Ordinateur quantique : une architecture inédite pour chasser les erreurs
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Mis à jour le 18/04/2025
L’ordinateur quantique restera-t-il un rêve inaccessible ? Certains scientifiques le pensent, car il leur semble impossible de construire des qubits capables de survivre au milliard d’opérations effectué par cet ordinateur. La solution pourrait être de corriger les erreurs en exploitant la redondance des qubits dans des codes correcteurs d’erreurs. Comme il est difficilement envisageable qu’un défaut touche plusieurs qubits en même temps, les erreurs sont repérées et peuvent être éliminées. « En théorie, cela fonctionne, confie Diego Ruiz, doctorant au sein de l’équipe-projet commune QUANTIC (ENS-PSL, Mines Paris-PSL, CNRS) du Centre Inria de Paris et de la startup Alice & Bob. Mais dans la pratique, cette approche nécessite un nombre colossal de qubits, ce qui conduirait à des ordinateurs quantiques de taille démesurée ! »
Les chercheurs d’Inria, en collaboration avec la startup Alice & Bob, ont trouvé une alternative plus astucieuse. Une solution qui permet de réduire les erreurs, tout en évitant de faire grossir démesurément les ordinateurs quantiques. Le secret ? L’alliance des qubits de chat et des codes LDPC au sein d’une architecture optimisée. Des termes qui nécessitent quelques éclaircissements…
Qu'est-ce qu’un qubit de chat ? Pour bien comprendre, revenons aux fondamentaux. Le qubit est à l’informatique quantique ce que le bit est aux ordinateurs classiques : une unité d’information. La différence réside dans le fait que les qubits peuvent se trouver simultanément dans l’état 1 et 0, donnant lieu à une parallélisation qui peut être exploitée pour effectuer certains calculs beaucoup plus rapidement.
Une approche populaire pour construire les qubits se base sur les circuits supraconducteurs à une température proche du zéro absolu. Ceux-ci sont appelés "physiques". Les qubits dits "logiques", eux, représentent des collections de qubits physiques regroupés pour corriger les erreurs par redondance. Parmi les qubits physiques supraconducteurs, les plus répandus sont les "transmons". « Les qubits de chat sont aussi supraconducteurs, explique Diego Ruiz. Ils ont été inventés dans les années 2010, notamment grâce aux travaux de Mazyar Mirrahimi, responsable de QUANTIC qui codirige ma thèse, et d’autres chercheurs d’Inria et de l’université Yale aux États-Unis. Leur nom fait référence à la célèbre expérience de Schrödinger, qui met en scène un chat à la fois vivant et mort. »
Quelles erreurs perturbent-elles les algorithmes quantiques exigeant des milliards d’opérations ? « Deux types d’erreurs existent », précise le doctorant. D’une part, le "renversement de bits" (ou bit flip), fait basculer l’état du qubit de 0 à 1 et inversement. D’autre part, le "retournement de phase" (ou phase flip) fait passer l’état du qubit de 0+1 à 0-1. » La correction d’erreurs est d’autant plus complexe qu’il faut gérer ces deux types d’erreurs. L’avantage des qubits de chat ? Par nature, ils suppriment les erreurs bit flips. Il reste donc uniquement à corriger les erreurs de phase flip, ce qui simplifie considérablement le problème.
Pour éliminer les erreurs de phase flip, Mazyar Mirrahimi a proposé d’utiliser les codes correcteurs LDPC (Low-Density Parity-Check). Ces codes permettent une correction efficace, avec très peu de redondance. Toutefois, leur mise en œuvre était jusque-là difficile, parce qu’ils ont besoin d’une multitude de connexions longue distance entre qubits, très difficiles à réaliser en pratique pour des qubits supraconducteurs.
La solution ? « Nous avons collaboré avec Anthony Leverrier de l’équipe-projet COSMIQ, spécialiste des codes LDPC, et Christophe Vuillot de l’équipe Inria MOCQUA, commune avec le CNRS et l’Université de Lorraine et rattachée au laboratoire Loria, pour développer des codes LDPC efficaces mais qui ne nécessitent pas de connexion longue distance », précise Diego Ruiz. Les chercheurs peuvent ainsi fabriquer des qubits de chat à base de circuits supraconducteurs où chaque qubit est seulement connecté à ses voisins, facilitant la réalisation expérimentale du circuit.
« C’est une architecture très économe en nombre de qubits, s’enthousiasme Diego Ruiz. Nos premiers tests montrent qu’il ne faudrait que quatre qubits physiques par qubit logique, contre plusieurs centaines avec les méthodes classiques de correction d’erreurs. »
Résultat : l’équipe estime pouvoir réaliser des calculs utiles de l’ordre de 1 500 qubits seulement, en combinant les qubits de chat avec les codes LDPC. « On est loin des millions de qubits initialement envisagés, conclut le chercheur. On se rapproche même des plus grosses puces quantiques actuelles, qui avoisinent 1 000 qubits. » Grâce au travail collaboratif d’Inria et d'Alice & Bob, l’ordinateur quantique devient donc une perspective plus tangible. À quelle échéance ? Impossible de le prévoir avec certitude, mais une chose est sûre : la concrétisation du quantique est en marche.
Les recherches décrites par Diego Ruiz résultent d’une collaboration entre cinq scientifiques, dont lui-même. Présentation de ces experts du quantique.
Alice & Bob est une entreprise de calcul quantique basée à Paris et Boston dont l'objectif est de créer le premier ordinateur quantique universel et tolérant aux erreurs. Fondée en 2020, Alice & Bob a déjà levé 130 millions d'euros de fonds, embauché plus de 130 employés et a démontré des résultats expérimentaux surpassant ceux de géants technologiques tels que Google ou IBM. Alice & Bob se spécialise dans les qubits de chat, une technologie pionnière développée par les fondateurs de l'entreprise et plus tard adoptée par Amazon. Mettant en évidence la puissance de son architecture de chat pour construire un ordinateur quantique à grande échelle, Alice & Bob a récemment démontré qu'elle pouvait réduire les exigences matérielles jusqu'à 200 fois par rapport aux approches concurrentes. Le qubit de chat d'Alice & Bob est disponible pour quiconque souhaite le tester via un accès cloud. Suivez Alice & Bob sur leur site web www.alice-bob.com.
Diego Ruiz partage son travail de thèse entre Inria et Alice & Bob, sous la codirection de Mazyar Mirrahimi et Jérémie Guillaud. Il a débuté ses études à l’École Polytechnique de Paris, avant de les compléter en parallèle par un master en ingénierie quantique à l’ETH Zurich. C’est ainsi qu’il a découvert sa vocation, qui l’a conduit à effectuer un stage chez Alice & Bob, startup fondée par Raphaël Lescanne et Théau Peronnin, après l’obtention de leur doctorat à l’ENS de Paris et de Lyon et un passage dans l’équipe-projet commune QUANTIC. Ce sont eux qui l’ont encouragé à rejoindre l’équipe QUANTIC pour une thèse de doctorat en 2022.
Passionné par la vulgarisation scientifique, Diego a toujours aimé expliquer des concepts complexes, mais c’est un concours du célèbre youtubeur scientifique Veritasium qui a suscité son engagement. Il ne l’a pas remporté, mais la vocation était née. Dès 2021, il commence à publier de courtes capsules vidéo sur TikTok, avant de se lancer dans des formats plus longs sur YouTube. Il a également contribué à la chaîne Le Vortex, en collaboration avec Arte, pour démocratiser l’ordinateur quantique.
Découvrez ses vidéos sur sa chaîne Stream Theory, par exemple :