Algorithmes et informatique quantiques

Ordinateur quantique : une architecture inédite pour chasser les erreurs

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Mis à jour le 18/04/2025

Pour qu’un ordinateur quantique effectue des calculs utiles, on estime qu’il faudrait au moins un million à un milliard d’opérations. Or, aujourd’hui, au mieux, une opération sur 1 000 s’avère erronée. Avec ce taux d’erreurs, le résultat devient inutilisable… Cependant, des chercheurs Inria, en collaboration avec la startup Alice & Bob, pourraient bien avoir trouvé une solution pour combattre ces erreurs, en combinant un type d’unités d’information quantique (les "qubits de chat") avec des codes linéaires correcteurs d'erreurs (LDPC). Leur travail a fait l’objet d’une publication dans "Nature Communications" le 26 janvier 2025. Décryptage.
Ordinateur quantique de la startup Alice & Bob.
Crédit image : Alice & Bob.

Comment éliminer les erreurs de l’ordinateur quantique ?

L’ordinateur quantique restera-t-il un rêve inaccessible ? Certains scientifiques le pensent, car il leur semble impossible de construire des qubits capables de survivre au milliard d’opérations effectué par cet ordinateur. La solution pourrait être de corriger les erreurs en exploitant la redondance des qubits dans des codes correcteurs d’erreurs. Comme il est difficilement envisageable qu’un défaut touche plusieurs qubits en même temps, les erreurs sont repérées et peuvent être éliminées. « En théorie, cela fonctionne, confie Diego Ruiz, doctorant au sein de l’équipe-projet commune QUANTIC (ENS-PSL, Mines Paris-PSL, CNRS) du Centre Inria de Paris et de la startup Alice & Bob. Mais dans la pratique, cette approche nécessite un nombre colossal de qubits, ce qui conduirait à des ordinateurs quantiques de taille démesurée ! »

Les chercheurs d’Inria, en collaboration avec la startup Alice & Bob, ont trouvé une alternative plus astucieuse. Une solution qui permet de réduire les erreurs, tout en évitant de faire grossir démesurément les ordinateurs quantiques. Le secret ? L’alliance des qubits de chat et des codes LDPC au sein d’une architecture optimisée. Des termes qui nécessitent quelques éclaircissements…

 

Vidéo : Qubits de chat et codes LDPC, une nouvelle étape vers la correction d'erreurs quantiques : Alice & Bob, en collaboration avec Inria, a fait un pas important vers la conception d'un ordinateur quantique utile. Cette recherche démontre comment le défi d'ingénierie pour rendre l'informatique quantique pratique peut être surmonté grâce aux qubits de chat et à de nouvelles techniques de correction d'erreurs. Les codes correcteurs d'erreurs LDPC et les qubits-chats, lorsqu'ils sont mis en œuvre ensemble, peuvent nous aider à exécuter de puissants algorithmes quantiques avec 200 fois moins de qubits que d'autres architectures supraconductrices. (Crédit vidéo : Nil Hoppenot)

Des qubits physiques, à partir de circuits supraconducteurs, aux qubits logiques

Qu'est-ce qu’un qubit de chat ? Pour bien comprendre, revenons aux fondamentaux. Le qubit est à l’informatique quantique ce que le bit est aux ordinateurs classiques : une unité d’information. La différence réside dans le fait que les qubits peuvent se trouver simultanément dans l’état 1 et 0, donnant lieu à une parallélisation qui peut être exploitée pour effectuer certains calculs beaucoup plus rapidement. 

Une approche populaire pour construire les qubits se base sur les circuits supraconducteurs à une température proche du zéro absolu. Ceux-ci sont appelés "physiques". Les qubits dits "logiques", eux, représentent des collections de qubits physiques regroupés pour corriger les erreurs par redondance. Parmi les qubits physiques supraconducteurs, les plus répandus sont les "transmons". « Les qubits de chat sont aussi supraconducteurs, explique Diego Ruiz. Ils ont été inventés dans les années 2010, notamment grâce aux travaux de Mazyar Mirrahimi, responsable de QUANTIC qui codirige ma thèse, et d’autres chercheurs d’Inria et de l’université Yale aux États-Unis. Leur nom fait référence à la célèbre expérience de Schrödinger, qui met en scène un chat à la fois vivant et mort. » 

 

Schéma qui met en comparaison les qubits standards et les qubits de chat.
Illustration : Guillaume Gennet.
Les qubits standards subissent un bruit en 2D (bidimensionnel) et nécessitent ~1000 qubits physiques pour corriger les erreurs. Leur correction d'erreurs quantiques en 2D permet de protéger contre les inversions de bits et de phase. Les qubits "chat" réduisent le bruit à 1D (unidimensionnel) et nécessitent seulement ~30 qubits physiques. Leur correction d'erreurs en 1D protège efficacement contre les inversions de phase. Cette approche réduit drastiquement les ressources nécessaires pour l'informatique quantique tolérante aux fautes.

