Les ordinateurs classiques stockent l’information sous la forme d'une séquence de « 0 » et de « 1 » appelés bits. Pour un ordinateur quantique on utilise plutôt des bits quantiques, appelés qubits, c’est-à-dire des zéros et des uns qui peuvent être manipulés en utilisant les lois et de la physique quantique, notamment l’intrication. L’intrication est un phénomène dans lequel deux particules, par exemple des photons, partagent en permanence les mêmes propriétés physiques, quelle que soit la distance qui les sépare. Si l’on mesure un qubit, on obtient toujours une valeur « 0 » ou « 1 », c’est-à-dire une valeur discrète. C’est pourquoi une machine basée sur des qubits est appelée « ordinateur quantique à variables discrètes ».
Toutefois, des chercheuses, chercheurs et des entreprises tentent de développer également des ordinateurs quantiques à "variables continues", c’est-à-dire des machines qui stockent l’information sous forme de signaux analogiques continus. Si l’on mesure un tel signal, on n’obtient pas un 0 ou un 1, mais un nombre qui peut prendre n’importe quelle valeur dans un intervalle de nombres réels quelconques.
Comment caractériser et quantifier la puissance des ordinateurs quantiques ?
Les ordinateurs quantiques à variables discrètes et ceux à variables continues peuvent faire les mêmes choses et ils peuvent s’appuyer sur les mêmes plates-formes physiques, tels que les ions piégés, la photonique et les circuits supraconducteurs. Néanmoins, ces deux types d’ordinateurs quantiques ne fonctionnent pas de la même manière et leur construction présente des difficultés de natures très différentes qui compliquent leur mise en compétition. Alors, comment déterminer quel ordinateur quantique est le plus puissant, le plus prometteur ou le plus efficace ?
Pour répondre à cette question et orienter le développement des machines quantiques, il est important de trouver une caractérisation commune des propriétés quantiques qui sont à l’origine de leur puissance de calcul. Pour comparer la puissance de deux ordinateurs, il faut pouvoir définir la quantité de travail qu’ils sont capables de traiter pendant un laps de temps donné. S’il est facile de comparer cette performance entre deux ordinateurs classiques en quantifiant, par exemple, leur nombre de transistors, leur mémoire ou leur RAM, cette comparaison devient beaucoup plus complexe à réaliser entre deux ordinateurs quantiques.
Un nouvel outil mathématique pour compter les photons
C’est là qu’interviennent les travaux d’Ulysse Chabaud et Mattia Walschaers : lorsque les deux types d’ordinateurs quantiques sont réalisés avec la même plate-forme physique, une méthode comparative peut être mise en place. Pour ce faire, Ulysse et Mattia font appel à un cadre mathématique qu’ils ont développé : le « formalisme stellaire ». Ce dernier décrit les états quantiques grâce à des points, appelés « étoiles », et peut servir à caractériser deux types d'ordinateurs quantiques et permettre de quantifier leur puissance.
Par exemple, pour les ordinateurs quantiques basés sur la lumière, le nombre d’étoiles, ou rang stellaire, nous donne un moyen de compter le nombre de photons qui contribuent au calcul. En outre, notre cadre nous permet également de prouver qu'un type particulier d'intrication, que nous appelons intrication non gaussienne, est essentiel au fonctionnement des ordinateurs quantiques, explique Ulysse.
Le formalisme stellaire est une bonne façon de s’attaquer au calcul quantique car il permet de trier les différents états quantiques, décrits par des « constellations » de points, en quantifiant leur utilité. Pour créer cet outil mathématique, Ulysse Chabaud s’est inspiré des travaux fondateurs de Roy Glauber sur la mécanique quantique et sa théorie de la cohérence permettant la photodétection.
Il y avait une pertinence à appliquer les outils mathématiques de Glauber pour comparer la qualité de deux ordinateurs quantiques. En outre, ce nouveau cadre comparatif ne fournit pas seulement de nouvelles perspectives, il offre également un moyen de formuler de nombreuses nouvelles questions de recherche pour aider à concevoir les ordinateurs quantiques du futur, précise Ulysse.
Pour aller plus loin (explications par Ulysse Chabaud)
Lire la publication dans "Physical Review Letters"
Bibliographie :
- "Stellar Representation of Non-Gaussian Quantum States", Physical Review Letters 124 (6), 063605 (2020), Ulysse Chabaud, Damian Markham, Frédéric Grosshans.
- "Certification of non-Gaussian states with operational measurements", PRX Quantum 2 (2), 020333 (2021), Ulysse Chabaud, Ganaël Roeland, Mattia Walschaers, Frédéric Grosshans, Valentina Parigi, Damian Markham, Nicolas Treps.
- "Classical simulation of Gaussian quantum circuits with non-Gaussian input states", Physical Review Research 3 (3), 033018 (2021), Ulysse Chabaud, Giulia Ferrini, Frédéric Grosshans, Damian Markham.
- "Holomorphic representation of quantum computations", Quantum 6, 831 (2022), Ulysse Chabaud, Saeed Mehraban.