Frédérique Vidal vient d'annoncer, dans le cadre du Plan de relance, une mobilisation importante pour le développement des pôles publics et privés de R&D. Pourquoi est-ce une bonne nouvelle, dans ce contexte ?
La capacité à maintenir une dynamique d’innovation, voire à la renforcer, est un enjeu sensible car il permettra de positionner l’économie française à un niveau compétitif en sortie de la crise. Cette dynamique repose à la fois sur les entreprises et sur les acteurs de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Nous devons travailler main dans la main pour que l’industrie se prépare à ces transformations futures, en particulier à l‘intégration des évolutions liées au numérique dans ses projets, ses processus et ses services.
Les mesures annoncées par Frédérique Vidal touchent les entreprises elles-mêmes et leurs équipes de recherche et développement (R&D), mais aussi les jeunes diplômés scientifiques qui se retrouveront demain dans un marché du travail particulièrement tendu. Les accompagner à démarrer dans des projets qui font sens, et sur lesquels on identifie de véritables perspectives d’innovation, est une bonne chose.
Pour Inria, ces mesures viennent renforcer la dynamique que nous avions déjà engagée avant la crise : positionner l’institut comme un outil au service de l’impact économique auprès du tissu industriel français. Cette stratégie passe par des partenariats bilatéraux entre l’institut et des entreprises, afin de favoriser le transfert de compétences, mais également par le soutien à l’entrepreneuriat.
En ce sens, ces mesures vont accélérer le déploiement de nos actions et renforcer leur impact.
Comment va se concrétiser cette aide pour Inria ?
Nous avons été impliqués, dès le deuxième semestre 2020, dans l’utilisation des mesures de préservation de l’emploi qui se dessinaient. Nous travaillons depuis avec les entreprises potentiellement intéressées.
Les mesures sont au nombre de quatre et sont à classer en deux catégories.
La première, consacrée à la préservation de l’emploi, est destinée aux personnes qui ont des activités scientifiques ou de recherche en entreprise qui, dans le cadre de ces mesures, pourront être financées jusqu’à 80% de leur salaire si elles sont embarquées dans des projets à forte ambition, en partenariat avec des acteurs publics.
La deuxième est dédiée à la création d’emploi. Dans les partenariats entre équipes de recherche et entreprises, nous avons la possibilité de recruter soit des jeunes docteurs soit des jeunes ingénieurs et de les faire travailler sur ces projets d’intérêt conjoint, avec un salaire pris en charge à 80% par l’État. La condition pour prétendre à cette mesure, c’est que les entreprises aient l’intention de recruter ces jeunes talents à la sortie de ces projets.
L’avantage de ces mesures, pour Inria, est de pouvoir augmenter notre capacité à accueillir de jeunes chercheurs ou ingénieurs au sein de l’institut, et par conséquent, de pouvoir accélérer le développement des partenariats, soit en faisant levier sur les projets déjà existants, soit en en déclenchant certains que nous n’avions pas encore pu lancer faute de moyens financiers ou techniques.
Au total, et après échange avec nos différents partenaires et transmission aux services de l’État concernés, nous avons obtenu 96 emplois créés ou maintenus dans les deux prochaines années. C’est beaucoup pour nous, puisque nous allons plus que doubler notre capacité actuelle d’accueil. Enfin, au bout de ces deux années d’accompagnement par le gouvernement, nous espérons que ces mesures auront créé une boucle vertueuse de partenariats et de création d’emplois qui nous permettra de pérenniser cette dynamique.
En quoi cette mobilisation peut-elle soutenir les efforts de la recherche, et notamment d'Inria, dans la course à la souveraineté numérique ?
La crise a mis en lumière la question de la souveraineté technologique de la France. L’institut national spécialisé dans les sciences et technologies du numérique a un rôle majeur à jouer sur cette thématique.
Depuis deux ans, nous avons mis beaucoup d’énergie à renforcer nos partenariats industriels avec des entreprises françaises, en faisant le choix de cibler des thématiques issues de nos priorités stratégiques nationale : la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la santé numérique, l’informatique quantique. Nous avons également engagé un plan de rencontres avec des partenaires avec lesquels nous avons identifié des sujets de travaux communs. Notre ambition, en travaillant aux côtés des entreprises, est de les accompagner par l’anticipation, le développement des compétences ou l’accélération d’innovation.
Quelle est la politique actuelle d'Inria sur le volet des partenariats industriels ?
Dans son Contrat d’Objectifs et de Performance pour la période 2019-2023, Inria assume d’être un outil au service de la souveraineté numérique nationale, évidemment par la recherche et l’innovation. Cette ambition repose sur trois grandes modalités d’impact : l’entrepreneuriat, la diffusion de technologies numériques et les partenariats bilatéraux renforcés.
La première représente, selon nous, la meilleure façon d’accompagner le transfert de compétences, puisque les scientifiques qui veulent contribuer à l’impact vont être accompagnés par le Startup Studio dans leur projet entrepreneurial. Cet accompagnement aboutit soit à la création d’une startup soit au transfert à travers l’acquisition de la startup par un industriel.
La deuxième représente, quant à elle, un véritable enjeu stratégique européen dans la course à la souveraineté numérique, puisqu’elle nous permet une fois de plus de disposer d’infrastructures numériques qui ne dépendent pas de grands industriels étrangers. Inria dépose, chaque année, une centaine de logiciels dont beaucoup sont en open source. L’impact économique de ces logiciels dépend de leur utilisation par des entreprises : Scikit-Learn, par exemple, se place comme la troisième librairie la plus utilisée dans le monde dans son domaine.
La troisième, enfin, est étroitement liée au cœur de l’activité d’Inria : la recherche, mais avec un objectif d’innovation et d’impact économique. Sans ambiguïté, notre objectif aujourd’hui est de favoriser le tissu économique français et, quand cela a un sens, européen.
Et puis, en appui de politiques publiques souveraines, nous avons su construire des formes originales de partenariats public-privé : je pense par exemple au consortium TousAntiCovid avec Capgemini, Orange, Dassault Systèmes, Lunabee et Withings.
Bien sûr, nous restons engagés dans des partenariats internationaux, c’est la dynamique de la recherche académique au meilleur niveau, mais nous mettons beaucoup d’énergie à structurer des partenariats avec des entreprises qui développent de l’emploi en France et qui ont de l’impact en France.
Et la meilleure façon de travailler sur des sujets très stratégiques, c’est de construire avec nos partenaires des équipes-projets communes. Si 80% à 90% de nos équipes-projets sont communes avec d’autres acteurs académiques, ça n’a longtemps pas été le cas avec des industriels. Il y a deux ans, nous n’avions ainsi aucune équipe-projet commune avec ces acteurs ! Dans la foulée de notre partenariat avec NAVAL Group, nous sommes rentrés de plain-pied dans une phase de construction d’une dizaine d’autres équipes-projets avec des industriels, comme par exemple OVH et Atos. L’objectif est d’arriver à 10% d’équipes-projets communes avec des industriels, soit une vingtaine, d’ici 2023. C’est très ambitieux, car ces partenariats sont fondés sur un niveau d’engagement conjoint très important, ce qui n’est pas toujours le cas des partenariats traditionnels classiques… mais c’est aussi la garantie d’avoir un impact réel.