Des qubits de chat aux atouts considérables

Quelles erreurs perturbent-elles les algorithmes quantiques exigeant des milliards d’opérations ? « Deux types d’erreurs existent », précise le doctorant. D’une part, le "renversement de bits" (ou bit flip), fait basculer l’état du qubit de 0 à 1 et inversement. D’autre part, le "retournement de phase" (ou phase flip) fait passer l’état du qubit de 0+1 à 0-1. » La correction d’erreurs est d’autant plus complexe qu’il faut gérer ces deux types d’erreurs. L’avantage des qubits de chat ? Par nature, ils suppriment les erreurs bit flips. Il reste donc uniquement à corriger les erreurs de phase flip, ce qui simplifie considérablement le problème.

Un taux d’encodage record avec les codes LDPC

Pour éliminer les erreurs de phase flip, Mazyar Mirrahimi a proposé d’utiliser les codes correcteurs LDPC (Low-Density Parity-Check). Ces codes permettent une correction efficace, avec très peu de redondance. Toutefois, leur mise en œuvre était jusque-là difficile, parce qu’ils ont besoin d’une multitude de connexions longue distance entre qubits, très difficiles à réaliser en pratique pour des qubits supraconducteurs.

 

Dessin illustrant comment les codes LDPC optimisent la correction d'erreurs en exploitant des connexions longue portée.
Illustration : Guillaume Gennet.
Les codes LDPC optimisent la correction d'erreurs en exploitant des connexions longue portée sur un seul code de surface. Cela permet d'encoder ~30 fois plus de qubits logiques sur le même matériel. Ajouter un deuxième code de surface permet un ensemble de portes universelles, mais séquentielles. L'empilement 3D parallélise les opérations mais annule les gains d'efficacité. Les LDPC offrent une meilleure densité de qubits tout en maintenant une correction d'erreurs robuste.

 

La solution ? « Nous avons collaboré avec Anthony Leverrier de l’équipe-projet COSMIQspécialiste des codes LDPC, et Christophe Vuillot de l’équipe Inria MOCQUA, commune avec le CNRS et l’Université de Lorraine et rattachée au laboratoire Loria, pour développer des codes LDPC efficaces mais qui ne nécessitent pas de connexion longue distance », précise Diego Ruiz. Les chercheurs peuvent ainsi fabriquer des qubits de chat à base de circuits supraconducteurs où chaque qubit est seulement connecté à ses voisins, facilitant la réalisation expérimentale du circuit. 

Une architecture très peu consommatrice de qubits

« C’est une architecture très économe en nombre de qubits, s’enthousiasme Diego Ruiz. Nos premiers tests montrent qu’il ne faudrait que quatre qubits physiques par qubit logique, contre plusieurs centaines avec les méthodes classiques de correction d’erreurs. » 

 

Schéma montrant la mise en œuvre des connexions longue distance entre qubits.
Crédit image : Alice & Bob.
Les codes LDPC quantiques optimisent la correction d'erreurs en exploitant des connexions longue portée, permettant ainsi d'encoder environ 12 fois plus de qubits logiques sur le même matériel. Cependant, la mise en œuvre de ces connexions longue distance entre qubits, en particulier pour les qubits supraconducteurs, reste un défi technique majeur. Les qubits de chat, grâce à leur protection naturelle contre les bitflips, simplifient l'implémentation des codes LDPC, qui peuvent être réalisés avec des interactions locales entre les qubits.

 

Résultat : l’équipe estime pouvoir réaliser des calculs utiles de l’ordre de 1 500 qubits seulement, en combinant les qubits de chat avec les codes LDPC. « On est loin des millions de qubits initialement envisagés, conclut le chercheur. On se rapproche même des plus grosses puces quantiques actuelles, qui avoisinent 1 000 qubits. » Grâce au travail collaboratif d’Inria et d'Alice & Bob, l’ordinateur quantique devient donc une perspective plus tangible. À quelle échéance ? Impossible de le prévoir avec certitude, mais une chose est sûre : la concrétisation du quantique est en marche. 

