact, léger, bon marché et le plus efficace possible.
Interdire à l'énergie vibratoire de se propager
On utilise pour cela des « métamatériaux », qui sont de nouveaux concepts de matériaux aux propriétés remarquables et n’existant pas à l’état naturel. Pour les architecturer et les déployer, les ingénieurs exploitent un concept bien connu en physique : les bandes interdites. En effet, lorsqu’un matériau présente une géométrie répétitive – on parle alors de structure périodique, ou de cristaux phononiques, un phénomène d’interférences leur confère la capacité à empêcher la transmission des ondes et ainsi « d’interdire » à l’énergie vibratoire de se propager. Partant de ce principe, les physiciens et les acousticiens ont appris à concevoir des matériaux périodiques qui bloquent ou manipulent les ondes et absorbent les vibrations indésirables.
Pour ce faire, les théories et méthodes numériques sont d’une aide précieuse, car elles permettent de prédire la façon dont les ondes vont se propager dans la structure périodique en ne modélisant qu’une seule cellule périodique représentative du milieu. Voilà peu ou prou l’état de l’art. Mais l’utilisation des interférences pour manipuler les ondes se heurte à une limitation de taille : elle ne permet pas de bloquer les basses fréquences. Or les vibrations à basse fréquence sont souvent les plus dommageables et difficiles à éliminer. Du coup, les performances de ces matériaux périodiques stagnent.
Fuselage de jet privé équipé d’une solution à base de micro-résonateurs adaptables multi-fréquences (Droz et al. JASA 2019). Ces concepts dits “multi-résonants” exploitent les résonances locales et permettent de s’intégrer sous une mousse isolante pour couvrir de larges bandes fréquentielles tout en s’adaptant à la géométrie de la structure. En dépit de leur efficacité dans le domaine acoustique, ces concepts ne sont pas en mesure de bloquer la propagation des très basses fréquences (ici, inférieures à 300 Hz).
Dans leur chasse aux décibels, les scientifiques ont besoin de sortir des chemins battus et de se tourner vers des approches radicalement nouvelles. Et c’est tout l’objet d’Archi-Noise. Financé par l’ANR dans le cadre du dispositif Jeunes Chercheuses Jeunes Chercheurs, ce projet est porté par le scientifique Christophe Droz, membre d’I4S, équipe commune à l’Université Gustave Eiffel et Inria. Cette équipe scientifique développe des méthodes innovantes pour la surveillance des structures, en particulier dans le génie civil : ponts, rails, éoliennes...
Cinq propriétés pour les métamatériaux
Verbatim
Idéalement, les métamatériaux doivent présenter cinq propriétés : faible poids, faible volume, faible coût, faibles incertitudes à la fabrication et capacité à absorber des basses fréquences. En analysant la littérature, nous sommes arrivés à la conclusion que l’on ne pouvait pas rassembler ces cinq critères si l’on s’enfermait dans le seul paradigme périodique.
Chargé de recherche ISFP - équipe I4S
"Pour nous, cette solution-là est vouée à l’échec. Nous nous proposons donc d’explorer une voie un peu différente. Nous allons nous appuyer sur des phénomènes dits de ‘non-localité distante’ que l’on rencontre généralement à d’autres échelles de la physique, par exemple dans les systèmes quantiques ou magnétiques. Il a été ainsi observé qu’en produisant des interactions distantes dans une structure, on pouvait faire émerger des phénomènes ondulatoires remarquables qui permettraient de s’affranchir de cette limite à bloquer les vibrations basses fréquences.” On pourrait donc envisager d’établir un transfert d’énergie mécanique entre deux cellules situées à des emplacements éloignés d’un même fuselage pour y atténuer les nuisances acoustiques.
Jusqu’à présent, de tels phénomènes n’ont été observés et exploités qu’à de plus petites échelles, sur des ondes électro-magnétiques en photonique ou en électronique, par exemple. Le défi scientifique va consister à les reproduire aux plus grandes échelles rencontrées dans le domaine de la vibro-acoustique. Ce qui correspond à des échelles macroscopiques. Les recherches en sont encore au stade de l’hypothèse. Tout reste à prouver. “Comment répond notre métamatériau à des interactions dynamiques à longue distance ? On ne sait pas. Car personne n’a vraiment exploré cette voie.”
Pour cette exploration phénoménologique, les scientifiques vont s’appuyer sur la simulation intensive. “Elle permet de tester des centaines, voire des milliers de concepts. Certes, nous savons qu’il y aura des écarts entre le numérique et l’expérimentation. D’ailleurs, nous ne cherchons pas forcément à obtenir des informations quantitatives précises. Mais qualitativement, la simulation nous renseigne sur les phénomènes physiques observés. Et au final, elle livre plus d’information que l’expérimentation. En numérique, on peut interpréter la propagation des ondes et les phénomènes physiques sous-jacents, ce qui n’est malheureusement pas le cas expérimentalement.”
Isolants acoustiques : aller vers des usages réels
Viendra ensuite la phase de conception des matériaux, aussi appelés “treillis”. “Il peut être délicat de concevoir de telles architectures à partir de la théorie. Nous voulons aller de ces modèles mathématiques vers des usages réels.” Pour cela, le projet Archi-Noise prévoit de créer une nouvelle plateforme qui servira à la compréhension physique et permettra de déployer un nouvel outillage servant à “faire le lien entre des métriques d’interaction assez abstraites, vers de véritables géométries qui soient fabricables par l’ingénieur.”
En l’occurrence, les scientifiques ont du pain sur la planche. “Il existe de nombreuses formes d’interactions mécaniques. Nous souhaitons explorer différentes familles pour voir quelles signatures acoustiques elles produisent.” Ce travail doit s’effectuer par incrémentation. “D’abord sur des théories simples, en une dimension (1D), puis en 2D et 3D. Ensuite, nous passerons à des théories plus complexes mais prometteuses.”
Difficulté supplémentaire : “Il va falloir trouver les bonnes métriques afin d’évaluer les structures que l’on aura inventées. Pour les structures périodiques, on sait très bien identifier les propriétés de dispersion des ondes. On sait immédiatement si la structure possède les propriétés requises. Pour des structures que nous allons créer, c’est un peu plus compliqué… Car ces propriétés vont dépendre de l’échelle à laquelle on observe. Ce que nous aimerions, c’est identifier des métriques locales qui nous permettent d’estimer un indicateur de performance global.” Le projet va se dérouler sur quatre ans. Il impliquera également un doctorant ainsi qu’un postdoctorant.
Nous ne savons pas jusqu’où nous serons capables d’aller. Mais l’important, c’est de faire émerger des phénomènes vibro-acoustiques originaux et utilisables, en s’appuyant sur ces nouveaux concepts. Si ça marche, nous aurons un corpus de méthodes, de résultats et de métriques pour aller plus loin. On pourra alors tenter de monter en échelle, puis passer à de l’expérimentation avec des partenaires industriels.
En savoir plus sur le projet ArchiNoise avec Christophe Droz