L’informatique à l’heure du quantique
La technologie quantique est en passe de bouleverser l’informatique et ses applications, de la cybersécurité à la simulation numérique en passant par l’optimisation et l’intelligence artificielle, des secteurs stratégiques pour les États et les entreprises. En Auvergne Rhône-Alpes, deuxième région française en pointe sur le quantique après l’Île-de-France, Inria se mobilise avec ses partenaires académiques et industriels afin d’anticiper les futures évolutions du numérique autour de l’algorithmique et de la théorie de l’information quantique.
En 2022, l’institut va ainsi créer une équipe spécialisée : bilocalisée à Grenoble et à Lyon, elle s’appuiera sur des compétences existantes au sein d’Inria, qui s’intéresse de longue date à ce domaine, et sur celles de partenaires - l’université Grenoble-Alpes, l’université Claude Bernard –Lyon 1 et l’École normale supérieure de Lyon. Cette équipe comptera en particulier sur l’expertise d’Omar Fawzi (qui en assurera l’animation) et d’Alastair Abbott, respectivement directeur de recherche et chargé de recherche chez Inria.
Deux experts de la théorie de l’information quantique
Ces deux chercheurs travaillent depuis plus d’une décennie sur la théorie de l’information quantique et s’intéressent au développement d’algorithmes adaptés à l’ordinateur quantique. Quel est leur parcours ?
Une vitesse de calcul exponentielle
Comment fonctionne l’informatique quantique ? Cette technologie utilise les propriétés physiques de la matière aux dimensions de l’infiniment petit : à ces échelles, en effet, les systèmes quantiques possèdent une singulière faculté, celle de se trouver dans une superposition d’états. « C’est cette caractéristique qu’exploite un ordinateur quantique : la possibilité de construire des superpositions d'états permet de développer des algorithmes plus rapides, parfois exponentiellement, indique Omar Fawzi. C'est le cas par exemple pour le problème de factorisation d'entiers, lequel entre en jeu dans certaines méthodes de cryptographie. »
Le développement de machines quantiques opérationnelles pose de nombreuses difficultés techniques et scientifiques. Les qubits (l’analogue quantique du bit de l’informatique classique) peuvent par exemple perdre leurs propriétés quantiques, en raison d’interactions avec leur environnement, ce qui se traduit par des erreurs dans les calculs. Les scientifiques parlent de "décohérence" dans ce cas, et plus généralement de "bruit".
Les prototypes d’ordinateurs n’assemblent pour l’instant qu’un nombre limité de qubits, de l’ordre de la cinquantaine. Or en théorie, pour corriger les erreurs, il faudrait en utiliser un nombre beaucoup plus important, ce qui est inaccessible à ce jour… Fondées sur des techniques mathématiques (dites "d’optimisation convexe"), les recherches d’Omar Fawzi et d’Alastair Abbott visent donc à contrôler et réduire le "bruit" des ordinateurs quantiques, en encodant les qubits de façon la plus optimale possible.
Le "bruit" de l’ordinateur quantique
« Nous inscrivons ces travaux sur le bruit quantique dans un contexte plus large, celui de la théorie de l’information quantique, souligne Omar Fawzi. Au siècle dernier, avec l’émergence et le développement de l’informatique et de la communication, s’est formalisée autour de Claude Shannon la théorie de l’information et il s’agit avec le quantique d’inventer les concepts qui lui sont propres. »
L’informatique quantique demande ainsi de repenser complètement l’informatique, dans une démarche globale : machines, algorithmes, logiciels, etc. doivent être conçus ensemble afin de tirer le meilleur parti de cette technologie émergente. « Nous proposons une approche globale du problème, par exemple en travaillant avec des physiciens afin de disposer de modèles les plus précis du bruit, détaille Alastair Abbott. Disposer de modèles de bruit plus réalistes, plus proches de la physique, permet d’affiner les choix algorithmiques, c’est-à-dire la façon dont seront programmées les opérations quantiques, équivalentes des fonctions "ET", "OU", etc. de l’informatique classique. Une nouvelle façon de programmer peut influencer en retour les choix d’architecture des physiciens développant les machines. »
Des recherches stratégiques et collaboratives
Avec l’embauche de deux jeunes chargés de recherche, venus respectivement de Copenhague et de Zurich, une perspective de collaboration avec Benjamin Huard, chercheur au Laboratoire de Physique de l’ENS Lyon, et des nombreux contacts noués au cours de leurs expériences internationales passées, la future équipe d’Omar Fawzi et Alastair Abbott s’inscrit dans une dynamique résolument collaborative. « Autour de Lyon et de Grenoble se trouvent des acteurs majeurs du quantique, déjà structurés autour de grandes disciplines académiques (physique, mathématiques, sciences humaines et philosophie) et d’industriels et nous apportons la dimension "algorithmique" », résume Alastair Abbott.
La création de cette nouvelle équipe Inria s’inscrit dans une ambition plus large, le Plan Quantique, stratégie nationale ambitieuse sur l’informatique quantique, qui vise à fédérer, autour des trois acteurs majeurs que sont le CNRS, le CEA et Inria, les autres intervenants nationaux du domaine (universitaires, industriels, instituts de recherches, PME, startups, etc.).
Une chose est sûre, les États qui maîtriseront l’informatique quantique prendront une nette avance dans des domaines stratégiques (énergie, défense, santé, etc.). Et il n’est pas nécessaire d’attendre de disposer d’ordinateurs quantiques pour développer les algorithmes et étudier la façon de les programmer. Inria est particulièrement bien placé pour avancer sur ce volet algorithmique.
En savoir plus
- « Où en sont les ordinateurs quantiques ? », Arte, 25 septembre 2021
- « Débruiter le quantique, l’ERC Starting Grant d’Omar Fawzi », CNRS, 11 décembre 2019
- « La mécanique quantique comme garant de sécurité pour l’échange de clé secrète », Interstices, janvier 2021
- « Les enjeux de l’ordinateur quantique sur lequel la recherche se mobilise », France Bleu, 15 mars 2021