Main dans la main, cinq chercheurs en route vers l’ordinateur quantique

Les recherches décrites par Diego Ruiz résultent d’une collaboration entre cinq scientifiques, dont lui-même. Présentation de ces experts du quantique.

  • Mazyar Mirrahimi dirige l'équipe-projet commune QUANTIC (ENS-PSL, Mines Paris-PSL, CNRS) qui regroupe des physiciens et mathématiciens d’Inria, de l’ENS, des Mines ParisTech et du CNRS. Ces chercheurs travaillent sur le développement de méthodes de traitements robustes de l’information quantique.
  • Anthony Leverrier, membre de l’équipe-projet COSMIQ du Centre Inria de Paris, est spécialiste des codes LDPC. Il a découvert de bons codes correcteurs capables de corriger efficacement les erreurs en temps réel. Il continue d’améliorer encore ces stratégies de correction afin de développer des ordinateurs quantiques tolérants aux fautes.
  • Christophe Vuillot, précédemment chercheur au sein de l’équipe Inria MOCQUA commune avec le CNRS et l’Université de Lorraine et rattachée au laboratoire Loria, est aujourd’hui en détachement chez Alice & Bob. Ancien chercheur postdoctoral sous la direction d’Anthony Leverrier, il est expert en correction d’erreurs quantiques et calcul tolérant aux fautes.
  • Jérémie Guillaud a rejoint Alice & Bob en tant que chef de l’équipe théorie, après une thèse au sein de l’équipe QUANTIC. Il est aujourd’hui vice-président Firmware de la startup, considérée comme l'un des leaders du calcul quantique. Il se consacre aussi aux qubits de chat et au calcul quantique tolérant aux erreurs à grande échelle.

À propos d'Alice & Bob

© Alice & Bob

Alice & Bob est une entreprise de calcul quantique basée à Paris et Boston dont l'objectif est de créer le premier ordinateur quantique universel et tolérant aux erreurs. Fondée en 2020, Alice & Bob a déjà levé 130 millions d'euros de fonds, embauché plus de 130 employés et a démontré des résultats expérimentaux surpassant ceux de géants technologiques tels que Google ou IBM. Alice & Bob se spécialise dans les qubits de chat, une technologie pionnière développée par les fondateurs de l'entreprise et plus tard adoptée par Amazon. Mettant en évidence la puissance de son architecture de chat pour construire un ordinateur quantique à grande échelle, Alice & Bob a récemment démontré qu'elle pouvait réduire les exigences matérielles jusqu'à 200 fois par rapport aux approches concurrentes. Le qubit de chat d'Alice & Bob est disponible pour quiconque souhaite le tester via un accès cloud. Suivez Alice & Bob sur leur site web www.alice-bob.com.

Diego Ruiz, un passionné de vulgarisation scientifique

Photo de Diego Ruiz.
Diego Ruiz. Crédit image : Alice & Bob.

Diego Ruiz partage son travail de thèse entre Inria et Alice & Bob, sous la codirection de Mazyar Mirrahimi et Jérémie Guillaud. Il a débuté ses études à l’École Polytechnique de Paris, avant de les compléter en parallèle par un master en ingénierie quantique à l’ETH Zurich. C’est ainsi qu’il a découvert sa vocation, qui l’a conduit à effectuer un stage chez Alice & Bob, startup fondée par Raphaël Lescanne et Théau Peronnin, après l’obtention de leur doctorat à l’ENS de Paris et de Lyon et un passage dans l’équipe-projet commune QUANTIC. Ce sont eux qui l’ont encouragé à rejoindre l’équipe QUANTIC pour une thèse de doctorat en 2022.

 

Passionné par la vulgarisation scientifique, Diego a toujours aimé expliquer des concepts complexes, mais c’est un concours du célèbre youtubeur scientifique Veritasium qui a suscité son engagement. Il ne l’a pas remporté, mais la vocation était née. Dès 2021, il commence à publier de courtes capsules vidéo sur TikTok, avant de se lancer dans des formats plus longs sur YouTube. Il a également contribué à la chaîne Le Vortex, en collaboration avec Arte, pour démocratiser l’ordinateur quantique.

Découvrez ses vidéos sur sa chaîne Stream Theory, par exemple :